Un premier manifestant (assez jeune) arrêté samedi est présenté aux juges. Arthur [1] est accusé de « violences agravées sur personne dépostaire de l’autorité publique » et « rebellion » lors de son interpellation. Il a été identifié par les policiers grâce au visionnage des vidéos [2] lors de la manifestation du 24 juillet. Il faut avoir en tête que les policiers ont accès à la vidéo-surveillance de l’ensemble de métropole de Lyon et qu’entre deux manifestations, ils épluchent les bandes vidéos pour identifier les plus révolté.es.
Reconnu samedi dernier, ce ne sont pas moins de sept policiers de la BAC qui se sont jetés sur lui pour l’interpeller. Ils l’accusent ainsi de ne pas s’être laissé faire lors de son interpellation (ce qui est vrai) et d’avoir essayé de leur voler une matraque (ce qui est faux). Arthur leur demande, une fois qu’il est menotté : « ça ne vous dérange pas de mentir ? », réponse du baqueux « non ». Ils ne se sont pas déplacés au tribunal mais leurs avocats sont là et tous demandent des dommages et intérêts suite à l’interpellation. Bien leur en a pris car le tribunal est plus que complaisant : tous les sept vont obtenir entre 200 euros pour les moins « chanceux » et jusqu’à 450 euros pour l’un. Soit 2000 euros de dommages et intérêts à régler aux fonctionnaires, à quoi s’ajoute une condamnation à deux mois de sursis probatoire avec une obligation d’effectuer un TIG [3] de 105 heures et une interdiction de port d’arme. Le juge conclut le verdict d’un très paternaliste « vous faites attention à partir de maintenant »… C’étaient les premières manifestations d’Arthur.
Un second manifestant, Esteban [4], est déféré en comparution immédiate. Le juge commence : « Il vous est reproché la participation à une manifestation avec une arme par destination, en l’espèce une pierre dans la poche. Les faits se sont produits lors de la manifestation de samedi contre le pass sanitaire. La manifestation a été l’objet de très nombreux débordements. Des violences ont été commises sur les forces de l’ordre malgré le signal de dispersion. Les policiers ont identifié les individus les plus virulents qui venaient au contact. Il ne vous est néanmoins pas reproché des jets de projectiles. Un tiers a été interpellé. C’était très compliqué pour les services de police. Vous vous êtes rapproché en protestant contre l’interpellation. Dans un deuxième temps, vous êtes interpellé. Et au cours de la fouille, on retrouve sur vous une pierre de 8cm par 6cm ».
Le juge montre la photo de la pierre à ses assesseurs. Il continue : « Qu’est-ce que vous avez à nous dire ? Une pierre comme ça, ça ne se trouve pas n’importe où. Vous l’aviez amenée ? Vous l’avez ramassée ? Pourquoi ? »
Esteban : « Ce qui m’a énervé, c’est que j’ai pris un coup de matraque. Je l’ai ramassée pour me calmer, ce n’était pas mon intention de la jeter. »
Le juge : « Vous êtes dans une manifestation qui est interdite, vous le saviez n’est-ce pas ? »
E : « Je suis venu pour mes convictions ».
J : « C’est un autre débat. Vous êtes un habitué ? »
E : « Avant j’étais gilet jaune. J’ai arrêté il y a un an. Là, j’ai repris »
J : « Au niveau de votre personnalité, vous faites quoi dans la vie ? »
E : « J’ai perdu mon emploi, j’étais menuisier, la boite a coulé. »
Son casier judiciaire porte la trace de deux condamnations. Le juge ne se prive donc pas de le mentionner, étant donné que tout ce qui peut enfoncer le prévenu est bon à prendre pour la justice. Il cite une condamnation du début d’année 2019, en plein mouvement gilet jaune, où Esteban avait été condamné pour « groupement en vue de préparer des violences et des dégradations », l’habituel chef d’inculpation pour justifier les arrestations de manifestants. Il avait été condamné en outre à 1000 euros d’amende pour « transports de substances explosives » : en réalité de simples pétards !
J : « Vous avez déjà eu deux condamnations, qu’est-ce qu’il faut faire pour vous arrêter ? »
E : « J’avais un caillou ».
J : « C’est un de trop ».
La procureur prend la parole : « il a le droit d’avoir ses convictions, mais je ne suis pas d’accord quand j’entends qu’il n’avait pas d’intention belliqueuse. Il était au sein d’un « groupe virulent », il a été remarqué, il est venu au contact. On ne se promène pas comme ça dans la rue avec une pierre dans la poche. D’autant que ce genre de pierre ne se trouve pas dans le 3e ni dans le 7e arrondissement à ma connaissance [sic]. Vous entrerez sans difficulté en voie de condamnation. Il doit prendre conscience qu’on a pas à porter des objets qui peuvent être des armes contre les forces de l’ordre ».
Le fait que les manifestants soient confrontés à des groupes d’hommes en armes (casques, boucliers, matraques, LBD40…) qui n’hésitent pas à en faire usage et à blesser, samedi après samedi ne semble pas l’émouvoir. Elle trouve sans doute ça normal : c’est l’exercice du « droit de manifester » : on manifeste, encadrés de policiers en armes et seulement si le préfet est d’accord ; sinon on s’expose à se faire malmener, gazer ou même interpeller.
