« Les événements, les faits de tous les jours, nous ont montré clairement que le drapeau rouge, si glorieux vaincu, pourrait bien, vainqueur, couvrir de ses plis flamboyants, les rêves ambitieux de quelques intrigants de bas étages. Puisqu’il a déjà abrité un gouvernement et servi d’étendard à une autorité constituée. C’est alors que nous avons compris qu’il ne pouvait plus être pour nous, les indisciplinés de tous les jours et les révoltés de toutes les heures, qu’un embarras ou qu’un leurre. »
À Lyon, ville qui avait vu les Canuts brandirent cet emblème lors de leurs révoltes de 1831 (21 novembre 1831 : début de la révolte des canuts) et de 1834 (9 avril 1834 : début de la 2e révolte des canuts et sa Sanglante semaine), le premier numéro d’un journal portant le titre "Le Drapeau noir" sort dans cette ville le 12 août 1883. Cette même année, le 9 mars 1883, lors d’une manifestation des sans-travail aux Invalides à Paris, un drapeau noir fait une apparition très remarquée : il s’agit d’un vieux jupon noir que Louise Michel a fixé sur un manche à balai (Le 9 mars 1883, Louise Michel brandit le drapeau noir). Le journal "Le Drapeau noir" écrit que, pour la fête du 14 Juillet 1883, les anarchistes ont bien fait d’inviter la population à manifester "un drapeau noir à la main", car « seul celui-ci peut convenir pour représenter le combat anarchiste, la guerre des partisans et le combat des tirailleurs dispersés ».
Louise Michel a tenu à inscrire le symbole du drapeau noir dans une continuité historique : celle de la Révolte des Canuts, mouvement révolutionnaire « autonome », « spontané » au sens où il n’a pas été conduit par un chef, un parti, une organisation…
Elle a combattu avec la drapeau rouge de la Commune aux côtés des socialistes, des socialistes révolutionnaires, des communistes autoritaires… parce qu’elle était aux côtés des ouvrier(e)s, des prolétaires. Au lendemain de l’échec de la Commune (autoritaire), échec terrible pour les communard(e)s au prix du sang, des larmes, des souffrances, des morts, pour elle il était important de marquer la « différence » de l’anarchisme, par rapport aux différents courants socialistes, réformistes, blanquistes, marxistes, guesdistes…
Le noir est un signe manifeste de deuil par ici et Louise Michel tenait bien à arborer le deuil des communard(e)s massacré(e)s par les Versaillais.
Le terme de « drapeau » n’est-il abusif ? Ne doit-on pas plutôt parler d’un… chiffon noir, ou d’une patte noire, comme on dit à Lyon, et non d’un « drapeau » à proprement parler puisque, en fait, le « drapeau » noir est un « anti-drapeau » qui annonce la disparition de TOUS les drapeaux. En effet dans la mesure où l’anarchiste est pour l’abolition des États, des frontières, des nationalités, il s’oppose au nationalisme, à l’internationalisme et à leurs symboles : les drapeaux.
Mais c’est vrai que le drapeau ce n’est pas qu’une bannière représentant une nation, c’est aussi le carré de tissu de coton qu’on utilise pour emmailloter les fesses des bébés (si leurs parents refusent les couches cellulosiques ou synthétiques). Du coup ce drapeau (teint en noir), brandi par les hommes aussi bien que les femmes, clame en plus qu’il n’y a pas de tâches réservées aux femmes et inversement.
Le journal anarchiste LE DRAPEAU NOIR paraît le dimanche à partir du 12 Août 1883. Il sera très vite victime de la répression et cessera sa parution à son dix-septième numéro, le 2 Décembre 1883. Le local de rédaction est situé à Lyon au 26 rue Vauban. Il est tiré par l’Imprimerie Nouvelle située au 52 rue Ferrandière. Le co-gérant est J L Pagent.
Un des rédacteurs du "Drapeau noir" fut Léon Domergue, qui, venant de Montpellier, s’installa à Lyon en janvier 1883. Dès son arrivée il participa aux activités du groupe anarchiste “La Lutte” et était l’un des rédacteurs du journal du même nom, qui avait fait suite au “Droit Social” et à “L’Etendard Révolutionnaire” (51 rue Molière à Lyon, gérant : Crestin, puis Cyvoct). Il y eu 19 numéros de “La Lutte”, dont les gérants furent tour à tour Lemoine, Morel et Louis Chautant. Après la participation à la rédaction du "Drapeau noir", qui avait pris la suite de “La Lutte” étant donné les poursuites contre ses gérants, Léon Domergue assuma les fonctions de secrétaire de rédaction du journal “l’Émeute” (jusqu’à 9000 exemplaires, 7 numéros du 9 décembre 1883 au 20 janvier 1884, rédigé par des groupes anarchistes de Lyon, Roanne, Saint Etienne, Dijon, Amiens, La Voulte - qui toujours pour les mêmes raisons avait pris la suite du "Drapeau noir"). P. Labille, gérant de “l’Émeute” fut arrêté et remplacé par P. Parich qui fut condamné à deux ans de prison. Ce journal connaitra le même sort et sera remplacé par un nouveau titre “Le Défi” (3 numéros en février 1884, gérant : Frenéa, puis C. Robert).
Léon Domergue était un grafre, un péju qui dut déménager à maintes reprises dans la région lyonnaise, selon comment les affaires fonctionnaient dans la cordonnerie, mais probablement aussi pour sa protection : ce regrolleur a habité au 50 grand’rue de la Guillotière, puis Chaponost, ensuite Villeurbanne, il est allé à Montluel, pour de nouveau revenir à Lyon. Le 7 septembre 1896, il reçut à son domicile l’anarchiste parisien Émile Pouget et fut de ce fait pendant des années étroitement surveillé par la police.
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info