Très vite le cortège s’ébranle en rang plus ou moins dispersé avant de se compacter de manière raisonnable dans la rue de la République. L’ambiance est détendue, mais combative. Peu de banderoles mais beaucoup de slogans de plus en plus radicaux d’une manif à l’autre.
Avec par exemple les traditionnels
« Darcos t’es foutu / La jeunesse et dans la rue ! »
« Lycéens en colère / Y en a mare de la galère ! »
mais aussi des
« Camarades lycéens / Il est temps de s’armer / Molotov et gros pavés / Nous allons tous carboniser ! »
« l’éducation ne payera pas votre crise ! »
« Donnez-nous du napalm / Les lacrymos ça fait pas mal ! »
« Des matraques pour tous / Ou pas de matraques du tout ! »
« Flics, porcs, assassins ! » (référence au désormais célèbre slogan grec)
« On est pas fatigué ! »
etc...
Le cortège prend de l’ampleur et de la vitesse pour arriver à Bellecour. Là-bas, les CRS bloquent l’accès à la place et le cortège s’arrête, avant de reprendre sa marche vers la place Antonin Poncet.
On comprend tous rapidement que le dispositif policier mobilisé est incroyablement disproportionné. A ce moment de la manif je compte 17 camionnettes de CRS devant le cortège ; 17 camionnettes à l’arrière du cortège ; une bonne quinzaines de camionnettes et de bus de CRS sur les quais du Rhône ; d’innombrable motos, voitures pour gérer la circulation ; et une bonne douzaines de voitures banalisées...
Il faut dire que le cortège est spontané, très mobile, et rapide. La manif n’était pas déposée et le parcours improvisé. Et puis la dernière manifestation qui avait fini place Jean Macé avait du surprendre plus d’un agent de la DCRI.
Après Bellecour on remonte les quais du Rhône laissant les CRS de tête s’engager sur le pont de la Guille... pour continuer tout droit (les cons ! Ils croyaient vraiment qu’on allait les suivre comme des moutons ?). Là, on bloque les routes autant que faire se peut (malgré les consignes des policiers qui nous invitaient à ne pas le faire). Puis on traverse à Cordeliers pour remonter le cours Lafayette puis l’avenue de Saxe. Enfin on arrive cours Franklin Roosevelt, on prend la rue Garibaldi en direction du sud pour arriver rue Deruelle. Là, la proximité du centre commercial de la Part-Dieu fait que la police se tend significativement.
Changement d’ambiance, des dizaines et des dizaines de CRS protègent toutes les entrées du centre commercial de la Part-Dieu, ainsi que le pont. Après s’être pris une bouteille sur la gueule les CRS s’équipent de leurs casques. On craint l’attaque, mais le cortège continue d’avancer. Petite confusion à ce moment.
CRS
Le long du centre commercial, rue Deruelle puis rue boulevard Vivier-Merle, les manifestants bloquent les routes et les voies de tram et se font plus mobiles au milieu des groupes de CRS qui protègent les entrées du centre commercial. Arrivée en face de la gare une partie des lycéens s’engagent sous la trémie de la rue Servient, mais la queue de cortège prend la direction inverse et se dirige vers la gare ! La tête cortège revient sur ses pas et prend également la direction de la gare. Des dizaines de CRS affluent en courant pour protéger les entrées de la gare. Scène cocasse de CRS et de lycéen-ne-s qui courent sans se courir après les uns les autres, en cherchant à arriver les premiers. Mais des CRS déjà présents dans la gare en bloquent l’accès. La tentative d’« invasion » de la gare échoue faute de rapidité.
Quelques minutes d’insultes et les CRS restés sur le boulevard s’engagent dans la partie sud de la place, bloquant les sorties. De l’autre coté le même schéma se reproduit et quelques centaines de lycéen-ne-s sont bloquées sur la place, encerclé par une centaine de CRS qui empêchent toute sortie. La peur commence à envahir les rangs de manifestant-e-s. Les CRS n’ont pas l’air de vouloir simplement bloquer les sorties : il en arrive de plus en plus. A noter que de nombreu-se-s lycéen-ne-s sont parvenu-e-s à franchir les barrages de CRS par touts petits groupes ou en se faisant passer pour des « civil-e-s » non-manifestant-e-s. Après quelques affrontements, un groupe de lycéen tente de franchir de force le barrage et est violemment repoussé à coup de matraque et de gaz lacrymo. La matraque d’un CRS vole une dizaine de mètres plus loin : le jeune homme (un lycéen ?) qui la ramasse est aussitôt et violemment interpellés par la BAC. Aucune réaction des quelques 400 lycéen-ne-s au milieu desquels se produit l’arrestation. On compte alors trois arrestations pour « l’épisode de Part-Dieu ».
