Un bulldozer est passé près de chez vous : on va tous y passer !

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A la Picharlerié et dans les environs, la situation qui se vit actuellement est absolument hallucinante : on a rasé un lieu de mémoire, on a rasé une
partie de la vie locale...
A la suite de l’article Horreur ! Ils ont osé raser la Piche ! voici, de la part des habitants, un texte très important sur cette forfaiture : « s’ils ont fait ça à la Piche, ils sont capables de faire de la planète un champ de ruines ». Dans une situation politique actuelle tendue, un deuxième petit texte suit émanant d’un autre collectif composé en partie d’élus, et un troisième du collectif de résistance à l’insupportable.

Un
rassemblement de protestation a lieu le jeudi 26 juillet à 11h
sur
l’esplanade de Florac, sous-préfecture de la Lozère.

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Mercredi 11 juillet, la Picharlerié a été expulsée et totalement rasée

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La Piche retapée avant d’être complètement rasée

Cette maison, perchée dans les montagnes cévenoles du Sud-Lozère, était
squattée depuis le printemps 2002. Située sur la commune de
Moissac-Vallée-Française, elle avait été abandonnée dans les années 1930
par ses derniers habitants, dans un contexte général d’exode rural.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Picharlerié connut un second
souffle. L’endroit, comme d’autres fermes perdues dans cette végétation de
maquis, se prêtait à merveille à la résistance à l’occupant nazi et ses
supplétifs français. Un maquis-école y fut fondé. Entre 1943 et le
printemps 1944, de nombreux « bandits », comme on les appelait alors, s’y
retrouvèrent : des réfractaires au STO, de très jeunes combattants, des
antifascistes allemands, et bien d’autres. Des membres du maquis
Bir-Hakeim, en grande partie liquidé sur le causse Méjean avec l’étroite
collaboration du préfet de Lozère Roger Dutruch, s’abritèrent également à
la Picharlerié. En avril 1944, depuis la crête de
Saint-Etienne-Vallée-Française, les nazis et les forces
collaborationnistes attaquèrent ce flanc de montagne. Le Ginestas, maison
toute proche de la Picharlerié, porte encore les marques de tirs
d’artillerie lourde.

A nouveau, le lieu sombra dans l’abandon. Un incendie ravageur au cours de
l’été 1976 paracheva l’œuvre du temps. Ce sont des ruines à peine visibles
sous la végétation, - sans un toit, avec des arbres poussant dans les murs
et de nombreux bancels effondrés -, que nous avons trouvées au printemps
2002.

Nourris, comme d’autres avant nous, d’un esprit de résistance à
l’air du temps, nous avons décidé à quelques-un/es d’occuper le lieu et de
le réhabiliter avec les moyens du bord, d’y faire des jardins, d’en
dégager les fruitiers asphyxiés, d’y poser des ruches,... Chacun put voir
se redessiner la maison et ses terrasses à travers la dense canopée.
Nous avons entrepris de multiples travaux, aidés par le réseau d’amis et
de camarades tissé dans d’autres lieux, au cours d’autres expériences,
mais aussi, très vite, par des voisins et habitants de la vallée. Beaucoup
sont devenus des habitués de la Picharlerié renaissante et de ses
rendez-vous : chantiers collectifs, projections cinéma en plein air,
soirées pizza, bibliothèque et fanzinothèque, etc. Des personnes
d’horizons et d’origines variés se sont croisées. Le lieu est devenu un
endroit de partage, de mélange, certes en marge des réseaux existant en
Vallée-Française, mais très riche pour ses occupant/es et tous ceux qui y
montaient, bravant plusieurs kilomètres de piste accidentée.

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Le four à pain de la Piche restauré

La
Picharlerié occupée était connue de dizaines de personnes, bien au-delà
des frontières de l’Hexagone, animées la plupart par un esprit de
contestation du meilleur des mondes qu’on veut nous faire avaler. Un monde
morne, toxique, pétri d’inégalités, de guerres « chirurgicales » et
d’opérations policières à tout bout de champ ; un monde glissant sûrement
vers une société de contrôle total où ceux qui ne rentrent pas dans le
rang sont des terroristes potentiels, et où ceux qui possèdent tout ont
toujours raison.

