Le crime quotidien

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Suite notamment à l’affaire du bijoutier de Nice, une tribune libre parue sur le site d’Union Pour le Communisme.

« Mais il n’est plus l’heure pour personne de cacher le vrai jeu joué. »

L’été de la France paranoïaque traîne en longueur. Dans les journaux télévisés, la trouille dégouline des micro-trottoirs, suinte des voix off, s’étale dans les mines équivoques des présentateurs au chevet d’un pays à feu et à sang. Les faits divers se succèdent, on se sent comme étranglé, étouffé par un corset tissé de meurtres, de braquages sanglants, de vols et d’agressions incompréhensibles. On ne les voit pas encore, ces actes de guerre terrible qui pourtant seraient partout, mais on s’y prépare : quelques excités s’arment, hurlent leur peur dans des réunions de riverains, s’organisent en « voisins vigilants », rivalisent de bêtise et de lâcheté. Une famille rrom entassée à l’intérieur d’un amas de tôles et de bâches en plastique devient l’Ennemi, le Danger ; un voleur soudain mérite de se faire tirer dans le dos pour des bijoux assurés : il paraît que c’est de la « légitime défense ».

Et puis, somme toute, tout a l’air normal. Une fois passé le seuil de son appartement, de sa maison, le « français moyen » ne voit rien de tout cela. Ou plutôt, il ne le voit que dans les on-dit des collègues au travail, les titres des journaux gratuits qu’il parcourt dans les transports, la panique collective de basse intensité.

Bien sur, il y a de la violence. De l’auto-défense aussi. Mais ni cette violence, ni cette auto-défense ne préoccupent les 20h, Manuel Valls, Christian Estrosi et les sympathisants lepénistes.

Cette semaine, les ouvriers de plusieurs usines de PSA ont fait grève. Ils/elles font face à une réduction de leurs salaires, permise par l’ANI – « Accord National Interprofessionnel » – voté par la majorité « socialiste ». La baisse de leur salaire est une violence sans nom, que ne dénonce aucune des forces politiques qui hystérisent le « débat » sur la sécurité. Et pour cause : ces forces sont au service de ceux qui exploitent le travail des ouvriers de PSA, et qui cherchent aujourd’hui à compenser la baisse de leur taux de profit en attaquant les salaires. La lutte que ces mêmes ouvriers ont amorcée, c’est de l’auto-défense. Pourtant, pas un mot dans les JT du soir.

L’enjeu du jour, ce n’est pas de savoir si la mort nous guette au coin des rues, une cagoule sur la tête et une arme de gros calibre entre les mains. L’essentiel des dangers auxquels nous faisons face quotidiennement, nous les trouvons et les trouverons dans des objets aussi banals que nos fiches de paye, nos relevés de compte, nos quittances de loyer, nos factures diverses. Nous sommes en train de subir des blessures que nous ne sentons pas tous encore, et nous allons saigner pour ceux-là même qui nous donnent à contempler ce Crime qui devrait concentrer toutes nos peurs, toute l’appréhension dont nous sommes capables.

Le crime, le véritable crime de masse, c’est celui que commet chaque jour qui passe le gouvernement avec ses mesures antisociales. La bourgeoisie encourage la défense de la propriété par les armes, et condamne dans le même temps les résistances à l’exploitation salariée, que nous devrions subir calmement et pacifiquement. Aucun héros vengeur ne nous sauvera, nous n’avons pas de police que nous pourrions renforcer et qui arrêterait nos agresseurs. Nous sommes notre propre « héros vengeur », et nous ne pourrons compter que sur les formes que nous donnerons à nos luttes pour stopper dès à présent non seulement l’ANI ou la réforme des retraites, mais toute l’organisation criminelle du capitalisme.

Ce constat, à l’heure où tout indique que les directions syndicales ne sont pas même décidées à une mobilisation minimale contre la réforme des retraites, pourrait donner à qui veut lutter des raisons de se morfondre. Il est parfois difficile, devant l’ampleur de ce qu’il y a à gagner, de se résoudre à jeter toutes ses forces dans la construction de la seule défense de nos conditions présentes de vie et de travail. C’est pourtant cette défense qui aujourd’hui paraît à même de balayer la peur qui s’installe, d’imposer le mouvement réel contre l’hégémonie de la trouille. Malgré la politique des Lepaon, des Mailly, nous savons que tôt ou tard, comme dans les usines PSA, les travailleurs se défendent contre les coups qui leur sont portés, et en portent à leur tour. La colère s’exprime encore de manière dispersée, mais elle existe : les tenants du « dialogue social » seraient bien mal avisés de croire qu’elle ne connaîtra jamais d’explosion. On ne peut pardonner ni oublier un crime dont les effets se font sentir chaque jour.

L’image que cette société en crise donne à voir se réduit à présent à celle d’une maison en ruine dont on fermerait les volets par peur du noir, sans comprendre que le toit s’effondre déjà. Nous n’avons pas peur, car nous savons que les véritables dangers qui nous menacent pourront être vaincus, parce qu’il est possible de les désigner et de les écarter ; parce qu’ils ne sont pas seulement des ombres qu’on agite dans la nuit, mais des hommes et des choses qu’on peut attaquer.

F.P.

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