Guerre de Classe 15/2023 : La voix de la colère se fait entendre en Iran

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le nouveau bulletin n°15 du groupe Tridni valka # Class War # Guerre de Classe

La voix de la colère se fait entendre en Iran

Une fois de plus, les yeux des militants communistes du monde entier se sont tournés vers l’Iran, en tant que champ de bataille du gigantesque bouleversement prolétarien, un autre dans la série de confrontations de classe qui a secoué l’Iran et la région environnante au cours de la dernière décennie.

Téhéran, le 16 septembre 2022 – Mahsa Amini meurt après avoir été arrêtée et brutalement battue par la police religieuse iranienne, accusée de ne pas porter son foulard conformément à la loi stupide de l’islam. L’une des nombreuses idéologies imposées par la classe dirigeante afin de cimenter en nous la fausse conscience de la communauté interclasse – la religion ; dans ce cas, l’une des variantes du conte de fées abrahamique sur l’homme invisible vivant dans le ciel. La révolte qui s’en est suivie, contre le système iranien d’apartheid sexuel et l’appareil d’État employé pour le mettre en œuvre, en tant qu’expression particulière de la violence de l’État, a déclenché le vaste mouvement prolétarien qui s’est répandu dans tout le pays, attaquant sur tous les fronts les fondements idéologiques, sociaux et économiques de la société bourgeoise sur le territoire de l’Iran. Certaines des tâches que ce mouvement a assumées, bien que de manière insuffisante et incomplète, comme la tâche d’identifier et d’attaquer les points stratégiques de l’infrastructure de l’État, de désarmer les forces répressives et de s’armer, etc. font partie des tâches que le prolétariat devra assumer dans la phase insurrectionnelle de la révolution communiste mondiale.

Si le meurtre de Mahsa a été l’étincelle du mouvement et la révolte des femmes prolétaires contre le voile le souffle qui a attisé les flammes, son carburant a été l’expression brutale de la domination du Capital sur le territoire de l’Iran – exploitation, misère, aliénation, guerre… et l’histoire de la lutte de notre classe contre lui. Une lutte difficile et violente avec des victoires et des défaites. Avec l’expérience de la camaraderie lorsque nous avons affronté le CGRI (les fameux « Corps des gardiens de la révolution islamique » ou Pasdaran) et la milice Basij dans des batailles de rue meurtrières, lorsque nous avons fait grève et paralysé pour un moment la machine inhumaine de l’exploitation capitaliste, lorsque nous avons discuté ensemble, organisé et planifié les stratégies de la lutte. Avec la joie apportée par le moment de la victoire, en brûlant un poste de police, une mairie ou une mosquée, en faisant trembler de peur les fonctionnaires du régime. Avec la haine et la colère brûlantes envers nos exploiteurs lorsqu’ils nous soumettent à leur horrible violence – fusillades, coups, torture, viol, emprisonnement, harcèlement, surveillance, lavage de cerveau, atomisation…

Au moins depuis 2017, la société iranienne est dans un état d’agitation semi-permanent avec des périodes continues de manifestations de rue militantes, de confrontations avec les forces de répression, de grèves, d’occupations d’universités et de lieux de travail, etc. – pour diverses raisons économiques et politiques telles que les prix de l’essence et de la nourriture, le manque d’eau potable, le non-paiement des salaires, la violence de l’État, l’implication de l’Iran dans divers conflits régionaux. Ils diminuent temporairement à chaque fois en raison d’une combinaison de facteurs externes et internes. D’une part, cela est dû à un grand effort de l’État pour les réprimer par une brutalité exceptionnelle, des restrictions de l’information, des cycles de mobilisations de partisans et des promesses de réformes censées résoudre les problèmes les plus scandaleux. D’autre part, le déclin périodique du mouvement provient des limites du mouvement lui-même, qui reste largement isolé des luttes menées ailleurs et se préoccupe des conditions de vie concrètes et misérables en Iran et, dans le meilleur des cas, du renversement du régime bourgeois actuel qu’il tient pour responsable.

Il convient de mentionner que jusqu’à présent, le mouvement n’a pas été en mesure de déstabiliser suffisamment l’État, même si, dans ses moments les plus forts, il ait partiellement assumé certaines des tâches nécessaires pour y parvenir.

Les minorités militantes vont plus loin et mettent en avant la négation de l’ensemble de la société capitaliste, mais dans le rapport de forces actuel, elles ne constituent pas une force matérielle capable de l’imposer comme direction du mouvement.

Afin de mieux illustrer le contexte social du mouvement de classe actuel en Iran, rappelons brièvement, sans aucune ambition de chronologie complète des événements, les luttes de classe les plus importantes en Iran au cours de ces dernières années.

Le 28 décembre 2017 à Mashhad, des manifestations militantes ont éclaté pour protester contre la hausse des prix des produits de première nécessité comme le riz et le pain et contre la réduction des allocations de chômage. L’État a bien sûr réagi violemment, mais cela n’a pas entraîné l’arrêt des manifestations, mais plutôt leur escalade et leur propagation d’abord à Téhéran, puis à toutes les grandes villes d’Iran. Ce fut le début de la plus grande vague de lutte de classe qu’ait connue l’Iran depuis des décennies, avec une expropriation absolument généralisée des marchandises, l’incendie des bâtiments administratifs, y compris les bureaux des mollahs, les commissariats de police et les quartiers généraux de la milice Basij. Les formations prolétariennes les plus avancées ont également tenté (quoique rarement) de piller les caches d’armes des forces de répression, de s’armer et d’utiliser les armes acquises contre l’État. Parmi les expressions programmatiques les plus avancées de ce mouvement figurait le slogan « De Gaza à l’Iran, à bas les exploiteurs ! » (voir notre bulletin n°6). Il s’agissait d’un cri de ralliement du mouvement contre l’implication de l’Iran depuis des décennies (et qui se poursuit) dans la guerre capitaliste régionale aux côtés de « l’axe chiite ». En même temps, il s’agissait d’une rupture défaitiste révolutionnaire claire avec les courants nationalistes, qui mettait en avant la paix capitaliste comme seule alternative à la guerre, avec sa devise « Ni Gaza, ni le Liban, je ne mourrai que pour l’Iran ! ».

Après la répression brutale de l’État, qui a coûté la vie à des centaines de nos frères et sœurs de classe, les manifestations de rue se sont temporairement calmées – du moins, c’est ce que souhaiteraient nos ennemis de classe. En réalité, la forme de la lutte de classe a plutôt évolué vers des manifestations et des grèves plus diffuses dans de nombreuses industries, notamment l’extraction pétrolière, la production de sucre, le transport routier, les chemins de fer et les écoles. En février 2018, une nouvelle vague de manifestations et d’émeutes a éclaté dans la province d’Ispahan, s’étendant ensuite aux provinces du Khouzistan et de Bouchehr, pour protester contre le manque d’eau potable. Le manque d’eau ou sa mauvaise qualité a été à l’origine de nombreuses manifestations en Iran (ainsi que dans l’Irak voisin).

En novembre 2019, la tension sociale a culminé dans un nouveau soulèvement, après l’augmentation de 200% du prix des carburants. Les manifestants ont à nouveau incendié des postes de police, des centres de la milice Basij, des mosquées et des maisons d’imams, ils ont bloqué des autoroutes et des voies ferrées et organisé le pillage de l’essence dans les stations-service et dans les réserves du gouvernement. L’éruption a une fois de plus été réprimée par la combinaison de la force (au moins 1 500 prolétaires assassinés), d’une campagne de censure et d’une coupure d’Internet, ainsi que par le rétablissement de subventions partielles pour le carburant, dans le but de supprimer la cause immédiate des mobilisations de classe. Le mieux que la bourgeoisie du territoire iranien ait pu obtenir avec cet effort a été de prolonger son agonie pendant un certain temps et de repousser de quelques mois l’inévitable résurgence du mouvement. C’est en partie parce que la fraction locale de la bourgeoisie (tout comme n’importe quelle fraction locale de la bourgeoisie n’importe où dans le monde d’ailleurs), ne contrôle pas totalement les conditions économiques locales et ne peut pas prédire quand elle devra attaquer les conditions de vie du prolétariat afin de préserver sa propre marge de profit. Mais surtout, c’est parce que les prolétaires en lutte en Iran ne se laissent pas si facilement enfermer dans la séparation bourgeoise entre revendications « immédiates » et « historiques » ou « économiques » et « politiques », quels que soient les efforts déployés par toutes les forces sociales-démocrates en Iran et à l’étranger pour essayer de se repaître des concepts bourgeois intériorisés au sein du mouvement de classe et de les faire gonfler afin de le canaliser. Dans les rues et sur les places, dans les ateliers, les usines d’Iran et dans les campagnes, il y a une prise de conscience généralisée (bien que superficielle) du lien entre les pénibles conditions de travail et de vie au quotidien et l’existence des structures de l’État qui sont là pour les appliquer.