C’est sans doute mus par cette dynamique globale de répression que le
préfet de Lozère, la mairie de Moissac et le propriétaire n’ont pas lésiné
sur les moyens pour se débarrasser des affreux trublions que nous sommes.
Après un premier procès à l’issue duquel, en mars 2007, le pasteur Freddy
Dhombres est débouté de sa plainte – n’ayant pu fonder ses accusations
contre les deux personnes assignées -, une seconde procédure est engagée,
expéditive celle-là. En trois semaines à peine, sans que nous soyons au
courant, l’expulsion des occupants est prononcée et organisée depuis
Mende. Et c’est fort de son droit de propriétaire que le pasteur, dans une
action menée tambour battant par les représentants de l’Etat, a demandé
que soit rasé la maison, réduisant à un tas de décombres fumants plusieurs
siècles d’histoire, un haut lieu de résistance, et un lieu notoire
d’habitat et d’activités. Le Préfet proposait, outre le tracto-pelle, la
dynamite, ou bien de faire murer la maison. Ensemble ils ont choisi le
bulldozer, symbole d’une politique de guerre bien connue, plutôt que de
courir le risque que l’endroit serve à nouveau de refuge, à nous ou à
d’autres. Un engin est réquisitionné pour l’occasion, et son propriétaire
prévenu quelques jours à l’avance. Lui aussi aurait pu refuser cette sale
besogne...

Le mercredi 11 juillet, au petit matin, les forces de l’ordre se déploient
en grand nombre dans la Vallée-Française, quadrillant les routes et
contrôlant les différents points d’accès à la Picharlerié (Moissac,
Sainte-Croix, Saint-Étienne, Saint-Martin de Lansuscle). Tout au long de
la journée, de nombreuses personnes et des véhicules se font contrôler
dans la vallée. En outre, les ondes sont brouillées dans le secteur,
empêchant les communications de téléphones portables - le but manifeste de
ces différentes opérations étant d’empêcher tout mouvement de solidarité.
Pendant ce temps, 7 fourgonnettes de gendarmes, des motards et un engin de
destruction massif montent là-haut et entreprennent de tout raser (clède,
four à pain, magnanerie, etc.). Il ne reste plus des bâtiments qu’un tas
de pierres de 50 mètres de long sur quelques mètres de large. La maison de
la Picharlerié est aujourd’hui rayée des cartes.

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Voilà ce qu’il en reste !

Dès le lendemain, la solidarité s’organise. Un chantier a lieu afin de
sortir des gravats quelques affaires. Des personnes affluent, nous
témoignant sous des formes multiples leur sympathie. Dans la vallée, c’est
l’émoi et l’incompréhension. En plus d’avoir délogé des squatteurs, ils ont
rasé un lieu de mémoire. Des élus s’en mêlent ; des anciens crient leur
indignation : on a détruit une partie de leur passé. Et elle est bien dans
l’air du temps, cette politique de table rase du passé. En finir avec Mai
68, bien sûr, mais aussi avec tout ce qui rappelle que des hommes et des
femmes se sont battus et se battront pour une certaine idée de la liberté,
contre l’oppression, quelle qu’en soit la couleur ou la patrie. L’armée de
l’ombre, après tout, n’était pour beaucoup à l’époque qu’un ramassis de
terroristes...

