La musique comme une arme : la symbiose controversée du Punk Rock et de l’Anarchisme

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Le Punk a joué un rôle clé dans l’expansion du mouvement anarchiste entre 1978 et 2010. Article originellement publié par CrimethInc.

De Victor Java à Public Enemy, la musique a joué un rôle central dans d’innombrables cultures de résistance. Une grande part de celleux qui ont participé au mouvement anarchiste entre 1978 et 2010 ont également fait partie de la contre-culture punk à un moment donné ; en effet, beaucoup ont d’abord été exposé·e·s aux idées anarchistes via le punk. Ce n’était peut-être que purement circonstanciel : peut-être que les mêmes traits de caractère qui poussaient les personnes à rechercher l’anarchisme les prédisposaient également à apprécier une musique agressive et produite de manière indépendante. Mais l’on pourrait également soutenir qu’une musique qui repousse les frontières esthétiques et culturelles peut ouvrir les auditeur·rice·s à un plus large éventail de possibilités dans d’autres domaines de la vie.

Pourtant, au tournant du siècle dernier, alors que l’anarchisme commençait à faire ses preuves et à s’imposer aux États-Unis, l’activité radicale de la scène punk nationale a commencé à s’effondrer. Maintenant qu’il n’est plus possible de dépendre de la sous-culture punk [1] comme d’un incubateur pour les anarchistes, nous devrions chercher à comprendre comment et pourquoi elle a joué ce rôle pendant trente ans.

Ceci est une version révisée d’un texte initialement paru dans le numéro 7 de notre revue Rolling Thunder. Tu peux télécharger gratuitement la plupart des albums que CrimethInc. a sortis depuis 1996.

Préface : Quand le Punk était un Terrain de Recrutement pour l’Anarchie

Il y a d’innombrables raisons pour ne pas lier le destin d’un mouvement révolutionnaire au sort d’une scène musicale. En entrant dans l’anarchisme via le punk, les personnes avaient tendance à aborder les activités anarchistes de la même manière qu’iels participeraient à une sous-culture de jeunes. Cela a contribué à un milieu anarchiste caractérisé par le consumérisme plutôt que par l’initiative, un accent mis sur l’identité plutôt que sur un changement dynamique, des activités limitées au temps libre des participant·e·s, des conflits idéologiques se réduisant pour l’essentiel à des disputes au sujet de goûts personnels, et une orientation vers la jeunesse qui rendait le mouvement largement hors de propos au début de l’âge adulte.

Pourtant, pendant les décennies de réaction mondiale qui ont suivi les années 1960, le punk underground a été l’un des principaux catalyseurs de la renaissance de l’anarchisme. N’eut été le punk, dans de nombreuses parties du monde, les anticapitalistes seraient peut-être toujours en train de choisir entre des marques obsolètes de socialisme autoritaire.

Certes, le concert punk moyen était tout autant dominé par le patriarcat qu’une classe d’université. Toutes les hiérarchies, les aspects économiques, et les dynamiques de pouvoir de la société capitaliste y étaient présents à plus petite échelle. Et l’anarchisme n‘était pas le seul credo qui utilisait cette tribune improvisée : d’innombrables idéologies s’affrontaient dans le milieu punk, du Néonazisme au Christianisme, en passant par la « conscience » Krishna. Mais tout cela ne fait que rendre plus frappant le fait que les idées anarchistes aient si bien résisté, dans la mesure où elles suscitaient moins d’engouement dans les autres milieux de l’époque.

Nous pouvons attribuer ce succès à des facteurs structurels. Des années avant que l’accès à internet ne se répande, la scène punk do-it-yourself offrait un modèle rare d’activité horizontale et participative. En organisant leurs propres événements au sein de réseaux décentralisés, les participant·e·s ont pu faire l’expérience par elleux-mêmes des avantages de l’autonomie sans leader. Une fois que tu as organisé une tournée par tes propres moyens, en esquivant le monopole des salles de concert mercantiles, des labels et des tourneur·euse·s, il n’est pas difficile d’imaginer la possibilité d’organiser d’autres aspects de ta vie de façon similaire. Par ailleurs, dans une culture de jeunes fondée sur l’opposition à l’autorité, il y avait moins de mécanismes intégrés pour empêcher et supprimer les idées radicales.

Il est également possible que les valeurs anarchistes aient pris racine dans la scène punk précisément parce qu’elles étaient largement marginalisées ailleurs : à une époque où les idées radicales étaient repoussées vers la périphérie, les sous-cultures périphériques regorgeaient de ces dernières. Cela peut créer une boucle de rétroaction qui maintien l’aspect marginal de ces idées, puisqu’elles ne sont pas associées à des initiatives populaires ou réussies. L’idéalisation de l’obscurité et de l’échec qui a permis au punk d’être un terrain accueillant pour les idéaux révolutionnaires dans les années 1980, n’a pas encouragé ses nouveaux·elles partisan·e·s à se battre pour gagner en dehors du ghetto punk.

Mais l’exil volontaire de la communauté punk était également un mécanisme de défense efficace dans une ère de récupération capitaliste. La scène punk a aidé à maintenir les idées anarchistes vivantes entre les années 1970 et le 21e siècle de la même façon que les monastères ont préservé la science et la littérature à travers le Moyen-Âge. Bien que les exigences et l’influence de l’économie capitaliste ont recréé les mêmes déséquilibres de pouvoir et le matérialisme que le punk avait espéré échapper — limitant la critique punk du capitalisme à une variante de la maxime libérale « acheter local », — la scène underground anticapitaliste DIY a fait preuve d’une remarquable résistance. Dans un cycle devenu bien connu, chaque génération s’est développée jusqu’à ce que les maisons de disques à but lucratif écrèment les groupes apolitiques les plus appréciés, ouvrant ainsi la voie à un retour à l’indépendance et à l’expérimentation de la base. Ainsi, la scène punk a fourni à l’industrie musicale un site d’essai et de développement gratuit pour de nouveaux groupes et tendances, mais ce processus a également servi à la purger des parasites.

