Lejaby c’est pas fini

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Le 16 septembre 2010, les
salariées en grève de trois sites
différents de Lejaby (usines de
fabrication de lingerie féminine),
se rejoignent au siège social
de Rillieux-la-Pape. En jeu, la
fermeture annoncée en avril
des sites de Bellegarde, Bourg-en-
Bresse, Le Teil et la suppression
de 197 postes sur 653.

EN AVRIL ET EN juin derniers, elles manifestaient
déjà à Rillieux. Le 16 septembre
est décidée l’occupation du site. Pas
tant pour préserver leurs emplois que
pour pouvoir partir la tête haute. Cuisine
collective dans un préfabriqué laissé par
la direction, salle de négociations réquisitionnée
durant la nuit, où les matelas gonflables s’entassent. Les grévistes se rencontrent.
Au fur et à mesure de la lutte,
celles qui ont parfois jusqu’à quarante
ans d’ancienneté sur des sites différents,
se retrouvent autour d’expériences de travail
et de vie. L’occupation est joyeuse,
pleine d’énergie, les apéros s’éternisent et
ça finit par danser sur les tables au milieu
d’éclats de rire. Toutes ces femmes en
lutte se sentent quelque part en vacances,
dans la suspension du travail, la vie quotidienne
partagée, et la sortie du rôle de
gestionnaire de famille. Des roulements
sont organisés, pour que les femmes qui
ont de jeunes enfants, puissent rentrer
chez elles s’en occuper. Cette disposition
collective semble être finalement peu
utilisée : la plupart ont décidé de « partir
en colo avec les filles » et de laisser leurs
mecs se débrouiller avec lessives et gamins.
Quelques unes racontent que les maris
appellent de temps en temps, affolés :
« comment on lance une machine ? Où
sont les médocs pour le petit ? » ; « ça leur
fait pas de mal ! » rétorque l’une d’elles.
Une autre est au téléphone avec son mari,
qui lui conseille de ne pas trop boire,
« mais oui, bien sûr » répond-elle, tout en
se resservant un verre. Car cette occupation
exclusivement féminine est un
espace où elles peuvent aussi se lâcher.
C’est d’ailleurs à peine si elles regrettent
l’absence dans la lutte du seul mec de
leur boîte, le mécano qui répare les
machines sur lesquelles elles travaillent.
Leur façon d’être ensemble, postées à 6h
du mat’ devant le portail, pour bloquer les
camions de livraison, intimide Mahé, le
patron, qui préfère passer dans un trou du
grillage, à travers les buissons pour regagner
son bureau la queue entre les jambes.
Le conflit n’est pourtant pas franchement
hostile : les grévistes servent le café aux
gendarmes qui passent vérifier si « tout va
bien », et le patron est froidement ignoré
plutôt qu’insulté. De toute façon leur perspective
n’est pas dans la « casse de leur
outil de travail » puisque c’est ce qu’elles
défendent. Elles préfèrent plutôt bloquer
l’approvisionnement du site en marchandises
et sont soutenues par certains
livreurs, qui préviennent leurs copains
routiers que ça ne sert à rien de venir,
qu’elles font grève et qu’on ne peut pas
briser leur blocus.

Toutes ces femmes en lutte se sentent quelque part en vacances, dans la suspension du travail, la vie quotidienne partagée, et la sortie du rôle de gestionnaire de famille.

De fait, les « Lejaby », comme la presse les
surnomme, suscitent un élan de sympathie
certain : aux routiers solidaires s’ajoutent
les passages de personnes venues exprimer
leur solidarité, offrant des fleurs, des croissants
le matin, du fromage, des tartes... La
boucherie juste à côté leur fait une réduction
de 5% (petit joueur !), le PS leur file
500 euros, et la caisse de grève est aussi
alimentée par des dons quotidiens de soutiens,
syndicats ou simples quidams. C’est
que tout le monde les trouve sympas les
filles de Lejaby, et ça en devient presque
un piège. De la mairie PS qui veut bien les
soutenir financièrement parce que leur
combat est « pacifique » (et tant qu’il le
restera), jusqu’à Christian Estrosi, ministre
de l’Industrie, qui salue leur lutte avec
des accents paternalistes. Cependant, les
autorités nomme dans le même temps le
préfet comme médiateur, et leur envoient
la DIRECCTE en pleine face (Direction
Générale des Entreprises, de la Concurrence
et de la Consommation, du Travail et
de l’Emploi) pour que quand même, elles
soient raisonnables dans leurs revendications
et arrivent rapidement à un accord
avec la direction.

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Car l’élan de sympathie, alimenté par des
médias bienveillants, n’a pas constitué
un réel rapport de force. Le blocage des
camions, faisant perdre rapidement beaucoup
d’argent à l’entreprise, a semble-t-il
été un appui plus fort dans les négociations.
« C’est sûr que notre blocage leur
fait perdre de l’argent mais puisqu’ils ne
veulent pas nous garder, ils doivent cracher
 » revendique une gréviste. Mais qui
dit blocage, dit huissier. Celui-ci a fait son
job de collabo : il a pris des photos des
bloqueuses, pour ensuite les rapporter
au patron, qui a pu retrouver leurs noms.
Lundi 27 octobre, elles sont donc cinq à
se retrouver assignées au Tribunal Administratif,
soutenues par leurs collègues.
Au bout du compte elles seront relaxées,
mais si 48 heures plus tard le blocage est
de nouveau constaté, une nouvelle procédure
sera lancée. Finalement les négociations
aboutiront avant. On est bien loin des
70 000 euros de prime réclamés en début
de mouvement : la direction leur lâche tout
de même 15 000 euros de prime extra-légale,
600 euros pour les 5 premières années
d’ancienneté et 500 euros pour les suivantes,
avec tous les jours de grève payés.

Le 19 octobre, coup de théâtre : le plan
social est annulé par décision de justice,
car la direction n’a pas donné toutes les
informations aux salariées sur le rachat
de la boîte par Palmers, groupe autrichien.
Ça ne veut pas dire que les licenciements
sont empêchés, juste que la direction devra
monter un autre plan social, un peu plus
tard. En attendant, du temps est gagné, et
qui sait, un nouveau plan social pourrait
relancer une grève... #

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