A Montbrison : quelle justice ?

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Echos par Témoins du procès du gendarme qui a tué Aurélien Joux le 10 mars 2003, d’un coup de fusil à pompe dans le dos alors qu’il était menotté.

A Montbrison, dans le Forez, c’est une ancienne église qui, à la révolution, a été transformée en palais de justice. Mais peut-on encore parler de justice quand on voit les conditions dans laquelle elle se rend ! C’est dans ce palais de justice, à Montbrison, que Ravachol a été condamné, en assises, à la guillotine en juin 1892. C’est dans ce même palais de justice que le procès du gendarme qui a tué Aurélien Joux, le 10 mars 2003, a eu lieu le 19 mai 2005, mais l’audience ne s’est terminée qu’à près d’une heure du matin le lendemain. Mais pour cet adjudant chef de gendarmerie cela ne se passait pas en assises ! Son accusation est qualifiée d’homicide involontaire, pour avoir tiré sur Aurélien dans le dos, alors qu’il était menotté, avec un fusil à pompe à à peine plus d’un métre de lui. Et c’est le seul gendarme qui est inquiété. Son supérieur hiérarchique, qui est responsable d’une opération conduite d’une incohérence incroyable, n’est pas inculpé.

Aurélien avait 24 ans. Il est parti un soir avec un copain et il s’est fait arrêter au moment où il pensait visiter un hangar. Il a été conduit au poste de gendarmerie de Feurs où il a reconnu les faits et n’a opposé aucune résistance. Ensuite, dans la nuit, les gendarmes l’ont raccompagné à sa camionnette et c’est à ce moment, alors qu’il était entouré de quatre gendarmes armés, qu’il a été tué d’un coup de fusil à pompe. Quand on connaît Aurélien, on ne peut rien comprendre. Aurélien avait été complètement coopérant, n’a rien nié parce qu’il était franc, pacifique. Pendant deux ans il avait obtenu le statut d’objecteur de conscience. Au lieu de faire son service militaire, il avait travaillé pour la collectivité. Pendant deux ans, c’est long, on ne gagne pas beaucoup, il faut se débrouiller et il l’avait fait. Parce que, en plus, quand il avait des idées, il les mettaient en application.

On ne peut rien comprendre à ce qui s’est passé, il n’y a aucune raison pour que cela se soit passé comme cela. Il paraît évident que cela peut arriver à n’importe qui d’entre nous, et d’autant plus à ceux qui peuvent paraître comme marginaux, si les pratiques actuelles continuent de la même manière. A quelques jours d’intervalle, en ce mois de mars 2003, quatre personnes ont été tuées par un policier, un gendarme ou un douanier : un sans papier à Valenciennes, Mourad Belmokhtar à Durfort, près de Nîmes, Nicolas Billotet à Lyon-St Rambert l’ile Barbe, et Aurélien Joux. Lorsque des gendarmes, des policiers interviennent, et même s’il y a des choses à régler, cela ne peut pas se régler n’importe comment. Porter une arme oblige à encore plus de compétence, on doit savoir ce que l’on a entre les mains et on ne peut pas l’utiliser pour faire n’importe quoi.

Plus de deux ans d’attente pour ce procès, c’est très long pour la famille d’Aurélien, qui demande des explications officielles, qui demande paisiblement que justice soit faite, même si cela ne leur rendra jamais Aurélien. Mais ce n’est pas tout. Ce procès se fit attendre très longtemps le jour-dit. Convoqué à 14h, on apprit ensuite qu’il se passerait vers 15h30. En effet il y avait avant, le procès de FeursMétal, dans le cadre d’un accident du travail grave, qui dura en fait jusque vers 18 heures, (où l’avocat de cette entreprise plaida pendant... une heure et demi, en ne faisant que se répéter sans cesse). Puis, une interruption de séance fut assez longue. Ensuite, quand il s’est agi du procès du gendarme, l’expert en balistique demandé par la famille d’Aurélien était parti car il avait une autre expertise à faire en assises à 19 heures. Du coup, comme l’expert n’était plus là, Marie-Noëlle Fréry, l’avocate de la famille Joux, a demandé le report de l’audience. Ce fut alors un délibéré de près d’une heure pour décider du report ou non. En définitive, la décision du jury a été de ne pas reporter ce procès. Mais il y a eu encore une affaire ou deux qui sont passées avant le procès du gendarme. Ce qui fait que le procès eu lieu vers 21 heures, sans que l’expert puisse être interrogé, et pour ne se terminer que vers une heure du matin !

Cette expertise était primordiale car elle différait énormément des dépositions des gendarmes. En effet, d’après ces dépositions, le coup serait pratiquement parti tout seul et on a presque l’impression que c’est le chien d’Aurélien qui était responsable d’avoir appuyé sur la gachette. (D’ailleurs ce chien a été exécuté à bout portant immédiatement après Aurélien. Pourquoi exécuter un chien comme ça qui pleurait son maître ?) La balistique prouvait une autre version des faits, d’où, pour la famille d’Aurélien, l’importance de la présence de l’expert.

Peut-on encore dans ces conditions parler d’une justice sereine, rendue de plus à une heure du matin ! N’a-t-on pas tout fait pour entraver la justice, éviter la présence de l’expert en balistique, et épuiser tout le monde aussi bien l’appareil judiciaire que l’avocate qui doit plaider, et que la famille et le public. Il faut rendre hommage à l’avocate, mais aussi à tout le public qui est resté fort tard, même s’il était moins nombreux. Cependant il est tout à fait indigne de laisser toute la famille de ce jeune, qui a été tué par un gendarme, dans l’attente, sans manger et se désaltérer, et faire traîner les choses de la sorte en longueur. La justice a vraiment du mal depuis des années à ne pas couvrir de tels faits criminels gravissimes d’un policier ou d’un gendarme par l’impunité. Il ne faut donc pas trop s’en étonner même s’il y a de quoi être scandalisé.

Le procureur recquiert 18 mois de prison avec sursis. Et aucune autre peine supplémentaire pour ce gendarme "comme tous les autres" (ni bien noté, ni mal). En plus, aucune peine supplémentaire, comme l’interdiction du port d’arme, comme une mise à pied professionnelle (le gendarme continue actuellement à exercer). Ce gendarme s’était habillé de son habit d’apparat pour l’occasion, c’est comme si, par exemple, un maire mis en examen allait au tribunal avec son écharpe tricolore...

Le verdict sera rendu le 16 juin 2005, à 13h30 au Tribunal de Montbrison.

Il y aurait aussi de quoi réfléchir par rapport à cette justice de classe au travers d’un autre procès qui avait lieu avant celui-là. Jean Luc Gambiez, le patron de FeursMétal (c’est lui qui voulait faire retraiter par ses ouvriers les ferrailles radioactives des centrales nucléaires du Tricastin) et son chef de la maintenance, étaient jugés parce qu’un ouvrier de maintenance avait été happé par une grosse machine qu’il réparait. Il s’en est tiré de justesse après un coma et de graves blessures et traumatismes. L’avocat de FeursMétal, dans son interminable plaidoirie a même dit qu’il n’était pas utile de mettre des protections aux interrupteurs des machines, puisque ces protections auraient été de toute façon démontées ! Et il y aurait surtout de quoi réfléchir sur le rôle d’un procureur qui ne peut mettre “évidemment que du sursis” à un chef d’entreprise, et demande une faible amende pour l’entreprise parce que si l’amende était trop grosse cela empêcherait celle-ci de se mettre désormais en conformité avec les normes de sécurité...

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