En janvier 2020, des milliers de manifestants ont affronté les forces de sécurité à l’université de Téhéran ainsi que dans d’autres lieux après qu’un avion de ligne ukrainien ait été abattu par le Corps des gardiens de la révolution islamique. L’État a réagi par des arrestations massives, mais aussi par des « aveux » et des « excuses » politiques – quelques cadres moyens du CGRI ont été limogés. Le Covid-19 a frappé l’Iran de plein fouet, ce qui n’a pas manqué d’arranger les dirigeants locaux. Leur « stratégie de gestion du Covid », qui a entraîné la mort de dizaines de milliers de personnes, leur a néanmoins donné une arme supplémentaire pour étouffer l’agitation et, à l’exception des émeutes de prisonniers décimés par l’infection, ils sont parvenus pendant un certain temps à imposer une fragile façade de paix sociale.

Cette situation a duré jusqu’en 2021, lorsque des émeutes massives ont éclaté dans la province du Sistan-Baloutchistan contre la brutalité de l’État après que le Corps des gardiens de la révolution islamique, de concert avec les gardes-frontières pakistanais, ait massacré des dizaines de marchands ambulants pour avoir fait passer du pétrole en « contrebande » à travers la frontière. Enfin, au cours des mois chauds de l’été 2022 qui ont conduit aux derniers bouleversements, les manifestations violentes ont repris pour protester contre le manque d’eau potable (et à nouveau comme dans l’Irak voisin) et la hausse vertigineuse des prix des denrées alimentaires.

La première manifestation après le meurtre de Mahsa Amini a eu lieu le jour même devant l’hôpital Kasra de Téhéran où elle est décédée, et a été suivie d’une autre le 17 septembre après son enterrement dans sa ville natale de Saqqez. À partir de là, le mouvement a rapidement fait boule de neige et s’est étendu à toutes les grandes villes ainsi qu’à de nombreuses petites villes dans toutes les provinces. Dès le début, le mouvement a été mené par de jeunes femmes prolétaires qui ont arraché et brûlé leurs foulards, symboles de leur oppression, du harcèlement et de la violence fondés sur la stupide morale abrahamique, et qui se sont réapproprié l’espace public contre les règles limitant leur rôle social à celui de « femmes au foyer ».

Mais la révolte ne s’est pas limitée à la question du voile. Les séparations sociales, qui sont, d’une part, imposées à notre classe par les idéologues bourgeois et, d’autre part, intériorisées par les prolétaires à travers leur socialisation dans la famille, l’école, la mosquée ou l’armée, se sont effondrées. Le mouvement a pratiquement aboli toutes les différences entre les femmes prolétaires qui vendent leur force de travail aux capitalistes directement (c’est-à-dire celles qui « ont un travail ») et celles qui sont confinées à la vendre indirectement à travers les « tâches domestiques » pour la reproduction de la force de travail de leurs maris et de leurs fils (c’est-à-dire celles qui sont « des femmes au foyer ») ; ainsi que toutes les différences d’âge et d’éducation.

Il est important de noter que la révolte a également attaqué de front l’un des piliers centraux de la mutation locale de l’idéologie bourgeoise dominante depuis la « révolution islamique » – la séparation sociale institutionnalisée et l’inégalité entre les sexes. Les manifestantes se sont mêlées publiquement, ont discuté et se sont organisées directement avec leurs frères de classe masculins. Ensemble, elles et ils ont affronté les forces de la police « morale » et « normale », le CGRI et la milice Basij, elles et ils ont saccagé leurs casernes, ainsi que des banques, des mosquées et des administrations publiques. Les hommes prolétaires ont été poussés à affronter les contradictions inhérentes à la complexité de leurs propres rôles sociaux – travailleur, soldat, mari, père, musulman, citoyen… Leur ennemi de classe, qui les faisait trimer tous les jours, exploitant leur force de travail, qui les envoyait à la guerre dans toute la région, qui les emprisonnait, les torturait et les tuait chaque fois qu’ils résistaient à leurs conditions de vie, et qui tuait maintenant leurs filles, leurs épouses et leurs sœurs pour avoir simplement enlevé leur voile, attendait toujours d’eux qu’ils soutiennent son récit idéologique de la sainte trinité de la famille, de la nation et de la religion.

Pourquoi cette expression particulière des rôles de genre est-elle si importante pour la stabilité du régime bourgeois existant sur le territoire iranien ? Non seulement parce qu’il tire son idéologie centrale de la morale abrahamique (islamique) et de ses règles patriarcales traditionnelles, mais aussi parce qu’elles faisaient partie intégrante de la stratégie sociale-démocrate du « Conseil révolutionnaire islamique (CRI) » – précurseur du régime actuel – visant à faire dérailler, à contenir et finalement à écraser l’insurrection prolétarienne de 1978-1979.

Ce mouvement a déchiré la société bourgeoise du régime des Pahlavi – d’innombrables grèves et occupations d’usines ont conduit à la création de conseils ouvriers (shuras), l’une des formes d’auto-organisation du prolétariat, organisant à la fois la lutte et la satisfaction des besoins quotidiens des prolétaires en lutte. Lorsque la fraction locale de la bourgeoisie a envoyé l’armée pour réprimer les insurgés, elle n’a obtenu en retour qu’une série de mutineries, de sabotages et de fragging d’officiers. Les palais de Pahlavi, les quartiers généraux militaires, les prisons et les centres de torture de la SAVAK (la police secrète du Shah), les ministères et les bâtiments des institutions de l’État furent incendiés. Les prolétaires fraternisèrent avec leurs frères de classe en uniforme et les minorités les plus avancées nouèrent des liens militants avec des camarades d’autres pays (Irak, France, Royaume-Uni…). Il va sans dire que, comme dans tout mouvement prolétarien militant et généralisé, les séparations bourgeoises intériorisées par notre classe en temps de paix sociale ont commencé à voler en éclats. Des femmes prolétaires ont participé activement à tous les aspects de la lutte aux côtés des hommes. Dans sa subversion de la société capitaliste, le mouvement de 78-79 est allé au-delà des besoins immédiats de la lutte. Dans une unité dialectique de la pratique et de la théorie, la minorité militante du mouvement a également produit son propre niveau de rupture théorique avec les rapports sociaux capitalistes basés sur l’exploitation du travail humain et l’existence aliénée et atomisée qu’elles reproduisent. Cela incluait la critique de ses expressions genrées comme l’hypersexualisation des femmes, la marchandisation des relations intimes, etc.

Petite parenthèse : il est typique que les féministes occidentales, qui acclament le mouvement en Iran comme une « révolution féminine », soient capables de reconnaître et de critiquer les expressions de « l’oppression des femmes » à la fois en Occident et en Iran, mais les traitent toujours séparément les unes des autres et de leurs racines capitalistes.

Dans le cadre de sa tentative de canaliser le mouvement, le CRI (et ses futures victimes gauchistes, mais à ce stade toujours alliées au Front uni, comme le MEK/PMOE, divers léninistes, etc.) a fait ce que la social-démocratie historique a fait à maintes reprises dans le passé : elle a prétendu partager la critique de ces aspects de la vie dans la société capitaliste, mais a proclamé que ces choses étaient le produit de « conditions politiques spécifiques », occultant ainsi leurs racines dans le mode de production capitaliste. Dans ce cas, les conditions spécifiques ont été déclarées être « la décadence de l’impérialisme occidental ». Comme alternative, le « Front uni d’Iran » a proposé le retour à la fausse « communauté des ancêtres », « de la vie simple », « de la vie naturelle » – en l’occurrence celle de la « Oumma », mais on peut mettre dans la même catégorie l’« Obchtchina » russe idéalisée par Kropotkine et Lénine. Dans ce passé mythique, qui n’a en réalité jamais existé, les contradictions sociales étaient moins importantes. Chacun jouait son rôle « naturel » dans cette communauté et en était un membre respecté et protégé – y compris les femmes. La révolution signifie alors le renouvellement de ce fantasme et son raffinement idéologique et structurel sous la direction du « parti » (dans ce cas, le CRI).

