Je suis pas venu⋅e à la manif

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Manif 5 compléments

Je suis pas venu⋅e, parce que je sais plus bien ce qu’on fait. Je sais pas ce qu’on cherche, je sais pas si notre stratégie est claire, même pour nous.

Je vous écris parce que je suis pas venu⋅e à la manif. Pas parce que j’étais occupé⋅e, mais parce j’ai décidé de rester chez moi, et ça m’était pas arrivé depuis longtemps, depuis ce printemps où on s’est redécouvert⋅s nombreu⋅ses⋅x à plus supporter ce monde. Je suis pas venu⋅e, parce que je sais plus bien ce qu’on fait. Je sais pas ce qu’on cherche, je sais pas si notre stratégie est claire, même pour nous.
Le 12 septembre, quand on se battait avec le SO de la CGT et qu’ils nous disaient à nous, le cortège de tête, de nous barrer, que sans nous les manifestations se passeraient bien, je me suis dit qu’ils avaient un peu raison. Que si le cortège de tête était pas là, ce serait tout simplement ces fameux défilés morbides contre lesquels le cortège de tête est apparu. Et ça irait très bien à beaucoup de monde, aux manifestant⋅e⋅s syndica⋅ux.les comme aux forces de l’ordre et au pouvoir, si tout se passait bien.

On est donc là pour que tout se passe pas bien. C’est ça qu’on disait. Mais alors il faut assumer cette stratégie qui semble être la nôtre sans jamais avoir été énoncée : on est une force qui cherche à provoquer des heurts, et qui dit heurts dit répression, répression qui tendra à radicaliser celles et ceux qui habituellement la subissent pas.
Si c’est pas ça notre stratégie, alors il faut m’expliquer ce qu’elle est. Dans les faits, c’est ça qui existe. On est un élément perturbateur, qui attire la répression des forces de l’ordre, voire l’inimitié des personnes présentes en manifestation, sans concrètement mettre en danger l’économie et le système critiqués. Si c’est ça notre stratégie il faut l’assumer et être bien meilleur.e.s sur la communication vis-à-vis de cette répression qui finit par toucher même les « bon⋅ne⋅s manifestant⋅e⋅s ». Expliquer que c’est ça, le vrai visage de l’État, et depuis toujours. Pas juste tenter d’apitoyer les gens, pas juste attendre que chaque personne dans ce pays ait connu quelqu’un⋅e qui se soit fait tabasser/agresser/harceler/enfermer par la police et la justice.

J’ai été hyper enthousiasmé⋅e par la naissance du cortège de tête, par tout ce qu’on a tenté, réussi, raté, découvert, appris, pendant et après le premier mouvement contre la loi travail. Mais je sais plus bien ce que provoquent les bris de vitres, les tags, les blocages, les éternelles tentatives de manifs sauvages, les heures passées à attendre des ami⋅e⋅s nassé⋅e⋅s⋅ J’ai l’impression de foncer dans le panneau, de juste attirer la répression sans plus trouver grand chose de réjouissant, et même de profiter des quelques millimètres de liberté qu’on nous laisse en m’en contentant, en me disant qu’au moins on fait quelque chose, comme si c’était réjouissant de faire des rassemblements devant des TGI toutes les semaines.

Ce qui a semblé se déconstruire dans l’opinion publique vis-à-vis du bloc, des casseu⋅ses⋅rs, de l’autonomie et d’une réflexion politique plus radicale et sensible grâce à des textes intelligents et beaux a pas suffi, et on dirait qu’il faut continuer à expliquer aux mêmes personnes les mêmes choses, sans arrêt. Et on se voile la face pour pas voir que notre petit milieu retourne vite se fermer sur lui-même si on y prête pas garde.