La situation stagne à cet endroit. Il semble que petit à petit les lycéen-ne-s arrivent à partir. Après une quinzaine de minutes, un petit cortège d’environ deux cents personnes se reforme et avance en direction des Brotteaux. Les slogans continuent à fuser. Le cortège se ballade dans une bonne partie du 6e arrondissement et, sachant qu’il ne se ferait pas charger (parole de flic !) s’il n’y avait pas de casse, le cortège en profite pour jouer au chat et à la souris avec les motos, les camionnettes de flics et la BAC, en tournant constamment et au dernier moment dans des petites rues, des sens interdits, etc... Pour une fois les bourges du 6e on pu voir ce qu’était une manif en bas de leurs fenêtres. Arrivé à Foch, le cortège croise entre 50 et 100 CRS suréquipés qui se mettent à le suivre sur son côté... Scène surréaliste où l’on a vraiment l’impression que les CRS manifestent avec les lycéen-ne-s...
Les lycéen-ne-s arrivent sur la Presqu’île et s’engagent dans la rue du Puits Gaillot (appellation locale : rue des kebabs), toujours accompagnés des CRS. Seul 150 lycéen-ne-s arrivent place des Terreaux encadrés par pas loin de 100 CRS/Baceux suréquipés. Des voitures banalisées sont stationnés face à l’opéra, devant les grilles de l’hôtel de ville de Lyon.
Arrivant à Terreaux, les lycéen-ne-s ont commencé par s’asseoir sur la place histoire de se reposer un peu : est-il utile de rappeler qu’ils-elles marchaient depuis trois heures ?
Les CRS abondaient dans la rue des kebabs et les observent sans rien tenter, dix fois plus nombreux qu’eux-elles.
Cinq minutes passent avant qu’un intrépide ne suggère d’aller s’asseoir sur la route, histoire de finir cette manif en beauté. Les lycéen-ne-s adhèrent à l’idée et vont s’installer sur la rue perpendiculaire à celle d’Edouard Herriot (rue Joseph Sorlin ?). A ce moment, ils et elles sont environ une cinquantaine.
Les flics ordonnent très vite aux voitures engagées de reculer et bloquent la circulation. Puis une dizaine de bacqueux, qui avaient déjà suivis les lycéen-ne-s pendant toute la manif, se postent en face d’eux-elles, bientôt rejoints par les CRS.
Là, les lycéen-e-s commencent à organiser la résistance : des bouteilles de bière vides et des oeufs circulent de main en main, tout le monde se tient prêt-e. Des flics en civil qui semblent commander le peloton viennent nous parler : « Si vous restez là, on charge ». Bien sûr, ils se font refouler. Quelques minutes après, les CRS chargent. Les bouteilles et les oeufs sont balancés en toute hâte et tout le petit monde s’éparpille à travers la place : certain-e-s se précipitent au musée des Beaux-Arts, dans les rues adjacentes, vers la Croix-Rousse, …
Les bacqueux se jettent sur tout ce qu’ils peuvent atteindre et font de violentes arrestations. Ils matraquent une fille jusqu’au sang et les tirs de flash-ball fusent.
Rassemblement devant le commissariat central de Marius-Berliet :
"Là-bas, des flics (les mêmes qui avaient voulu négocier notre départ à Terreaux) viennent à notre rencontre et nous demandent ce que nous voulons. On répond qu’on veut savoir, entre autres, les noms de nos camarades inculpé-e-s. Les flics prétendent que, si nous restons bien sages (c’est à dire sans crier de slogan haineux envers les gardiens de la paix), nous aurons des nouvelles d’eux/elles.
Dans le doute, on décide de rester tranquille. Au bout d’un quart d’heure, étant désormais sûr-e-s qu’ils nous prenaient pour des cons, on essaie de soutenir nos camarades en gueulant au mégaphone vers les fenêtres du comico, et en invectivant les flics : « Un flic, une balle, un juge une rafale ! Justice sociale », etc. Dans le cas où nos camarades nous entendraient, on récapitule aussi par mégaphone les droits qu’ils ont en garde à vue.
A un moment, les flics en civil sont revenus et ont dit qu’aucun-e de nos camarades n’avait été blessé-e, qu’ils étaient tou-te-s en excellente santé. Foutez-vous de nos gueules : de nombreux témoins ont vu la fille par terre, la tête en sang."
Ce qu’on peut retenir :
Vu le froid et l’absence de tout syndicats c’est quand même un grand succès que d’avoir mobilisé tant de monde. On sait que « traditionnellement » ça met toujours un peu de temps pour qu’une mobilisation reparte après des vacances scolaires (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui). Les manifestant-es on fait preuve de pas mal de maturité en se couvrant très souvent le visage, en choisissant la mobilité (par exemple en prenant des sens-interdits), en ne provoquant pas la police là où le rapport de force était en faveur des keufs... D’ailleurs si il faut à chaque manif lycéennes mobiliser autant de flics, Lyon risque de ressembler tout le printemps à une dictature policière (enfin, de manière visible je veux dire).
Reste quelques questions stratégiques à régler...
Comment prendre de court des dispositifs policiers de cette ampleur ?
Ne doit-on pas trouver un terrain qui nous soit plus propice que de grands axes dans le 6e ?
Ne doit on pas multiplier les actions d’occupations et de blocages (gare, périph’, tram...) ?
Et pour les tenté-es de l’émeutes, des horaires plus convenables ?
Surement plein d’autres pistes à ouvrir, creuser, imaginer...
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