Ce rôle central de la question de l’« apartheid sexuel » dans les racines idéologiques du régime des mollahs signifie que tout mouvement la remettant en question (ainsi que son expression symbolique : le voile) ne laisse pas à la fraction bourgeoise au pouvoir une grande marge de manœuvre et de compromis pour canaliser la rage des manifestants. L’opposition au voile s’est développée organiquement au sein du mouvement prolétarien et est liée à d’autres revendications sociales, elle est largement répandue au sein d’une minorité radicalisée de femmes et d’hommes prolétaires et est directement liée à la violence brutale de l’État. Cela en fait un agent catalyseur très puissant pour la confrontation militante avec le pouvoir de l’État.

Bien sûr, cela ouvre aussi la porte à la faiblesse de trop se concentrer sur l’opposition à la forme politique actuelle de l’État et aux forces bourgeoises opposantes de se présenter comme une alternative politique et d’essayer de détourner le mouvement de son caractère de classe – comme nous avons pu le voir lors des « manifestations du parc Gezi » en Turquie (en 2013) ou des « manifestations des Gilets Jaunes » en France (en 2018-19) (voir nos bulletins n°9 et 10). Mais pour autant que nous puissions le voir et comme l’attestent les camarades des Travailleurs anticapitalistes d’Iran, le mouvement rejette jusqu’à un certain point toute tentative de ce type et les forces d’opposition bourgeoises n’ont quasi aucune importance, ce qui ne les empêche pas de s’organiser en tant que force réactionnaire anticommuniste. Comme le disent les camarades :

[…] les oppositions éteintes de la bourgeoisie, des réformateurs aux partisans de la monarchie, des milices de gauche et de droite aux sectes nationalistes et aux partis de gauche fascinés par le pouvoir politique, tous prétendent encore être une alternative ! Et ils affirment que le problème des travailleurs est l’absence de leader et de force au-dessus des travailleurs pour les diriger. C’est-à-dire qu’ils s’autoproclament le sauveur de la masse des travailleurs. Dans la situation actuelle, ils ne peuvent jouer aucun rôle, mais lors d’un soulèvement général et de l’incapacité du régime à défier les soulèvements et l’absence d’un mouvement de conseil de la classe ouvrière, ils essaieront d’élaborer les scénarios les plus catastrophiques pour les masses laborieuses sous la bannière des pôles du capital mondial.

Déclaration des travailleurs anticapitalistes d’Iran

Juste une petite remarque : bien que nous considérions les conseils ouvriers comme une forme historiquement importante de l’organisation révolutionnaire prolétarienne, nous ne la revendiquons pas nécessairement par rapport aux autres formes, car la forme n’a jamais été une garantie du contenu révolutionnaire. Pour le reste, nous partageons bien entendu la position de ces camarades.

Une autre illustration claire de la faible capacité de l’opposition bourgeoise (en l’occurrence la fraction pro-Pahlavi) à canaliser le mouvement est le slogan très répandu « Mort aux oppresseurs, qu’il s’agisse du Shah ou de l’Ayatollah ». D’après les rapports dont nous disposons, ainsi que les vidéos des manifestations qui circulent en ligne, nous pouvons dire qu’il ne s’agit pas d’une position limitée à la minorité militante du mouvement, mais qu’elle est partagée par une grande partie du mouvement – des manifestants dans les rues et les écoles de Téhéran aux travailleurs agricoles en grève.

Les grèves ouvrières ont en fait constitué une partie du mouvement depuis le début et ont touché de nombreux secteurs, de la production de pétrole et de gaz (le plus important pour l’économie iranienne) à la production de sucre (y compris les travailleurs militants de l’usine de sucre Haft Tapeh), en passant par les écoles et les universités. Les camionneurs se sont également mis en grève et ont bloqué les autoroutes avec leurs camions afin de paralyser la circulation des marchandises. La tactique du blocage des routes a également été utilisée à maintes reprises par les masses de travailleurs issus de divers types d’emplois informels et de chômeurs.

En fait, le mouvement de grève a précédé les manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa et se poursuit depuis des années avec une intensité et une portée variables. Toutefois, la différence qualitative réside ici dans le niveau de convergence consciente et pratique des luttes dans la rue et sur le lieu de travail. En effet, les travailleurs de l’industrie sucrière et pétrolière se sont mis en grève cette fois-ci pour exprimer la colère de notre classe après l’assassinat de Mahsa et en solidarité avec les manifestants arrêtés et les étudiants radicaux qui occupent l’université de Téhéran. Les grévistes de l’industrie pétrolière envoient leurs délégations participer aux manifestations de rue et aux émeutes, tandis que les étudiants et les autres manifestants se rendent sur les lieux de travail occupés. Ces types de liens militants se développent organiquement et émergent plus fortement que lors des mouvements prolétariens de masse de ces dernières années.

Malgré ce que nous venons de dire, nous devons admettre que, d’après les informations dont nous disposons, les derniers bouleversements en Iran ont conservé une forme dominante de mouvement de protestation dans la rue. Les manifestations ont été massives et violentes et ont souvent pu contrôler totalement les rues et les places et faire craindre pour leur vie les bourgeois iraniens et leurs chiens de garde. L’économie a été affectée, mais elle était loin d’être complètement à l’arrêt. Les grèves ont été nombreuses et conflictuelles, mais pas suffisamment étendues pour arrêter complètement la production. De plus, si certains lieux de travail ont été occupés, la question de l’expropriation des moyens de production et de leur mise au service des besoins de la lutte n’ont pas été imposée dans la pratique.

De même, l’appareil répressif de l’État a été quelque peu ébranlé par des refus d’obéir aux ordres et des désertions de la part de simples soldats. On rapporte même que certains membres de la milice Basij ont changé de camp. Dans l’ensemble, l’impact de l’agitation révolutionnaire et de la fraternisation n’a pas été assez fort pour paralyser la capacité de l’État à réprimer le mouvement, comme en témoigne le bain de sang qui s’en est suivi.

L’État iranien a déchaîné toutes ses forces pour écraser la rébellion. La police, la police religieuse, le CGRI, les bassidjis, l’armée et des groupes de salopards loyalistes armés jusqu’aux dents, dans des véhicules blindés, ont déferlé sur les quartiers prolétaires en tirant et en tuant à gauche et à droite, au cours de raids nocturnes, en faisant sauter les portes des universités et des usines occupées avec des explosifs pour arrêter ceux qui se trouvaient à l’intérieur, en arrêtant et en tabassant brutalement les parents des organisateurs connus de la lutte, en empoisonnant des centaines d’écolières pour se venger de leur désobéissance. Des milliers de personnes ont été assassinées, certaines exécutées publiquement, des dizaines de milliers ont été emprisonnées et sauvagement torturées. Dans le même temps, les moyens de communication ont été sévèrement restreints, les réseaux cellulaires et l’internet étant coupés dans de nombreuses régions d’Iran.

Et comme toujours, l’État a lancé l’offensive de propagande en qualifiant notre classe de « terroristes », d’« apostats » et d’« agents étrangers ». Comme toujours, tous leurs efforts consistent à reproduire les fausses communautés de la nation et de la religion afin de nier l’existence des intérêts de classe opposés entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ils promettent des « réformes », une « meilleure gestion » et de la « bienveillance » en échange d’un retour discipliné des masses prolétariennes de la rue à leur domicile individuel, à leur lieu de travail individuel, à leur famille individuelle. Acceptez votre existence atomisée et aliénée de travailleur et de citoyen obéissant !

En raison de l’épuisement et de la répression brutale, la rébellion de classe en Iran est maintenant en phase descendante, mais pas vaincue. En juin 2023, les affrontements entre les émeutiers et les forces de répression se sont poursuivis, bien que de manière sporadique. Nous nous attendons à ce que l’Iran soit à nouveau au premier plan de la lutte mondiale de notre classe.

L’Iran (et la région du « Moyen-Orient » en général) a été le fer de lance du mouvement prolétarien mondial pendant des décennies et nous avons vu les cycles de violence incroyablement brutale de l’État à son encontre et les campagnes de propagande incessantes à de nombreuses reprises dans le passé. Pourtant, cela n’a pas empêché l’explosion de tant de rébellions prolétariennes – de l’insurrection irakienne de 1991 (voir notre bulletin n°3), en passant par le « printemps arabe » avec des points culminants en Égypte et en Tunisie (voir notre bulletin hors-série), jusqu’aux « manifestations du parc Gezi » en Turquie et aux mouvements récurrents dans les territoires du Liban, de l’Iran et de l’Irak à nouveau au cours de la dernière décennie (voir nos bulletins n°11 et 14).

