Berty Wild est née le 15 février 1893 à Marseille de parents luthériens d’origine suisse. Elle a grandi dans la haute société protestante au cœur du vieux Marseille. Elle fait des études classiques au Lycée Montgrand de Marseille, puis à Lausanne, en Suisse. En 1911, elle entreprend des études d’infirmière. Jeune diplômée, elle part pour Londres comme surveillante dans une pension de jeunes filles. Après le déclenchement des hostilités de la guerre de 1914-1918, Berty rentre à Marseille où elle joue un rôle important en tant qu’infirmière de la Croix-Rouge dans des hôpitaux militaires.
Après l’armistice, fin 1918, elle épouse à Rotterdam un banquier hollandais, Frédéric Albrecht. Ils ont deux enfants, Frédéric et Mireille. Ils habitent en Hollande, puis à Londres à partir de 1924, où là elle rencontre de nombreux intellectuels, et elle commence à s’intéresser à la condition féminine.
Elle écrit à son mari : « La vie ne vaut pas cher, mourir n’est pas grave. Le tout, c’est de vivre conformément à l’honneur et à l’idéal qu’on se fait. »
Féministe, anticonformiste, antifasciste
Elle se sépare de son mari à partir de 1931, mais Frédéric Albrecht continue à lui assurer une vie cossue. Elle s’installe à Paris, consacre son temps aux droits de l’Homme. et se lie avec Victor Basch, professeur à la Sorbonne et co-fondateur et président de la Ligue des Droits de l’Homme. En 1933, elle crée alors une revue féministe, Le problème sexuel, dans laquelle elle milite pour le droit des femmes à la liberté de contraception et d’avortement. Cette revue, à laquelle ont travaillé aussi les médecins Jean Dalsace et Georges Heuyer, est parue jusqu’en 1935.
Tout destinait cette petite femme au regard d’un bleu inoubliable à remplir jusqu’au bout son rôle unique de mère de famille bourgeoise. Tout sauf son tempérament radical, incontrôlable, anticonformiste. Tout sauf rester dans une trajectoire tracée d’avance. Et puis des rencontres avec des gens remarquables, cela peut aider à changer cette trajectoire, et devenir surintendante d’usine, c’est-à-dire assistante sociale, pour la cause des femmes ouvrières, militante féministe de l’union libre, propagandiste de la liberté sexuelle, compagne de route du parti communiste sans jamais y adhérer… Elle fonde d’ailleurs avec des intellectuels communistes le Comité mondial des femmes contre le fascisme.
Lucide sur la réalité du nazisme et hostile aux accords de Munich, elle fonde en 1934 un centre d’accueil pour les réfugiés allemands fuyant le nazisme (juifs et opposants politiques) afin de leur procurer argent, logement et travail. Elle fera de même pour les Espagnols républicains réfugiés de la guerre civile exilés en France. Elle y rencontre dès 1934 Henri Frenay, et participera par la suite à toutes ses initiatives pour la Résistance malgré leurs divergences politiques.
En octobre 1936, elle entre en formation à l’école des surintendantes d’usines (assistantes sociales auprès des ouvriers), où elle s’est liée d’amitié avec Jane Sivadon, qu’elle incitera plus tard à participer à la résistance. En 1938, elle est affectée aux usines Barbier-Bernard et Turenne, fabrique d’instruments d’optique pour la Marine.
La guerre, l’Occupation, la Résistance
Berty Albrecht est mobilisée pendant la guerre en tant que surintendante à la manufacture d’armes de Saint Étienne. En juin 1940, elle entre comme surintendante aux usines Fulmen à Vierzon et profite de cette situation, dès l’été 1940, pour faire passer la ligne de démarcation à des prisonniers évadés.
Dès l’automne 1940, elle refuse la défaite et ne peut que se rendre en zone libre rejoindre son ami Henri Frenay, évadé d’Allemagne, car elle est persuadée qu’il faut agir sans attendre, même si tous les deux n’ont pas les mêmes vues politiques. En effet, alors que Berty Albrecht, ou Victoria, de son nom de résistante, est proche des militants communistes, Henri Frenay est un militaire lyonnais de la droite catholique et pétainiste qui, bien qu’ennemi viscéral des nazis et des collaborateurs, entretient au début des doutes possibles sur le rôle du maréchal Pétain lors de la libération. Mais il changera d’avis. Pour Berty, Frenay, de douze ans plus jeune qu’elle, c’est l’amour de sa vie. La détermination de l’un frottée à la conviction passionnée de l’autre créeront les étincelles qui donneront Combat, le plus important mouvement de résistance. Elle est à la fois son bras droit, son ange gardien, son sergent recruteur, sa secrétaire, sa fidèle conseillère, sa complice intellectuelle, et son amie la plus intime, même si vivre les mêmes évènements n’implique pas de les vivre ensemble. Tous les deux réaliseront ensemble successivement trois journaux clandestins Bulletins d’informations et de propagande, Les Petites Ailes, puis Vérités, avant de devenir les fondateurs du réseau Combat.
Début 1941, elle commence à dactylographier les premiers Bulletins de propagande du Mouvement de Libération Nationale (M.L.N.), créé par Henri Frenay, qui apportent des informations brutes sur les actions des occupants et sur la poursuite de la guerre en Europe, informations qui sont obtenues via la section allemande du 2e Bureau, l’écoute de la B.B.C. et de la radio de Genève. À son bureau lyonnais de l’avenue de Saxe, Berty recrute pour le mouvement les premiers adhérents et collecte les premiers fonds. Au contraire d’autres mouvements émergents, le recrutement du M.L.N. s’effectue suivant un large éventail politique et social.