Loin des dénicheur·euse·s de talents de MTV, des labels indépendants concurrents et du consumérisme alternatif, nous pourrions trouver quelque chose de beau et de gratuit au cœur de la scène underground DIY. Au mieux, c’était un espace au sein duquel les rôles du protagoniste et du public devenaient interchangeables et les diktats de la culture dominante étaient ébranlés.

Comparons cela avec les modèles d’activité anarchiste qui sont actuellement en vogue. Alors que l’activisme politique se concentre souvent sur des sujets extérieurs à la vie quotidienne de ses participant·e·s, et par conséquent, a tendance à coûter plus d’énergie qu’il n’en génère ; le punk DIY était fondamentalement axé sur le plaisir, offrant des activités épanouissantes en elles-mêmes. Bien que cela puisse paraître frivole, la socialité et l’affirmation sont tout aussi essentielles que la nourriture ou le logement. Dans certaines régions du monde, la scène punk était considérablement plus prolétarienne et sous-prolétarienne qu’une grande partie du milieu anarchiste actuel ; cela peut indiquer qu’elle répondait à des besoins réels plutôt que de satisfaire la propension de la classe moyenne à l’abstraction. À la différence des manifestations, souvent critiquées comme réactives, le punk a, au mieux, mis l’accent sur la créativité, démontrant ainsi une alternative concrète. Oui, il était clairement axé sur la jeunesse ; mais comme les jeunes sont parmi les personnes les plus potentiellement rebelles et ouvertes aux nouvelles idées, cela pourrait être considéré comme un avantage. En se concentrant sur l’expression de soi, le punk a permis aux participant·e·s de renforcer leur confiance en elleux et leur expérience lors d’efforts à faible risque, tout en produisant un grand nombre d’œuvres qui servaient également de matériel de sensibilisation ; en tant que mouvement culturel décentralisé, il s’est reproduit de manière organique plutôt que par le biais d’efforts institutionnels.

Si nous tentions d’inventer un équivalent culturel à l’activisme contemporain qui serait capable de se renouveler, de se réapprovisionner en énergie et de propager les valeurs anarchistes chez les jeunes, nous pourrions faire pire. À elle seule, la culture des « mèmes » internet a considérablement moins de choses à offrir que le punk et est nettement moins recommandable.

Les anarchistes se plaignent souvent du fait qu’en réalité, la scène punk était pleine de personnes sans aucun égard pour les valeurs anarchistes. Malheureusement, si nous voulons introduire de nouvelles personnes à l’anarchisme, nous allons devoir faire face à de nombreux individus qui ne sont pas anarchistes. C’est particulièrement vrai aux États-Unis, où si peu de personnes grandissent en étant exposées à des idées radicales. En revanche, en Italie, les punks anarchistes pourraient dire que « le Punk égale l’anarchie plus des guitares et une batterie ; se contenter de moins n’est que soumission. »

Il y a beaucoup à dire sur le fait d’intervenir dans des environnements divers, au sein desquels les idées des individus et la culture qui les relie ne cessent d’évoluer. Parce que la scène punk n’était redevable d’aucun cadre idéologique rigide, elle offrait un espace d’expérimentation plus fertile que beaucoup de milieux plus explicitement radicaux. Si cette leçon avait été appliquée ailleurs — si les anarchistes avaient initié des projets influents dans d’autres milieux horizontaux, diversifiés sur le plan politique et basés sur des réseaux — les idées anarchistes auraient pu se répandre encore davantage.

Malgré le fait que les critiques accusent souvent la scène punk de n’être rien d’autre qu’un parc pour consommateurs privilégiés des pays occidentaux, le punk a fait partie intégrante de la résurgence des idées anarchistes bien au-delà des États-Unis et de l‘Europe. Alors que le punk est incontestablement né en Grande Bretagne et aux États–Unis, une grande partie de l’activité punk underground mondiale se passe en Amérique Latine et au niveau de la ceinture du Pacifique, sans parler de l’Afrique du Sud, d’Israël, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, et de l’ancien bloc soviétique. Dans beaucoup de ces pays, le punk est encore plus ouvertement associé aux politiques radicales qu’il ne l’a été aux États–Unis ; le punk a joué un rôle particulièrement décisif dans la revitalisation de l’anarchisme dans des contextes où il n’y avait pas d’alternative radicale à l’hégémonie marxiste. Cela serait très instructif d’examiner pourquoi le punk s’est implanté dans des pays tels que le Brésil, la Malaisie, et les Philippines mais pas — ou peu — en Inde ou dans la plupart des pays arabophones, et d’étudier comment cela corrèle avec la diffusion des idées anarchistes pendant les trente dernières années.

Punk et Résistance : Une Trajectoire

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La suite à lire sur : https://crimethinc.com/2018/10/22/la-musique-comme-une-arme-la-symbiose-controversee-du-punk-roc

Notes

[1Le terme « punk » a été utilisé pour décrire un large éventail de phénomènes au cours des quarante-cinq dernières années. Dans cette analyse, il se réfère aux réseaux sociaux et culturels associés à la scène underground do-it-yourself, et non à un style musical particulier ou à une mode.

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