Nous avons observé que la tendance de ces luttes (à l’échelle mondiale, mais le « Moyen-Orient » est une fois de plus à l’avant-garde dans ce sens) est leur caractère récurrent et leur continuité, où bien que l’étincelle qui a déclenché le soulèvement puisse être une raison immédiate, les confrontations de classe ne se produisent jamais simplement dans la bulle autonome du moment. Souvent, le mouvement de grève se déroule en parallèle et entre les grandes explosions, et les mouvements précédents sont consciemment référencés, analysés et des leçons en sont tirées par une large minorité radicale. En d’autres termes, il existe une certaine continuité militante.

Nous insistons toujours sur le fait que la meilleure façon de soutenir la lutte de classe dans l’autre partie du monde est de se soulever et de lutter contre notre propre exploitation dans « nos propres » pays, c’est-à-dire là où la valeur est directement extraite de notre propre travail, et d’attaquer « notre propre » bourgeoisie et son État là où sa violence et sa domination idéologique nous affectent directement.

Ceci est particulièrement vrai dans la période que nous vivons, une période de polarisation croissante des fractions bourgeoises mondiales en super-blocs économiques, politiques et militaires opposés. Nous devons soustraire notre force de travail à la machinerie de pacification capitaliste (idéologique et/ou militaire) prête à toujours « apporter la paix et la démocratie » partout dans le monde où le prolétariat relève la tête. En effet, nous devons l’attaquer et la dénoncer ! L’armée iranienne et le CGRI sont impliqués, par le biais de divers intermédiaires, dans les différents conflits militaires autour du « Moyen-Orient » (nous avons brièvement discuté de cela et des intérêts économiques connexes dans nos textes précédents sur l’Iran) et sont maintenant également impliqués aux côtés de la Russie dans le conflit en Ukraine. Les mercenaires et « consultants » iraniens sont sur les champs de bataille ukrainiens et les drones tueurs iraniens bombardent les villes ukrainiennes.

Seule une résistance de classe coordonnée, à la fois sur le front militaire sous forme de refus des ordres, de désertions, de fragging et de mutineries, et sur le front intérieur sous forme de grèves, d’émeutes et de blocages – en accordant une attention particulière à l’arrêt de la production et de l’envoi d’armes sur le front, au retour des troupes et au refus d’accepter l’attaque contre les conditions de vie du prolétariat dans l’économie de guerre – peut mettre un terme à la férocité de la guerre capitaliste. Mais pas en faveur de la paix capitaliste, qui n’est rien d’autre qu’un éternel interbellum, c’est-à-dire une période de préparation du prochain cycle de carnage militaire et en soi une continuation de la guerre de classe contre notre classe. A la guerre capitaliste comme à la paix capitaliste, nous devons opposer les positions révolutionnaires défaitistes contre tous les camps bourgeois et en faire une guerre de classe globale !

Nous appelons également à la solidarité prolétarienne internationale avec nos frères et sœurs de classe en Iran.

Nous pouvons les aider en attaquant les intérêts et les représentants de l’État iranien (à la fois le régime et l’opposition) là où nous vivons. Transformons en enfer la vie des bouchers actuels et passés (et potentiellement futurs) du prolétariat en Iran !

Ceux d’entre nous qui vivent dans les régions géographiquement proches doivent assumer la tâche d’abriter les militants prolétariens d’Iran de l’horrible répression étatique à laquelle ils sont confrontés, de les aider à se regrouper et de les soutenir matériellement (comme tentent de le faire de nombreux militants de classe sur le territoire irakien).

La tâche la plus importante des militants de classe dans le reste du monde est de clarifier et de défendre la nature prolétarienne du mouvement en Iran contre toutes les sortes de falsifications bourgeoises et d’aider à diffuser le matériel des collectifs communistes d’Iran, comme par exemple les camarades des Travailleurs anticapitalistes d’Iran, de discuter et de s’organiser avec eux au sein d’une communauté mondiale de lutte.

Notre objectif, en tant que communistes, est la destruction totale du capitalisme et de son État et son remplacement par une communauté humaine sans classe grâce à la révolution communiste mondiale. Bien sûr, la récente rébellion de classe en Iran n’est en soi rien de tel – car limitée à la fois géographiquement au territoire d’un seul État et dans la profondeur de sa rupture avec la totalité de la réalité capitaliste. Néanmoins, non seulement nous la considérons comme l’une des expressions les plus importantes de la lutte des classes de notre époque, mais nous voudrions insister sur le fait que nous la considérons comme une partie intégrante du mouvement historique du prolétariat contre son exploitation. En effet, chaque expression de notre classe, même partielle et temporaire, tendant à la destruction des rapports sociaux capitalistes, ouvre consciemment, mais plus souvent inconsciemment, la voie au communisme par sa pratique, ses leçons et ses erreurs, par ses victoires et ses défaites, par sa réappropriation du programme révolutionnaire.

Pour que la révolution soit possible, des confrontations de classes comme en Iran, mais encore plus profondes, doivent se développer dans le monde entier. Compte tenu de la réalité de la phase de préparation de la nouvelle guerre mondiale et de la catastrophe écologique dans laquelle nous vivons, c’est peut-être la seule option pour la survie de l’humanité.

La Révolution ou la Mort !!!
Contre le Capital – Tribune des travailleurs anticapitalistes

(Extraits)

[…] Malgré les manifestations de rue massives de ces derniers mois, le régime islamique capitaliste ne voit aucun véritable danger dans celles-ci, ni dans les controverses qu’entretiennent des cercles d’opposition isolés, mais bien dans l’existence de la classe ouvrière, qui détient un rôle majeur dans le cycle du travail et la production de capital. Tant que cette classe ouvrière n’exerce pas son pouvoir de classe, et tant que le cycle de production du capital continue de tourner, la bourgeoisie n’a rien à craindre d’aucune force. Le régime a suffisamment réfléchi à cette question et en a fait la base de son action, c’est pourquoi le régime islamique a trouvé le mouvement actuel vulnérable et la seule solution c’est de l’attaquer. La preuve de tout cela c’est que la République islamique poursuit les exécutions avec une férocité indescriptible […]. Le soulèvement actuel a-t-il un moyen d’arrêter la machine à tuer de la République islamique ?

Seule l’entrée généralisée et dans l’ensemble du pays des masses ouvrières sur le terrain de la lutte des classes est capable de jouer ce rôle. La question plus vitale, fondamentale et fatidique est la suivante : si les travailleurs le font, comment cela s’articulera-t-il et avec quelle perspective de classe ? Avec quelle disposition des forces de classe organisées, et avec quelle approche entreront-ils dans le vaste champ de bataille de la lutte de classe ? Il est évident que leur première mesure devrait être d’arrêter le cycle de travail et la production du capital à un niveau étendu et dans l’ensemble du pays. La classe ouvrière a fait cela de nombreuses fois dans l’histoire, mais pas pour ses propres revendications de classe, pas de sa propre volonté, pas avec sa propre stratégie et approche de classe radicale, mais sur ordre de telle ou telle opposition bourgeoise, de tel ou tel parti à la recherche du pouvoir politique, de telle ou telle mafia bourgeoise qui ont façonné le cours de la situation jusqu’à présent. Mais cette fois, le mouvement de la classe ouvrière peut renverser les fondements du passé et entrer sur le terrain de la lutte avec un nouveau plan et une forte volonté et détermination de classe contre le capitalisme. La classe ouvrière est capable de forcer la bourgeoisie islamique à libérer inconditionnellement tous les prisonniers en recourant à l’arrêt du cycle de travail et de production. Mais rester au même niveau de revendications, y compris la libération de tous les prisonniers politiques, ne constitue pas la fin de cette lutte de classe. La classe ouvrière doit surmonter le processus de répétition de l’échec historique, et doit arrêter pour toujours la machine bourgeoise d’exécution et de massacre en s’appuyant sur la grève à l’échelle nationale. Parce que c’est un petit pas dans la direction de l’exercice du pouvoir et de l’imposition de sa volonté de classe anticapitaliste contre le régime dominant du capital, et l’étape suivante peut être de se préparer aussi largement que possible à exercer davantage de pouvoir de classe. Des dizaines de millions de travailleurs rebelles et protestataires […] peuvent transformer leur soulèvement et leur grève nationale en un pouvoir organisés des conseils anticapitalistes. La classe ouvrière, avec ce pouvoir et l’étendue de sa formation et de son organisation, devrait prendre la voie de la prise de contrôle des centres de travail et de production, et de cette façon, marginaliser les plans et les approches de tout type d’opposition bourgeoise de gauche ou de droite. Par cette approche radicale, mettre en œuvre la manière de reprendre des mains de la classe capitaliste le fruit du travail et de la production de plusieurs générations de la classe ouvrière. Tout cela peut être réalisé et c’est le seul vrai moyen d’arrêter toutes les exécutions par le régime islamique.