Lyon, Combat, et l’évasion de l’hôpital psychiatrique du Vinatier
En mai 1941 elle emménage cette fois complètement à Lyon, étant chargée de mission par le Ministère de la Production Industrielle et du Travail pour l’ensemble des problèmes du chômage féminin dans le Lyonnais. Berty fait ouvrir des ateliers de couture pour les chômeuses.
Parallèlement elle découvre au 5 de la rue Mozart à Villeurbanne, ville où se trouvent les locaux du Commissariat au Chômage, Joseph Martinet, le premier imprimeur qui prend le risque de tirer le journal Les Petites Ailes à 2000 ou 3000 exemplaires puis le journal Vérités, à partir de septembre 1941.
En 1942, de la fusion de Vérités et de Libertés, organe résistant de François de Menthon, naît "Combat", qui se développe sous la direction d’Henri Frenay avec la participation active de Berty Albrecht. Poursuivant sa lutte contre les Allemands nazis, elle établit de précieuses liaisons entre les deux zones au profit du mouvement. Les bureaux de Villeurbanne deviennent rapidement ceux du mouvement et Berty s’efforce aussi de mettre en place un service social clandestin de Combat pour venir en aide aux camarades du mouvement emprisonnés et à leurs familles.
Les allées et venues dans les bureaux du Commissariat au Chômage attirent l’attention de la Police qui arrête Berty Albrecht une première fois à la mi-janvier 1942. Relâchée au bout de trois jours, elle est rapidement contrainte à la démission.
Arrêtée à son domicile fin avril 1942 par la police du gouvernement de Vichy, elle est internée administrativement et arbitrairement en mai 1942 à Vals-les-Bains, en Ardèche, avec une partie de l’état-major du mouvement à la suite d’un coup de filet. Elle n’a droit ni à un avocat, ni à un procès. Elle exige d’être jugée. Devant le refus des autorités, elle fait une grève de la faim pendant deux semaines avec quelques-uns de ses co-détenus, parmi lesquels Emmanuel Mounier, initiateur du "personnalisme" et fondateur de la revue Esprit. Elle obtient alors gain de cause et est transférée à la prison Saint-Joseph de Lyon. Jugée au bout de six mois de prison, elle est condamnée par le gouvernement de Vichy au camp d’internement.
L’invasion par les Allemands de la zone sud, le 11 novembre 1942, risque de compliquer un peu plus encore l’avenir des prisonniers politiques et résistants. Berty Albrecht craint la déportation et décide alors de simuler des crises de folie pour faciliter ses chances d’évasion. Elle est d’ailleurs internée à l’asile psychiatrique du Vinatier à Bron le 28 novembre. Et elle réussira à s’évader du Vinatier le 23 décembre 1942 avec le coup de main d’un commando des Groupes Francs du mouvement Combat mené par André Bollier. Elle bénéficiera également pour sa libération de l’aide de sa fille Mireille et de son médecin traitant. Cet exemple d’engagement montre aussi tout le courage du personnel soignant de l’hôpital du Vinatier sous l’Occupation, dans un contexte tragique où, par la volonté nazie et les théories d’Alexis Carrel, de nombreux malades mentaux mouraient de faim.
Face aux nazis, elle ne dit rien, elle se donne la mort
Recherchée par toutes les polices françaises et allemandes, refusant de passer en Angleterre, elle se réfugie dans les Cévennes, à Durfort, puis se cache durant deux mois dans la région de Toulouse, reprend immédiatement la lutte ainsi que ses activités clandestines et, au début de février 1943, rejoint Henri Frenay à Cluny, en Saône-et-Loire, au nord de Lyon.
Mais le rendez-vous de Mâcon le 28 mai 1943 est le rendez-vous de trop. Le traître Multon l’a donnée. Frenay devait s’y rendre mais son réveil n’a pas sonné… : « Berty a été sacrifiée, arrêtée à la place de Frenay ». Elle est arrêtée à Mâcon le 28 mai 1943 par la Gestapo qui s’est invitée au faux rendez-vous de l’hôtel de Bourgogne.
Elle est incarcérée et torturée à la prison du Fort Monluc à Lyon. Mais elle ne parlera pas. Elle ne faiblira pas. Cette fois, elle sait qu’elle ne s’en sortira pas. Puis elle est transférée à la prison de Fresnes, près de Paris, le 31 mai à 0h15. Placée dans une cellule du quartier des droits communs, échappant ainsi à la surveillance réservée aux "politiques", elle se donne la mort par pendaison dans la nuit avec un foulard accroché à la lumière.
Le 31 mai 1943, les Allemands font connaître à la Préfecture de Mâcon et à l’ambassade des Pays-Bas à Londres le décès de Berty Albrecht sans indications sur ses causes. En mai 1945, son corps est retrouvé dans le jardin potager de la prison de Fresnes. Berty Albrecht est alors inhumée, et c’est la seule femme, dans la crypte du fort du Mont Valérien, à Nanterre, à l’ouest de Paris, où de nombreux résistants furent exécutés.
Nous savons aujourd’hui qu’elle s’est bel et bien pendue. Pourtant, dès le début, la rumeur court qu’elle a été décapitée à la hache dans la cour de la prison. Plus d’un demi-siècle après, elle court encore puisque nombre d’anciens résistants en étaient sincèrement convaincus jusqu’à l’exhumation des archives de la prison par sa fille Mireille il y a peu.
La pionnière de l’émancipation des femmes est morte trop tôt pour constater que sur les 1038 personnes combattantes faites Compagnons de la Libération, de Gaulle n’avait honoré que six femmes ! Dont elle, la résistante Berty Albrecht.
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