Je vous écris parce je suis pas venu.e à la manif, parce que c’est de nouveau difficile de s’y sentir bien, parce qu’il y a encore et toujours des comportements qui pour moi collent pas avec une certaine idée de la bienveillance, et parce que je sais plus si on fait certaines choses parce qu’on a l’habitude de les faire ou parce qu’on les a vraiment réfléchies. Ou parce qu’on a envie de se la donner, tout simplement.
J’ai peur que nous aussi on devienne vie⋅illes⋅eux dans nos têtes, qu’on devienne du folklore dont on se lassera parce que tout le monde aura bien ramasse. J’ai l’impression qu’on oublie de prendre nos raisons d’être présent.e.s à leur base, qu’on oublie de prendre nos idées à leur base, qu’on s’est fait avoir par ces lectures spontanéistes qui ont enjouées beaucoup de monde à un moment mais qui peuvent aussi être une façon de plus trop se poser de questions. J’ai peur qu’on devienne la caricature que faisaient et que font encore de nous les médias, et qu’on dénonce, et qui étaient fausses. Et j’ai super peur aujourd’hui d’avoir des doutes sur leurs faussetés quand je vois les comportements de certain.e.s (plutôt certains) en manif (cf. 23 septembre à Paris).
J’ai l’impression que cette stratégie d’avant-garde provocatrice colle pas à cette époque, que nos idées et nos méthodes aussi peuvent être noyées dans le flot continu d’informations et de loleries qu’on scrolle en tirant sur un joint. J’ai l’impression de toujours être dans un entre-deux, de pas arriver à créer sur le plan humain des choses véritablement rejoignables et festives, enthousiasmantes, et de l’autre de nous sentir incapables de se poser dans une opposition radicale violente et soutenue, qui mettrait véritablement à mal les gens en face. Sur ce point, merci aux grenobloi⋅se⋅s incendiaires qui ont été un des rares vrais rayons de soleil de cette rentrée.

Je suis pas venu.e à la manif, je viendrai sûrement aux prochaines, j’ai écrit pour m’expliquer au moins à moi-même pourquoi j’étais pas venu.e, c’était sûrement pas clair et à développer, c’est sûrement un peu bordélique et naïf, mais j’ai peur qu’il y ait des questions qu’on se pose pas, qu’on se pose plus, par flemme, par habitude, par confort, et ce serait vraiment le plus triste, de se créer nous-mêmes de nouvelles cases merdiques. Il y a tout un tas de personnes qu’on rate, qui pensent de belles choses et qui malgré tout sont pas avec nous, parce qu’on se mouille pas assez, parce qu’elles ont peur, parce qu’on prend parfois trop de risques et parfois pas assez. Trop de risques face aux flics et à la répression, trop peu de risque face à celles et ceux qui pourraient participer à ce qu’on cherche à faire mais qui n’ont pas les codes, les paroles ou les « faits d’armes » qu’il faut.
On a moins de peur se cogner avec des CRS suréquipés que de communiquer les un⋅e⋅s avec les autres. De s’avouer que si on est là, c’est parce qu’on souffre de ce qu’est le monde et de notre impuissance à le changer. J’aimerais bien qu’on arrive à s’avouer qu’on est tristes, et que c’est ça qui donne la colère.
J’espère que tout le monde va bien. On se voit à la prochaine.

Un⋅e membre du cortège de tête.

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  • Le 16 octobre 2017 à 13:18, par

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    Comptant de voir que d’autre personnes se pose ce genre de question. Merci ce texte qui je pense parlera a plus d’un.
    J’espère qu’il parlera également aux membres d’orga qui fonctionne et propose la même chose que ce qui ce fait depuis des années (manif, concert, expo/debat ).
    Tant sur l’anticapitalisme que sur l’antifascisme, nos modes d’actions, de réactions et de réflexions sont archaïques et dépassé, et les nouvelles technologie n’ont rien changé (c’est peut etre même pire)

    Lorsqu’on tente de poser une nouvelle réflexion avec certain membres on a le droit à un « nous on se bouge, toi tu fait quoi ? », en bref le problèmes c’est toi parce que tu suis pas mouvance

    Internet est-il devenu le seul moyen d’expression libre même au sein de notre propre camp ? Si c’est le cas, c’est assez grave de devoir « être caché derrière un ordi » pour reprendre certains pour tenter d’amorcer un débat ou une réflexion. Parce que bon ya un moment où les débats et rélfexion de manif et concert, c’est un peu comme la philo dans un PMU... En général on va pas bien loin...