Le fait de recourir aux solutions des gouvernements et des institutions capitalistes, de permettre à une poignée de démagogues avides de profits d’agir à leur guise, et de mendier leur soutien, n’est non seulement pas un remède à la douleur, mais cela empoisonne et pervertit le pouvoir de déterminer notre destin.

# Seul le pouvoir de l’unité de classe des travailleurs est capable d’arrêter la machine à exécuter du régime islamique du capital – décembre 2022

Lorsque certains travailleurs en Iran, en particulier ceux qui prétendent être des pionniers de la lutte des masses ouvrières, font tout un plat du soutien apporté par les dirigeants des syndicats britanniques et allemands, français, italiens et scandinaves en faveur des « droits syndicaux » de la classe ouvrière iranienne, il n’y a pas d’autre choix que de dire que l’histoire fait marche arrière ! Bien sûr, il y a là un aspect émotionnel, mais son expression et sa signification terrestres, matérielles et de classe c’est que la puissance envoutante du capital pour laver le cerveau des gens est des millions de fois plus importante que les systèmes sociaux précédents. Ce n’est qu’après le terrible bombardement criminel du Viêt Nam par l’armée américaine prédatrice qu’une poignée de ces dirigeants syndicaux, sous la forte pression du camp des travailleurs et de l’opinion publique, ont été contraints de prendre position. À aucun autre moment, ils n’ont fait entendre leur voix pour exprimer une solidarité de classe avec des travailleurs, où que ce soit dans le monde. Lors des litiges opposant les États capitalistes et lors des conflits militaires, les dirigeants des syndicats, qui sont indubitablement alliés de l’État capitaliste de leur propre pays, ont toujours travaillé au renforcement d’une section de la bourgeoisie contre une autre section dans d’autres pays. Les décideurs politiques et les dirigeants des syndicats font partie de la classe capitaliste des différents pays (ces derniers représentent la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier) et ils ont indéniablement une part importante dans la propriété et le pouvoir ainsi que des profits du capital dans les plus grands trusts. Les dirigeants syndicaux et les réformistes imposés au mouvement ouvrier sont complices de l’exploitation brutale des masses laborieuses du monde, et constituent également une partie importante de la structure du pouvoir politique civil et de l’État capitaliste. Chaque politique et décision qu’ils prennent vise à dissoudre et à intégrer le mouvement ouvrier dans l’ordre antihumain du capital et à enterrer toute protestation anticapitaliste de la classe ouvrière dans le cimetière du capitalisme. Les syndicats n’ont jamais, que ce soit pendant la période de carnage et de torture permanent du régime royal du capitalisme ou pendant l’instauration de la féroce bourgeoisie islamique, soutenu les luttes des masses ouvrières en Iran et n’ont même pas montré une quelconque forme de solidarité de classe avec les travailleurs iraniens. Lors du bain de sang et du massacre des prisonniers politiques en 1989, durant lequel sept mille combattants de la liberté ont été assassinés par les dirigeants islamiques du capital, malgré les grands efforts des forces de gauche en exil, aucun de ces syndicats et de leurs dirigeants n’a voulu écrire la moindre ligne de protestation contre ce génocide. Ils ont simplement gardé le silence et ne se sont pas préoccupésLa voix de la colère se fait entendre en Iran

Une fois de plus, les yeux des militants communistes du monde entier se sont tournés vers l’Iran, en tant que champ de bataille du gigantesque bouleversement prolétarien, un autre dans la série de confrontations de classe qui a secoué l’Iran et la région environnante au cours de la dernière décennie.

Téhéran, le 16 septembre 2022 – Mahsa Amini meurt après avoir été arrêtée et brutalement battue par la police religieuse iranienne, accusée de ne pas porter son foulard conformément à la loi stupide de l’islam. L’une des nombreuses idéologies imposées par la classe dirigeante afin de cimenter en nous la fausse conscience de la communauté interclasse – la religion ; dans ce cas, l’une des variantes du conte de fées abrahamique sur l’homme invisible vivant dans le ciel. La révolte qui s’en est suivie, contre le système iranien d’apartheid sexuel et l’appareil d’État employé pour le mettre en œuvre, en tant qu’expression particulière de la violence de l’État, a déclenché le vaste mouvement prolétarien qui s’est répandu dans tout le pays, attaquant sur tous les fronts les fondements idéologiques, sociaux et économiques de la société bourgeoise sur le territoire de l’Iran. Certaines des tâches que ce mouvement a assumées, bien que de manière insuffisante et incomplète, comme la tâche d’identifier et d’attaquer les points stratégiques de l’infrastructure de l’État, de désarmer les forces répressives et de s’armer, etc. font partie des tâches que le prolétariat devra assumer dans la phase insurrectionnelle de la révolution communiste mondiale.

Si le meurtre de Mahsa a été l’étincelle du mouvement et la révolte des femmes prolétaires contre le voile le souffle qui a attisé les flammes, son carburant a été l’expression brutale de la domination du Capital sur le territoire de l’Iran – exploitation, misère, aliénation, guerre… et l’histoire de la lutte de notre classe contre lui. Une lutte difficile et violente avec des victoires et des défaites. Avec l’expérience de la camaraderie lorsque nous avons affronté le CGRI (les fameux « Corps des gardiens de la révolution islamique » ou Pasdaran) et la milice Basij dans des batailles de rue meurtrières, lorsque nous avons fait grève et paralysé pour un moment la machine inhumaine de l’exploitation capitaliste, lorsque nous avons discuté ensemble, organisé et planifié les stratégies de la lutte. Avec la joie apportée par le moment de la victoire, en brûlant un poste de police, une mairie ou une mosquée, en faisant trembler de peur les fonctionnaires du régime. Avec la haine et la colère brûlantes envers nos exploiteurs lorsqu’ils nous soumettent à leur horrible violence – fusillades, coups, torture, viol, emprisonnement, harcèlement, surveillance, lavage de cerveau, atomisation…

Au moins depuis 2017, la société iranienne est dans un état d’agitation semi-permanent avec des périodes continues de manifestations de rue militantes, de confrontations avec les forces de répression, de grèves, d’occupations d’universités et de lieux de travail, etc. – pour diverses raisons économiques et politiques telles que les prix de l’essence et de la nourriture, le manque d’eau potable, le non-paiement des salaires, la violence de l’État, l’implication de l’Iran dans divers conflits régionaux. Ils diminuent temporairement à chaque fois en raison d’une combinaison de facteurs externes et internes. D’une part, cela est dû à un grand effort de l’État pour les réprimer par une brutalité exceptionnelle, des restrictions de l’information, des cycles de mobilisations de partisans et des promesses de réformes censées résoudre les problèmes les plus scandaleux. D’autre part, le déclin périodique du mouvement provient des limites du mouvement lui-même, qui reste largement isolé des luttes menées ailleurs et se préoccupe des conditions de vie concrètes et misérables en Iran et, dans le meilleur des cas, du renversement du régime bourgeois actuel qu’il tient pour responsable.

Il convient de mentionner que jusqu’à présent, le mouvement n’a pas été en mesure de déstabiliser suffisamment l’État, même si, dans ses moments les plus forts, il ait partiellement assumé certaines des tâches nécessaires pour y parvenir.

Les minorités militantes vont plus loin et mettent en avant la négation de l’ensemble de la société capitaliste, mais dans le rapport de forces actuel, elles ne constituent pas une force matérielle capable de l’imposer comme direction du mouvement.

Afin de mieux illustrer le contexte social du mouvement de classe actuel en Iran, rappelons brièvement, sans aucune ambition de chronologie complète des événements, les luttes de classe les plus importantes en Iran au cours de ces dernières années.