Son avocate prend alors la parole et essaie de faire retomber la sauce. Elle plaide que s’il avait ramassé un stylo, ça aurait aussi bien pu être considéré comme une arme par destination [5] . « Il passe d’un groupe à l’autre, il n’est pas cagoulé, il est à visage découvert, il voit une interpellation, il vient voir. Il a, selon les policiers, souvent été vu lors de manifestations non déclarées. Mais existe-t-il une infraction particulière dû au fait de se retrouver dans une manifestation non-déclarée ? Non. Les policiers ont certes été invectivés par celui-ci pour protester contre une interpellation. Mais quand il a été attrapé par les épaules et amené au sol, il s’est laissé faire ».
Au final, Esteban est condamné à deux mois de prison avec sursis probatoire, 105h de TIG et une interdiction de port d’arme pendant deux ans. Comme la justice est bavarde et qu’une peine doit toujours avoir un « sens », en l’occurrence ici de dissuader les gens de manifester contre les mesures ahurissantes du gouvernement qui font penser à l’instauration du crédit social en Chine, le juge ne peut s’empêcher de lui/nous faire la morale : « vous avez le droit de défendre vos convictions mais pas d’excès. Et surtout sans poser aucune difficulté aux services de police. La question de partir en détention s’est posée pour vous. Ça peut se transformer en réalité ».
Enfin, la troisième personne (Sergio [6]) à avoir été arrêtée pendant la manifestation contre le pass sanitaire est extraite des geôles et présenté au tribunal. Le juge commence : « Il vous est reproché d’avoir transporté une gazeuse et une matraque télescopique hors de votre domicile et sans motif légitime ainsi que douze mini-fusées sifflantes et non-détonantes. Les faits se sont produits en marge de la manifestation anti-pass sanitaire, place Carnot. Vous avez été arrêté dans le cadre d’un contrôle préventif ».
Et c’est effectivement le cas. Juste avant le départ de la manifestation, des petits groupes de policiers n’hésitaient pas à passer entre les manifestant.es et à contrôler au faciès (surtout les jeunes gens, ceux avec des sacs à dos et plus généralement tout ceux et celles qu’ils s’imaginaient avoir ramené du matériel, y compris les street medics). Et cette pratique scandaleuse, qui se déroulait aux yeux de tous, n’a malheureusement pas provoqué d’hostilité de la part de la foule. Comme si ça ne posait pas de problèmes que des gens armés viennent contrôler et potentiellement arrêter en notre sein des camarades de lutte...
Le prévenu prend la parole : « Il y a l’extrême-droite et Génération Identitaire qui viennent dans les manifestations, c’était pour me défendre. J’ai déjà été agressé, j’ai pété un cable, j’ai acheté du matériel pour me défendre. Les petites fusées, c’était pour le 14 juillet, pour mettre l’ambiance sur la place Bellecour ».
Sans craindre d’afficher toute sa lâcheté, le juge s’étonne : « Vous avez déjà été agressé ? Et vous y retournez ? Vous ne cherchez pas à ne plus vous faire agresser ? » Cela dépasse son entendement que des gens puissent chercher à se défendre eux-mêmes et à ne pas s’en remettre à la police. En clair il lui dit sans rougir : si tu as déjà été agressé par des fachos, reste chez toi et laisse les défiler. Une certaine conception du courage…
Le prévenu a un contrôle judiciaire avec interdiction de port d’arme dans une autre affaire « gilets jaunes ». Le juge des libertés et de la détention n’a donc pas sourcillé et l’a placé en détention à Corbas dès son arrestation le samedi. Pour s’être trouvé porteur de matériel de protection, Sergio a donc effectué deux jours de prison.
Comme il a déjà été arrêté il y a deux ans dans le cadre d’une manifestation gilets jaunes, le magistrat ne manque pas de lui rappeller : « vous êtes un petit peu agité on dirait, lui lance le juge. Votre matériel, on ne sait jamais si c’est contre Génération Identitaire ou contre les CRS. »
Sergio : « J’ai rien contre la police, ils font leur métier ».
La proc’ prend alors la parole : « on n’a pas à participer aux manifestations avec de telles armes. Vous entrerez sans difficulté en voie de condamnation. Au regard de ses antécédents, je requiers deux mois d’emprisonnement ferme. La prochaine manifestation, il y va les mains vides. S’il se fait attaquer, il va voir les forces de l’ordre ».
Finalement, Sergio est condamné à six semaines d’emprisonnement ferme sans mandat de dépôt, donc aménageable en bracelet électronique ou semi-liberté. Le juge ne peut pas s’empêcher de lui faire la morale et de le menacer : « Les manifs, c’est fini, faites autre chose, mettez-vous dans des associations. Arrêtez ! Vous allez finir en prison si vous continuez » [7].
Aux cotés de la police, les magistrats sont là pour condamner le plus lourdement possible les manifestant.es, les dissuader de descendre dans la rue et les forcer à accepter ce monde tel qu’il est. En ne laissant pas les manifestant.es arrêtés tout seuls face à la machine judiciaire, en diffusant des conseils aux personnes les moins habituées aux manifs, en étant solidaires les un.es avec les autres au sein du mouvement, on empêche ce travail de démoralisation d’opérer. Et on renforce notre mouvement.
Il y a plusieurs années, dans le mouvement de lutte italien No-TAV [8], circulait un mot d’ordre avant chaque action ou chaque manifestation : « on vient ensemble, on rentre ensemble ». Un principe de solidarité qu’il nous faut chaque jour mettre en pratique.
Solidarité avec les inculpés du mouvement contre le pass sanitaire !
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Le récit des comparutions immédiates qui ont suivi la manifestation anti-pass sanitaire du 17 juillet :
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