Pour une partie de la population locale, cet acte ignoble est bien compris
comme le signe avant-coureur d’une accélération de la répression. Cette
opération est le signal fort d’une détermination à écraser toute forme de
contestation radicale, et plus largement tout ce qui déborde du cadre bien
réglé des institutions. Le squat est pour nous une critique en acte des
inepties de ce monde : ici comme en zone urbaine, des logements, des
terres sont laissés en friche et dépérissent. Hormis la période du maquis,
cela faisait plus de 70 ans que la Picharlerié était désertée et inculte.
Il en est de même pour la Carrière, maison occupée de 2001 à 2003, puis
expulsée. Son propriétaire n’en a jamais rien fait et n’en fera jamais
rien. La Carrière s’effondre lentement ; elle disparaîtra un jour. Freddy
Dhombres, obscurantiste pour le coup, a choisi quant à lui de voir la
Picharlerié rasée et morte, plutôt qu’occupée et vivante. Et c’est
conforme à l’ordre des choses, car il a la légitimité sacrée que lui
confèrent ses titres de propriété, aussi vides et stériles soient-ils.

Nous avons, contre cette raison absurde et contre la loi qui la garde,
choisi de remonter ces ruines et d’en travailler les bancels, comme ce fut
fait pendant des siècles sur ce flanc de montagne. Ainsi nous nous sommes
appropriés des savoir-faire, des connaissances et un rapport aux choses
qui font grincer les rouages implacables de cette société marchande.

Une telle opération de police et de destruction est aussi symbolique d’un
rapport de forces qu’on veut nous faire éprouver jusqu’ici, dans des zones
jusqu’alors quelque peu épargnées par le vent brutal de réaction qui
balaie le pays et les esprits. Dans cette logique, les squatteurs sont bien
sûr les premières cibles, les plus aptes à cristalliser un consensus
contre eux. Mais de nombreux habitants se sentent désormais concernés. Car
l’offensive vise progressivement mais sûrement toutes les formes d’habitat
hors-norme ou précaires, et toutes les formes de vie dites « alternatives »,
aussi protégées se sentent-elles par des bribes de légalité. A quand les
pelleteuses qui rasent les cabanes, les services sociaux qui enlèvent
leurs enfants aux parents, les expulsions pour manquement à la raison
sanitaire et à l’harmonie paysagère de dépliant touristique, les petits
fascistes locaux qui mettent le feu aux habitations, ... ? Ces pratiques
existent déjà, ici ou ailleurs. Elles pourraient bien se généraliser et
devenir la règle. La lutte contre la cabanisation n’est plus cantonnée aux
Pyrénées-Orientales ; des documents concernent le littoral du
Languedoc-Roussillon, peut-être d’autres régions ou départements.

Hormis
la question de l’habitat et de l’usage des terres, c’est toute la
politique de mise au pas d’une partie de la population qui s’affiche avec
fracas à travers ce piteux exploit. Certains trépignent sans doute de joie
à l’idée que soient passées au karcher les montagnes. Les laisserons-nous
faire ? Rentrerons-nous dans le rang, à force de pressions et de
résignation, de sentiment d’impuissance face aux multiples offensives
contre le désir de liberté qui nous anime, non pas cette liberté vendue
par les agents de voyage ou accolée aux forfaits de téléphonie, mais celle
qui fait courir les êtres à travers les siècles ?

.

Un site internet a été mis en place où l’on peut s’apercevoir du travail énorme réalisé par les habitants de ce hameau pendant toutes les années d’occupation de ce lieu, ainsi que toutes les activités qui drainaient la population des alentours et d’ailleurs :

http://www.lapicharlerie.internetdown.org

Et aussi plein de photosde la Picharlerié qui était, il y a peu, encore perché au fond de cet endroit grandiose.

.

Une première riposte à cette agression prendra la forme d’un

RASSEMBLEMENT DE PROTESTATION
le jeudi 26 juillet à 11h
sur l’esplanade de FLORAC
sous-préfecture de la Lozère

« On maraude mes pommes, j’arrache le pommier »

(Guy de Maupassant)

La Picharlerié est un hameau situé sur la commune de Moissac Vallée
Française, dans
les Cévennes. Abandonné depuis 60 ans, il était occupé, et peu à peu remis
en état
par ses nouveaux habitants, depuis 2002.

Le mercredi 11 juillet, l’expulsion a été exécutée manu militari à la
suite d’un
arrêté du tribunal et le propriétaire en titre l’a fait raser au tractopelle.