Le 28 décembre 2017 à Mashhad, des manifestations militantes ont éclaté pour protester contre la hausse des prix des produits de première nécessité comme le riz et le pain et contre la réduction des allocations de chômage. L’État a bien sûr réagi violemment, mais cela n’a pas entraîné l’arrêt des manifestations, mais plutôt leur escalade et leur propagation d’abord à Téhéran, puis à toutes les grandes villes d’Iran. Ce fut le début de la plus grande vague de lutte de classe qu’ait connue l’Iran depuis des décennies, avec une expropriation absolument généralisée des marchandises, l’incendie des bâtiments administratifs, y compris les bureaux des mollahs, les commissariats de police et les quartiers généraux de la milice Basij. Les formations prolétariennes les plus avancées ont également tenté (quoique rarement) de piller les caches d’armes des forces de répression, de s’armer et d’utiliser les armes acquises contre l’État. Parmi les expressions programmatiques les plus avancées de ce mouvement figurait le slogan « De Gaza à l’Iran, à bas les exploiteurs ! » (voir notre bulletin n°6). Il s’agissait d’un cri de ralliement du mouvement contre l’implication de l’Iran depuis des décennies (et qui se poursuit) dans la guerre capitaliste régionale aux côtés de « l’axe chiite ». En même temps, il s’agissait d’une rupture défaitiste révolutionnaire claire avec les courants nationalistes, qui mettait en avant la paix capitaliste comme seule alternative à la guerre, avec sa devise « Ni Gaza, ni le Liban, je ne mourrai que pour l’Iran ! ».

Après la répression brutale de l’État, qui a coûté la vie à des centaines de nos frères et sœurs de classe, les manifestations de rue se sont temporairement calmées – du moins, c’est ce que souhaiteraient nos ennemis de classe. En réalité, la forme de la lutte de classe a plutôt évolué vers des manifestations et des grèves plus diffuses dans de nombreuses industries, notamment l’extraction pétrolière, la production de sucre, le transport routier, les chemins de fer et les écoles. En février 2018, une nouvelle vague de manifestations et d’émeutes a éclaté dans la province d’Ispahan, s’étendant ensuite aux provinces du Khouzistan et de Bouchehr, pour protester contre le manque d’eau potable. Le manque d’eau ou sa mauvaise qualité a été à l’origine de nombreuses manifestations en Iran (ainsi que dans l’Irak voisin).

En novembre 2019, la tension sociale a culminé dans un nouveau soulèvement, après l’augmentation de 200% du prix des carburants. Les manifestants ont à nouveau incendié des postes de police, des centres de la milice Basij, des mosquées et des maisons d’imams, ils ont bloqué des autoroutes et des voies ferrées et organisé le pillage de l’essence dans les stations-service et dans les réserves du gouvernement. L’éruption a une fois de plus été réprimée par la combinaison de la force (au moins 1 500 prolétaires assassinés), d’une campagne de censure et d’une coupure d’Internet, ainsi que par le rétablissement de subventions partielles pour le carburant, dans le but de supprimer la cause immédiate des mobilisations de classe. Le mieux que la bourgeoisie du territoire iranien ait pu obtenir avec cet effort a été de prolonger son agonie pendant un certain temps et de repousser de quelques mois l’inévitable résurgence du mouvement. C’est en partie parce que la fraction locale de la bourgeoisie (tout comme n’importe quelle fraction locale de la bourgeoisie n’importe où dans le monde d’ailleurs), ne contrôle pas totalement les conditions économiques locales et ne peut pas prédire quand elle devra attaquer les conditions de vie du prolétariat afin de préserver sa propre marge de profit. Mais surtout, c’est parce que les prolétaires en lutte en Iran ne se laissent pas si facilement enfermer dans la séparation bourgeoise entre revendications « immédiates » et « historiques » ou « économiques » et « politiques », quels que soient les efforts déployés par toutes les forces sociales-démocrates en Iran et à l’étranger pour essayer de se repaître des concepts bourgeois intériorisés au sein du mouvement de classe et de les faire gonfler afin de le canaliser. Dans les rues et sur les places, dans les ateliers, les usines d’Iran et dans les campagnes, il y a une prise de conscience généralisée (bien que superficielle) du lien entre les pénibles conditions de travail et de vie au quotidien et l’existence des structures de l’État qui sont là pour les appliquer.

En janvier 2020, des milliers de manifestants ont affronté les forces de sécurité à l’université de Téhéran ainsi que dans d’autres lieux après qu’un avion de ligne ukrainien ait été abattu par le Corps des gardiens de la révolution islamique. L’État a réagi par des arrestations massives, mais aussi par des « aveux » et des « excuses » politiques – quelques cadres moyens du CGRI ont été limogés. Le Covid-19 a frappé l’Iran de plein fouet, ce qui n’a pas manqué d’arranger les dirigeants locaux. Leur « stratégie de gestion du Covid », qui a entraîné la mort de dizaines de milliers de personnes, leur a néanmoins donné une arme supplémentaire pour étouffer l’agitation et, à l’exception des émeutes de prisonniers décimés par l’infection, ils sont parvenus pendant un certain temps à imposer une fragile façade de paix sociale.

Cette situation a duré jusqu’en 2021, lorsque des émeutes massives ont éclaté dans la province du Sistan-Baloutchistan contre la brutalité de l’État après que le Corps des gardiens de la révolution islamique, de concert avec les gardes-frontières pakistanais, ait massacré des dizaines de marchands ambulants pour avoir fait passer du pétrole en « contrebande » à travers la frontière. Enfin, au cours des mois chauds de l’été 2022 qui ont conduit aux derniers bouleversements, les manifestations violentes ont repris pour protester contre le manque d’eau potable (et à nouveau comme dans l’Irak voisin) et la hausse vertigineuse des prix des denrées alimentaires.

La première manifestation après le meurtre de Mahsa Amini a eu lieu le jour même devant l’hôpital Kasra de Téhéran où elle est décédée, et a été suivie d’une autre le 17 septembre après son enterrement dans sa ville natale de Saqqez. À partir de là, le mouvement a rapidement fait boule de neige et s’est étendu à toutes les grandes villes ainsi qu’à de nombreuses petites villes dans toutes les provinces. Dès le début, le mouvement a été mené par de jeunes femmes prolétaires qui ont arraché et brûlé leurs foulards, symboles de leur oppression, du harcèlement et de la violence fondés sur la stupide morale abrahamique, et qui se sont réapproprié l’espace public contre les règles limitant leur rôle social à celui de « femmes au foyer ».

Mais la révolte ne s’est pas limitée à la question du voile. Les séparations sociales, qui sont, d’une part, imposées à notre classe par les idéologues bourgeois et, d’autre part, intériorisées par les prolétaires à travers leur socialisation dans la famille, l’école, la mosquée ou l’armée, se sont effondrées. Le mouvement a pratiquement aboli toutes les différences entre les femmes prolétaires qui vendent leur force de travail aux capitalistes directement (c’est-à-dire celles qui « ont un travail ») et celles qui sont confinées à la vendre indirectement à travers les « tâches domestiques » pour la reproduction de la force de travail de leurs maris et de leurs fils (c’est-à-dire celles qui sont « des femmes au foyer ») ; ainsi que toutes les différences d’âge et d’éducation.

Il est important de noter que la révolte a également attaqué de front l’un des piliers centraux de la mutation locale de l’idéologie bourgeoise dominante depuis la « révolution islamique » – la séparation sociale institutionnalisée et l’inégalité entre les sexes. Les manifestantes se sont mêlées publiquement, ont discuté et se sont organisées directement avec leurs frères de classe masculins. Ensemble, elles et ils ont affronté les forces de la police « morale » et « normale », le CGRI et la milice Basij, elles et ils ont saccagé leurs casernes, ainsi que des banques, des mosquées et des administrations publiques. Les hommes prolétaires ont été poussés à affronter les contradictions inhérentes à la complexité de leurs propres rôles sociaux – travailleur, soldat, mari, père, musulman, citoyen… Leur ennemi de classe, qui les faisait trimer tous les jours, exploitant leur force de travail, qui les envoyait à la guerre dans toute la région, qui les emprisonnait, les torturait et les tuait chaque fois qu’ils résistaient à leurs conditions de vie, et qui tuait maintenant leurs filles, leurs épouses et leurs sœurs pour avoir simplement enlevé leur voile, attendait toujours d’eux qu’ils soutiennent son récit idéologique de la sainte trinité de la famille, de la nation et de la religion.

Pourquoi cette expression particulière des rôles de genre est-elle si importante pour la stabilité du régime bourgeois existant sur le territoire iranien ? Non seulement parce qu’il tire son idéologie centrale de la morale abrahamique (islamique) et de ses règles patriarcales traditionnelles, mais aussi parce qu’elles faisaient partie intégrante de la stratégie sociale-démocrate du « Conseil révolutionnaire islamique (CRI) » – précurseur du régime actuel – visant à faire dérailler, à contenir et finalement à écraser l’insurrection prolétarienne de 1978-1979.

