Pourquoi nous refusons le fichage humain

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De par ma maladie, j’ai été amené à visiter des hôpitaux. Au CHU de Nice les patients sont suivis par un système de RFID. Le centre national des RFID se trouve à Sofia Antiopolis et Valence se bat pour obtenir cette industrie de pointe et créatrice d’emploi.

Vous avez vu les toiles d’araignées, là, dans l’entrée ? Qu’est-ce que voulez faire, je n’ai jamais trouvé un balai assez long, pour atteindre le plafond, alors on les laisse, on s’habitue. C’est des préjugés aussi, ça, les toiles d’araignées, c’est assez beau avec une certaine lumière.

Élevé dans un monde de marchandises, accoutumé à une catastrophe scientifiquement administrée, on trouve désormais « normal » qu’un appareil technologique accompagne le malade plutôt que d’affronter l’attente, d’être allongé dans le couloir, avec le visage fatigué des infirmiers et des infirmières. J’espère qu’ils trouveront un lit libre...

A l’arrivée aux urgences de l’hôpital St Roch de Nice, je me suis trouvé équipé d’un bracelet RFID [1] comportant mon identité et le degré de gravité de mes symptômes. J’avais lu le texte de PMO sur les RFID : la police totale, ce qui me rassurait nullement. Mes souvenirs fuient vers les Os Cangaceiros [2] pour chercher à inventer une résistance.

Alors, me revient en mémoire ce qu’écrivait Andrea durant sa maladie :
Les méthodes ayant droit de recherche s’avèrent aussi meurtrières que le mal lui-même, à long terme. Soigner le mal par le mal pour le bien être. Pour combattre le réchauffement climatique, l’état conseille d’utiliser le nucléaire.

Ainsi le nucléaire produit des tumeurs, que l’on détruit avec le nucléaire qui engendrera d’autres tumeurs, etc.

Cette société a bien dessiné le signe du verseau sur les tours de la centrale nucléaire de Cruas. Et les blouses blanches ont donné comme nom au pôle d’innovation technologique du CHU de Nice : ’’Pitchun’’ (Diminutif provençal du petit enfant).

L’être humain hospitalisé est placé dans un état de dépendance et d’infantilisation à l’excès (Andréa).

La médecine, la science en général, n’a plus aucune vision du devenir de l’homme, du monde ; elle ne se soucie que de ce qui est techniquement possible de rafistoler dans l’immédiat. A partir de cela, toute manipulation est possible et cautionnée par avance. Le pouvoir de l’état, après notre anéantissement, se duplique au nom de notre ’’rétablissement’’. Pouvoir sur notre vie, notre mort, nos gènes, nos hormones, nos sexes, nos défenses, etc., à ce point, c’est du jamais vu !

Les organismes appartiennent à la puissance publique : on nationalise le corps (Dagognet, La maîtrise du vivant).

Si dans la biopolitique moderne, la vie est immédiatement politique, (...) elle se soustrait à toute décision extérieure et se présente comme une cohésion indissoluble où il est impossible d’isoler quelque chose comme une vie nue (Agamben, Homo Sacer). Dans le livre Homo Sacer, Giorgio Agamben analyse les comptes rendu du procès de Nuremberg concernant les expériences pratiquées par des médecins et des chercheurs (réputés dans la communauté internationale) dans les camps de concentration. Faut-il se rappeler le ministère du ’’bien être’’ institué dés l’accession au pouvoir d’Hitler. Le philosophe analyse les formes du biopouvoir dans la pratique de la médecine nazie (dans les camps et son actualité).

Ni Reiter ni Verschuer n’étaient jamais allés si loin sur la voie de la politisation de la vie nue ; mais - signe évident que la biopolitique a franchi un nouveau seuil - dans les démocraties modernes, il devient possible de dire publiquement ce que les biopoliticiens nazis n’osaient pas dire ( Agamben, Homo Sacer ). On sera ainsi amené à considérer le camp de concentration non pas comme un fait historique et une anomalie appartenant au passé mais, d’une certaine façon, comme la matrice cachée, le nomos de l’espace politique dans lequel nous vivons encore.