La Picharlerié, haut lieu de la Résistance, avait abrité des réfractaires
au STO et
des partisans anti-fascistes entre 1943 et 1944. La ferme avait été
attaquée par les
nazis et les forces collaborationnistes françaises en avril 1944. Ce lieu
appartenait aussi à la mémoire collective des Cévennes : pendant des
siècles, des
paysans y ont vécu et l’ont cultivé.

Ce qui vient de se produire, et qui se veut exemplaire, témoigne d’une
politique du
fait accompli
, avec grande brutalité, orchestrée par le Préfet de la
Lozère, Mr Paul
Mourier : la procédure bâclée, expéditive, l’absence de communication et de
négociation avec les habitants et les élus, relèvent de l’abus de pouvoir.

Cet acte amplifie un climat de tension manifeste dans la région depuis
quelque
temps, et risque d’accentuer les clivages au sein de la communauté.

Qui peut prétendre vivre dans ce pays ?

- Ceux qui, ne l’ayant pas reçu en cadeau d’héritage, le font renaître en y
habitant,
en le restaurant à leur manière, en le cultivant.

- Ou bien celui qui, l’ayant reçu de ses ancêtres, le tue en l’abandonnant
puis en le
rasant
 ?

Cévennes, terre de résistance

« Résister est un verbe qui se conjugue au présent » (Lucie Aubrac)

Déclaration d’un collectif d’habitants, d’associations et d’élus, à
l’issue de son
assemblée dominicale du 22 juillet 2007.
 [1]


SI MONSIEUR LE PRÉFET

Si Mr. Mourier, actuel préfet de la République pour le département de la Lozère, avait su ce que parler veut dire, il n’aurait jamais asséné tant de contre-vérités...

Si Mr. le préfet avait su écouter, il n’aurait pas manqué d’apprendre par ses services de renseignements que les derniers habitants en date de la Picharlerié, las des harcèlements, agressions, intimidations, avaient entrepris dès avant l’opération coup de poing de transporter ailleurs leurs outils et effets.

Si Mr. le préfet avait voulu communiquer aux représentants élus de la Vallée Française le scénario de son intervention, il aurait pu éviter un tel traumatisme dans la population et une telle débauche des deniers publics au détriment des contribuables.

Si Mr. Le préfet avait pris la peine de connaître les Cevennes Lozériennes, il aurait pu comprendre que l’activité humaine de reconstruction de ruines à l’abandon, de défrichage des sentiers et des landes, que l’entretien de jardins effectués sans aucune demande de subventions ne peuvent que bénéficier à une région où les plantations massives de résineux représentent des dépenses considérables pour leur entretien et un danger d’incendie permanent, ce à quoi l’enfouissement des sources au tractopelle ajoute encore.

Si Mr. le préfet avait étudié l’histoire, il n’aurait pas alors convoqué ensemble les représentants de la Résistance et la fédération nationale des anciens combattants d‘Algérie pour justifier a posteriori les actions qu’il a orchestrées.

Si Mr. le préfet avait remarqué au fronton des édifices publics les slogans révolutionnaires : LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ il aurait pu en conclure que, s’ils ne sont pas encore effacés, c’est parce qu’ils sont sensés guider son comportement.

Si Mr. le préfet avait regardé les journaux télévisés, il aurait pu savoir qu’il y a en France des problèmes de pauvreté, de logement, d’exclusion qu’il est de son devoir de chercher à résoudre.

Si Mr. le préfet ….mais la liste est trop longue.

Car Mr. le préfet …

Collectif pour la résistance

Notes

[1Une rencontre a lieu chaque dimanche à Sainte-Croix-Vallée- Française, à 13h à la fin du marché, et à 16h avec les élus, les associations et avec tous ceux et toutes celles qui s’opposent au désastre de la Picharlerié et de cette politique qui nous mène à la ruine
Permanence tous les jours au bocal à Ste-Croix (tél du bocal : 04 66 44 08 36)

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