Ce mouvement a déchiré la société bourgeoise du régime des Pahlavi – d’innombrables grèves et occupations d’usines ont conduit à la création de conseils ouvriers (shuras), l’une des formes d’auto-organisation du prolétariat, organisant à la fois la lutte et la satisfaction des besoins quotidiens des prolétaires en lutte. Lorsque la fraction locale de la bourgeoisie a envoyé l’armée pour réprimer les insurgés, elle n’a obtenu en retour qu’une série de mutineries, de sabotages et de fragging d’officiers. Les palais de Pahlavi, les quartiers généraux militaires, les prisons et les centres de torture de la SAVAK (la police secrète du Shah), les ministères et les bâtiments des institutions de l’État furent incendiés. Les prolétaires fraternisèrent avec leurs frères de classe en uniforme et les minorités les plus avancées nouèrent des liens militants avec des camarades d’autres pays (Irak, France, Royaume-Uni…). Il va sans dire que, comme dans tout mouvement prolétarien militant et généralisé, les séparations bourgeoises intériorisées par notre classe en temps de paix sociale ont commencé à voler en éclats. Des femmes prolétaires ont participé activement à tous les aspects de la lutte aux côtés des hommes. Dans sa subversion de la société capitaliste, le mouvement de 78-79 est allé au-delà des besoins immédiats de la lutte. Dans une unité dialectique de la pratique et de la théorie, la minorité militante du mouvement a également produit son propre niveau de rupture théorique avec les rapports sociaux capitalistes basés sur l’exploitation du travail humain et l’existence aliénée et atomisée qu’elles reproduisent. Cela incluait la critique de ses expressions genrées comme l’hypersexualisation des femmes, la marchandisation des relations intimes, etc.

Petite parenthèse : il est typique que les féministes occidentales, qui acclament le mouvement en Iran comme une « révolution féminine », soient capables de reconnaître et de critiquer les expressions de « l’oppression des femmes » à la fois en Occident et en Iran, mais les traitent toujours séparément les unes des autres et de leurs racines capitalistes.

Dans le cadre de sa tentative de canaliser le mouvement, le CRI (et ses futures victimes gauchistes, mais à ce stade toujours alliées au Front uni, comme le MEK/PMOE, divers léninistes, etc.) a fait ce que la social-démocratie historique a fait à maintes reprises dans le passé : elle a prétendu partager la critique de ces aspects de la vie dans la société capitaliste, mais a proclamé que ces choses étaient le produit de « conditions politiques spécifiques », occultant ainsi leurs racines dans le mode de production capitaliste. Dans ce cas, les conditions spécifiques ont été déclarées être « la décadence de l’impérialisme occidental ». Comme alternative, le « Front uni d’Iran » a proposé le retour à la fausse « communauté des ancêtres », « de la vie simple », « de la vie naturelle » – en l’occurrence celle de la « Oumma », mais on peut mettre dans la même catégorie l’« Obchtchina » russe idéalisée par Kropotkine et Lénine. Dans ce passé mythique, qui n’a en réalité jamais existé, les contradictions sociales étaient moins importantes. Chacun jouait son rôle « naturel » dans cette communauté et en était un membre respecté et protégé – y compris les femmes. La révolution signifie alors le renouvellement de ce fantasme et son raffinement idéologique et structurel sous la direction du « parti » (dans ce cas, le CRI).

Ce rôle central de la question de l’« apartheid sexuel » dans les racines idéologiques du régime des mollahs signifie que tout mouvement la remettant en question (ainsi que son expression symbolique : le voile) ne laisse pas à la fraction bourgeoise au pouvoir une grande marge de manœuvre et de compromis pour canaliser la rage des manifestants. L’opposition au voile s’est développée organiquement au sein du mouvement prolétarien et est liée à d’autres revendications sociales, elle est largement répandue au sein d’une minorité radicalisée de femmes et d’hommes prolétaires et est directement liée à la violence brutale de l’État. Cela en fait un agent catalyseur très puissant pour la confrontation militante avec le pouvoir de l’État.

Bien sûr, cela ouvre aussi la porte à la faiblesse de trop se concentrer sur l’opposition à la forme politique actuelle de l’État et aux forces bourgeoises opposantes de se présenter comme une alternative politique et d’essayer de détourner le mouvement de son caractère de classe – comme nous avons pu le voir lors des « manifestations du parc Gezi » en Turquie (en 2013) ou des « manifestations des Gilets Jaunes » en France (en 2018-19) (voir nos bulletins n°9 et 10). Mais pour autant que nous puissions le voir et comme l’attestent les camarades des Travailleurs anticapitalistes d’Iran, le mouvement rejette jusqu’à un certain point toute tentative de ce type et les forces d’opposition bourgeoises n’ont quasi aucune importance, ce qui ne les empêche pas de s’organiser en tant que force réactionnaire anticommuniste. Comme le disent les camarades :

[…] les oppositions éteintes de la bourgeoisie, des réformateurs aux partisans de la monarchie, des milices de gauche et de droite aux sectes nationalistes et aux partis de gauche fascinés par le pouvoir politique, tous prétendent encore être une alternative ! Et ils affirment que le problème des travailleurs est l’absence de leader et de force au-dessus des travailleurs pour les diriger. C’est-à-dire qu’ils s’autoproclament le sauveur de la masse des travailleurs. Dans la situation actuelle, ils ne peuvent jouer aucun rôle, mais lors d’un soulèvement général et de l’incapacité du régime à défier les soulèvements et l’absence d’un mouvement de conseil de la classe ouvrière, ils essaieront d’élaborer les scénarios les plus catastrophiques pour les masses laborieuses sous la bannière des pôles du capital mondial.

Déclaration des travailleurs anticapitalistes d’Iran

Juste une petite remarque : bien que nous considérions les conseils ouvriers comme une forme historiquement importante de l’organisation révolutionnaire prolétarienne, nous ne la revendiquons pas nécessairement par rapport aux autres formes, car la forme n’a jamais été une garantie du contenu révolutionnaire. Pour le reste, nous partageons bien entendu la position de ces camarades.

Une autre illustration claire de la faible capacité de l’opposition bourgeoise (en l’occurrence la fraction pro-Pahlavi) à canaliser le mouvement est le slogan très répandu « Mort aux oppresseurs, qu’il s’agisse du Shah ou de l’Ayatollah ». D’après les rapports dont nous disposons, ainsi que les vidéos des manifestations qui circulent en ligne, nous pouvons dire qu’il ne s’agit pas d’une position limitée à la minorité militante du mouvement, mais qu’elle est partagée par une grande partie du mouvement – des manifestants dans les rues et les écoles de Téhéran aux travailleurs agricoles en grève.

Les grèves ouvrières ont en fait constitué une partie du mouvement depuis le début et ont touché de nombreux secteurs, de la production de pétrole et de gaz (le plus important pour l’économie iranienne) à la production de sucre (y compris les travailleurs militants de l’usine de sucre Haft Tapeh), en passant par les écoles et les universités. Les camionneurs se sont également mis en grève et ont bloqué les autoroutes avec leurs camions afin de paralyser la circulation des marchandises. La tactique du blocage des routes a également été utilisée à maintes reprises par les masses de travailleurs issus de divers types d’emplois informels et de chômeurs.

En fait, le mouvement de grève a précédé les manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa et se poursuit depuis des années avec une intensité et une portée variables. Toutefois, la différence qualitative réside ici dans le niveau de convergence consciente et pratique des luttes dans la rue et sur le lieu de travail. En effet, les travailleurs de l’industrie sucrière et pétrolière se sont mis en grève cette fois-ci pour exprimer la colère de notre classe après l’assassinat de Mahsa et en solidarité avec les manifestants arrêtés et les étudiants radicaux qui occupent l’université de Téhéran. Les grévistes de l’industrie pétrolière envoient leurs délégations participer aux manifestations de rue et aux émeutes, tandis que les étudiants et les autres manifestants se rendent sur les lieux de travail occupés. Ces types de liens militants se développent organiquement et émergent plus fortement que lors des mouvements prolétariens de masse de ces dernières années.

Malgré ce que nous venons de dire, nous devons admettre que, d’après les informations dont nous disposons, les derniers bouleversements en Iran ont conservé une forme dominante de mouvement de protestation dans la rue. Les manifestations ont été massives et violentes et ont souvent pu contrôler totalement les rues et les places et faire craindre pour leur vie les bourgeois iraniens et leurs chiens de garde. L’économie a été affectée, mais elle était loin d’être complètement à l’arrêt. Les grèves ont été nombreuses et conflictuelles, mais pas suffisamment étendues pour arrêter complètement la production. De plus, si certains lieux de travail ont été occupés, la question de l’expropriation des moyens de production et de leur mise au service des besoins de la lutte n’ont pas été imposée dans la pratique.