Malgré tout, les bracelets RFID ont permis de diminuer la durée du parcours du malade qui a pu être ramenée de cinq à quatre heures. Les proverbes balisent la route comme des vieux donjons et nous font nous échapper de la peur.

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’’Le système permet également de savoir quels équipements ont été utilisés et d’améliorer le contrôle’’ dixit la brochure de publicité d’IBM. Dans un texte (de juillet 2007) PMO analyse ’’ l’invention du contrôle ou les complots du pouvoir’’ dans la société technologique actuelle.
Ce n’est ni hasard, ni arbitraire, si le contrôle est devenu ce sceptre, cette baguette magique, cette télécommande universelle, au point que Deleuze, Negri, Agambem, les maîtres à penser de la critique diplômée, désignent par l’expression société de contrôl, le stade actuel de notre sujétion (cf. Deleuze et Negri, Pourparlers,1990. Ed. de Minuit).

Patrick Malléa, un des ingénieurs hospitaliers du pôle explique ce contrôle par la bonne gestion du client malade mais aussi par la possibilité de facturer chaque acte, ce qui est indispensable pour prétendre à une comptabilité analytique digne de ce nom. L’évidence du constat est frappante, nous ne tolérons pas cette dictature des machines montrée comme inéluctable.

Dans ce monde démocratique, les innovations du capitalisme et les idées qu’ils élaborent pour exploiter la totalité de notre être sont illustrées par les propos du discours de Nicolas Sarkozy le 16 octobre au CHU de Bordeaux : ’’le directeur de l’hôpital doit être un manager d’excellence, formé et évalué régulièrement...le recrutement...ouvert aux managers du privé’’

A travers les bracelets RFID de l’hôpital de Nice, il est facile d’imaginer que, dés leur arrivée aux urgences, les patients sont immédiatement munis d’un bracelet RFID personnalisé qui les suit à chaque niveau de traitement, en maintenant en permanence le contact avec un moniteur qui enregistre en temps réel toutes les données liées au patient. Ces informations sont diffusées auprès du personnel médical simultanément sur des larges écrans LCD et les tablettes PC des médecins, également équipés de la technologie RFID. Derrière l’écran de l’ordinateur ou du téléphone portable, il y a un processus prodigieusement complexe, dont les ramifications s’étendent à une multitude de secteurs d’activité, non seulement pour permettre la production de ces machines de haute technologie, mais aussi pour en assurer le fonctionnement (Bertrand Louart, Quelques éléments d’une critique de la société industrielle).

Le spectacle grotesque et tragique de la lecture obligatoire de la lettre de Guy Môcquet nous oblige à ouvrir nos yeux cicatrisés.
Un des projets proposés par Hitler prouve jusqu’où le troisième Reich est allé. ’’Après examen radiologique national, le führer recevra une liste de tous les sujets malades, et plus particulièrement des malades atteints de dysfonctionnements rénaux et cardiaques. En vertu d’une nouvelle loi sur la santé du Reich , les familles de ces sujets ne pourrons plus avoir de vie publique et leur reproduction pourra être interdite.’’

Peux-être est- ce une loi de la condition humaine : ceux qui se souviennent du passé sont condamnés à le revivre. En tout cas, ceux qui en tirent les leçons peuvent au moins se forger les armes qui leur permettront de ne pas être vaincu une deuxième fois. S’armer de la compréhension du passé, voilà peut-être le moyen de se révolter contre l’avenir.

Le problème excède les limites de la sensibilité personnelle et concerne tout simplement le statut juridico-politique (il serait peut-être plus simple de dire biopolitique) des citoyens dans les États prétendument démocratiques où nous vivons.
Comme nous l’avons vu, la technologie s’accompagne d’une logique inévitable, porte en elle les valeurs et les finalités du système économique qui lui donne naissance et obéit à un impératif qui porte cette logique jusqu’à son terme, sans autre considération.

Notes

[1bracelet de radio-identification (ndlr)

[2Groupe qui exista de 1985 à 1992 connu pour ses actions contre l’emprisonnement et dont fait a fait partie Andréa, citée plus bas par l’auteur (ndlr)

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