  • Le 14 octobre 2017 à 20:21, par Merlin

    Je partage tout à fait ton sentiment d’ennui par rapport aux dernières manifs à l’exception de celle du 12 sept ou la routine a été brisée par le « nassage » et la décision commune de bloquer le cortège.
    Sinon les scenarii prévisibles y compris dans les rituels de débordement ou dans l’idée fixe de prendre la « tête du cortège » même si cette pratique à un sens celui de s’affirmer en rupture de la manif traditionnelle et des organisations de « papa » le risque de folkloriser le phénomène en tombant le miroir narcissique. Effectivement le risque de nous couper du corps dont la tête fait partie ce serait oublier que sans ce « corps-tége » la tête n’est rien ! Peur de se mélanger au peuple dans lequel certains mettent par ailleurs tous leurs espoirs ,peut être ?

    L’avant garde d’un mouvement peut exister si elle ne se coupe pas de sa base en se marginalisant. Et nous avons vu suffisamment dans l’histoire révolutionnaire les dangers de l’élitisme messianique même dans le concours à la « radicalité »(dont ont été victimes par ex les situationnistes).
    Donc pour les paraphraser « le répétitif tue » dans nos vies quotidiennes comme dans nos luttes....Et le cycle action-répression où effectivement « on compte ses bosses »a toujours été mortifère et une impasse. Si les gens ne se révoltent pas suffisamment c’est que les sujets de scandales ou d’indignation sont trop nombreux et qu’ils masquent le scandale essentiel celui du creux de nos vies lorsqu’elles n’échappent pas à la domination marchande.

    Il nous faut donc inlassablement repenser nos modes d’action puisque les anciens sont devenus obsolètes même si nous les pratiquons encore et l’idée de « happenings » exprimée par DM mériterait d’être précisée si l’on veut que les grands rassemblements soient nourriciers pour la conviction, l’engagement et l’envie d’aller plus loin ensemble au lieu de nous déprimer. Les AG de luttes du Front Social sont un des lieux où ces questions peuvent être abordées.

    A bientôt

  • Le 13 octobre 2017 à 23:27, par SO

    Merci d’avoir écrit ce texte et merci aussi de l’avoir publié...
    Je ressens la même chose que toi...Je ne suis pas allé manifester pour la 1re fois depuis lgtps... Et je ne sais pas pourquoi. Mais là, tu as mis des mots sur mes pensées et ça fait du bien de voir qu on est pas seul.
    Alors, il y aurait plein de chose à réinventer, à Lyon, on manque cruellement de lieu d’échanges, d’événements pour nous rencontrer. Heureusement, il y a radio Canut et d’autres petites initiatives comme les squattes, etc...
    En espérant te croiser un jour en manif ou ailleurs ;)

  • Le 13 octobre 2017 à 17:25, par DM

    Je confirme, cette manif était d’un chiant mortel, horrible.

    J’avais réussi à convaincre des collègues du taf de venir, et au bout d’une heure à marcher ensemble, à papoter de tout de rien, je me suis dit : ben voilà, ils vont repartir sans RIEN.

    Et en me demandant avec QUOI ils auraient pu repartir, je me suis dit, ce qui manque peut-être dans ces manifs c’est de préparer des sortes de « happenings » à l’intérieur des cortèges, de faire en sorte que ces manifs soient l’occasion pour celleux qui ont fait déjà l’effort de venir jusque là de vivre des trucs spéciaux, décalés, marquants, sur des sujets que les centrales syndicales n’abordent jamais.
    Je détaille pas ici mais il y a plein de pistes, venant de plein de courants d’inspirations différentes...

    Et puis ce serait peut-être plus gai pour nous que juste la perspective de se faire taper par les flics et compter nos bleus et nos GAV en fin de manif.

    Enfin en tout cas c’est ce que m’a inspiré la manif de mardi...

  • Le 13 octobre 2017 à 15:33

    Merci pour ce témoignage.
    je suis une personne lambda qui a toujours préféré le cortège de tête :
    pour son autonomie, et sa détermination contre le capitalisme et L ordre social établi.
    nous sommes dans une periode très dure et d’un grand virage néolibéral.
    Les gens cherchent une alternative aux politiques et aux directions syndicales...
    il faudrait peut être s auto organiser pour se positionner et etre acteur de cette période difficile.
    la provocation et les casses ( même s elles sont symboliques politiquement) ne profitent pas à nos mobilisations, il est peut être urgent de déjouer les attaques médiatiques et rassembler au maximum !
    nous ne ferons pas du Bisounours avec les outils de répression du pouvoir, chacun défend L intérêt de sa classe, et nous resterons vigilants à ne pas tomber dans les pièges.
    Bonne lutte à tous !

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