De même, l’appareil répressif de l’État a été quelque peu ébranlé par des refus d’obéir aux ordres et des désertions de la part de simples soldats. On rapporte même que certains membres de la milice Basij ont changé de camp. Dans l’ensemble, l’impact de l’agitation révolutionnaire et de la fraternisation n’a pas été assez fort pour paralyser la capacité de l’État à réprimer le mouvement, comme en témoigne le bain de sang qui s’en est suivi.

L’État iranien a déchaîné toutes ses forces pour écraser la rébellion. La police, la police religieuse, le CGRI, les bassidjis, l’armée et des groupes de salopards loyalistes armés jusqu’aux dents, dans des véhicules blindés, ont déferlé sur les quartiers prolétaires en tirant et en tuant à gauche et à droite, au cours de raids nocturnes, en faisant sauter les portes des universités et des usines occupées avec des explosifs pour arrêter ceux qui se trouvaient à l’intérieur, en arrêtant et en tabassant brutalement les parents des organisateurs connus de la lutte, en empoisonnant des centaines d’écolières pour se venger de leur désobéissance. Des milliers de personnes ont été assassinées, certaines exécutées publiquement, des dizaines de milliers ont été emprisonnées et sauvagement torturées. Dans le même temps, les moyens de communication ont été sévèrement restreints, les réseaux cellulaires et l’internet étant coupés dans de nombreuses régions d’Iran.

Et comme toujours, l’État a lancé l’offensive de propagande en qualifiant notre classe de « terroristes », d’« apostats » et d’« agents étrangers ». Comme toujours, tous leurs efforts consistent à reproduire les fausses communautés de la nation et de la religion afin de nier l’existence des intérêts de classe opposés entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ils promettent des « réformes », une « meilleure gestion » et de la « bienveillance » en échange d’un retour discipliné des masses prolétariennes de la rue à leur domicile individuel, à leur lieu de travail individuel, à leur famille individuelle. Acceptez votre existence atomisée et aliénée de travailleur et de citoyen obéissant !

En raison de l’épuisement et de la répression brutale, la rébellion de classe en Iran est maintenant en phase descendante, mais pas vaincue. En juin 2023, les affrontements entre les émeutiers et les forces de répression se sont poursuivis, bien que de manière sporadique. Nous nous attendons à ce que l’Iran soit à nouveau au premier plan de la lutte mondiale de notre classe.

L’Iran (et la région du « Moyen-Orient » en général) a été le fer de lance du mouvement prolétarien mondial pendant des décennies et nous avons vu les cycles de violence incroyablement brutale de l’État à son encontre et les campagnes de propagande incessantes à de nombreuses reprises dans le passé. Pourtant, cela n’a pas empêché l’explosion de tant de rébellions prolétariennes – de l’insurrection irakienne de 1991 (voir notre bulletin n°3), en passant par le « printemps arabe » avec des points culminants en Égypte et en Tunisie (voir notre bulletin hors-série), jusqu’aux « manifestations du parc Gezi » en Turquie et aux mouvements récurrents dans les territoires du Liban, de l’Iran et de l’Irak à nouveau au cours de la dernière décennie (voir nos bulletins n°11 et 14).

Nous avons observé que la tendance de ces luttes (à l’échelle mondiale, mais le « Moyen-Orient » est une fois de plus à l’avant-garde dans ce sens) est leur caractère récurrent et leur continuité, où bien que l’étincelle qui a déclenché le soulèvement puisse être une raison immédiate, les confrontations de classe ne se produisent jamais simplement dans la bulle autonome du moment. Souvent, le mouvement de grève se déroule en parallèle et entre les grandes explosions, et les mouvements précédents sont consciemment référencés, analysés et des leçons en sont tirées par une large minorité radicale. En d’autres termes, il existe une certaine continuité militante.

Nous insistons toujours sur le fait que la meilleure façon de soutenir la lutte de classe dans l’autre partie du monde est de se soulever et de lutter contre notre propre exploitation dans « nos propres » pays, c’est-à-dire là où la valeur est directement extraite de notre propre travail, et d’attaquer « notre propre » bourgeoisie et son État là où sa violence et sa domination idéologique nous affectent directement.

Ceci est particulièrement vrai dans la période que nous vivons, une période de polarisation croissante des fractions bourgeoises mondiales en super-blocs économiques, politiques et militaires opposés. Nous devons soustraire notre force de travail à la machinerie de pacification capitaliste (idéologique et/ou militaire) prête à toujours « apporter la paix et la démocratie » partout dans le monde où le prolétariat relève la tête. En effet, nous devons l’attaquer et la dénoncer ! L’armée iranienne et le CGRI sont impliqués, par le biais de divers intermédiaires, dans les différents conflits militaires autour du « Moyen-Orient » (nous avons brièvement discuté de cela et des intérêts économiques connexes dans nos textes précédents sur l’Iran) et sont maintenant également impliqués aux côtés de la Russie dans le conflit en Ukraine. Les mercenaires et « consultants » iraniens sont sur les champs de bataille ukrainiens et les drones tueurs iraniens bombardent les villes ukrainiennes.

Seule une résistance de classe coordonnée, à la fois sur le front militaire sous forme de refus des ordres, de désertions, de fragging et de mutineries, et sur le front intérieur sous forme de grèves, d’émeutes et de blocages – en accordant une attention particulière à l’arrêt de la production et de l’envoi d’armes sur le front, au retour des troupes et au refus d’accepter l’attaque contre les conditions de vie du prolétariat dans l’économie de guerre – peut mettre un terme à la férocité de la guerre capitaliste. Mais pas en faveur de la paix capitaliste, qui n’est rien d’autre qu’un éternel interbellum, c’est-à-dire une période de préparation du prochain cycle de carnage militaire et en soi une continuation de la guerre de classe contre notre classe. A la guerre capitaliste comme à la paix capitaliste, nous devons opposer les positions révolutionnaires défaitistes contre tous les camps bourgeois et en faire une guerre de classe globale !

Nous appelons également à la solidarité prolétarienne internationale avec nos frères et sœurs de classe en Iran.

Nous pouvons les aider en attaquant les intérêts et les représentants de l’État iranien (à la fois le régime et l’opposition) là où nous vivons. Transformons en enfer la vie des bouchers actuels et passés (et potentiellement futurs) du prolétariat en Iran !

Ceux d’entre nous qui vivent dans les régions géographiquement proches doivent assumer la tâche d’abriter les militants prolétariens d’Iran de l’horrible répression étatique à laquelle ils sont confrontés, de les aider à se regrouper et de les soutenir matériellement (comme tentent de le faire de nombreux militants de classe sur le territoire irakien).

La tâche la plus importante des militants de classe dans le reste du monde est de clarifier et de défendre la nature prolétarienne du mouvement en Iran contre toutes les sortes de falsifications bourgeoises et d’aider à diffuser le matériel des collectifs communistes d’Iran, comme par exemple les camarades des Travailleurs anticapitalistes d’Iran, de discuter et de s’organiser avec eux au sein d’une communauté mondiale de lutte.

Notre objectif, en tant que communistes, est la destruction totale du capitalisme et de son État et son remplacement par une communauté humaine sans classe grâce à la révolution communiste mondiale. Bien sûr, la récente rébellion de classe en Iran n’est en soi rien de tel – car limitée à la fois géographiquement au territoire d’un seul État et dans la profondeur de sa rupture avec la totalité de la réalité capitaliste. Néanmoins, non seulement nous la considérons comme l’une des expressions les plus importantes de la lutte des classes de notre époque, mais nous voudrions insister sur le fait que nous la considérons comme une partie intégrante du mouvement historique du prolétariat contre son exploitation. En effet, chaque expression de notre classe, même partielle et temporaire, tendant à la destruction des rapports sociaux capitalistes, ouvre consciemment, mais plus souvent inconsciemment, la voie au communisme par sa pratique, ses leçons et ses erreurs, par ses victoires et ses défaites, par sa réappropriation du programme révolutionnaire.

Pour que la révolution soit possible, des confrontations de classes comme en Iran, mais encore plus profondes, doivent se développer dans le monde entier. Compte tenu de la réalité de la phase de préparation de la nouvelle guerre mondiale et de la catastrophe écologique dans laquelle nous vivons, c’est peut-être la seule option pour la survie de l’humanité.

La Révolution ou la Mort !!!

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