Ils sont 31. Il y a quelques semaines ils étaient plus encore, certains ont déjà rejoint leur Pologne natale dont ils s’étaient expatriés de longs mois pour venir gagner en France les euros qui leur permettraient de vivre un noël paisible en famille à leur retour...
Mais c’était sans compter sur des patrons voyous qui ont déjà très largement anticipé l’esprit de la Directive BOLKESTEIN...
Depuis plusieurs mois, le Ministère de la Justice fait construire à Thonon un nouveau Palais de Justice. Les travaux ont été confiés à une grande entreprise de travaux publics que nous pouvons citer puisque son nom est affiché en grand sur le fronton du chantier, le groupe DUMEZ.
Ce groupe sous-traite certains travaux avec des entreprises locales, dont l’entreprise A..... - que nous ne pourrons pas nommer car deux plaintes ont été déposées ces jours-ci contre elle pour utilisation de faux documents et pour menace de mort. Cette entreprise, nouvellement implantée dans le Chablais, dans la proche périphérie Thononaise, sous-traite elle-même avec une société basée en Allemagne que nous nommerons la société D.... Cette société allemande sert en fait au rabattage de travailleurs Polonais qu’elle appâte par petites annonces sur internet et dans la presse locale. Voici la version des faits, tels qu’ils ont été racontés à la délégation de l’Union Locale CGT du Chablais qui a rencontré ces 31 travailleurs grévistes :
« Nous avons répondu aux annonces de l’entreprise D.... pour venir travailler en France jusqu’à Noël. Le point de départ était fixé dans une ville de Pologne à 200 kilomètres de la frontière allemande. Au rendez-vous, il n’y avait pas de bus, un correspondant nous a dit de nous rendre à la frontière par nos propres moyens, ce que nous avons fait. Au deuxième point de rendez-vous, toujours pas de bus, un autre correspondant nous a invité à traverser la frontière jusqu’à une ville allemande où nous avons effectivement pris des minibus et des véhicules immatriculés en France, venant de Haute Savoie. Ces voitures nous ont amenés à Perrignier dans une maison de 150 m2 environ où nous logeons à 31. Il n’y avait pas de matelas jusqu’à ces derniers jours, nous couchions à même le sol, il y avait 60 litres d’eau chaude pour 31 personnes, et parfois plus (40) avant que nos collègues repartent en Pologne.
Nous travaillions 8 heures par jour du lundi au vendredi et 5 heures le samedi matin. Théoriquement, nous devions être payés 10 euros nets de l’heure, mais nous n’avons pas touché de salaire depuis les deux mois que nous sommes ici. Certains ont seulement reçu 150 ou 300 euros d’acompte.
Nous n’avons plus un sou pour manger. De temps en temps les patrons de l’entreprise A... nous achetaient un peu de nourriture, mais pas assez pour 31. »
Notre interlocuteur nous montre une photo prise avant son départ de Pologne pour prouver son amaigrissement, il a perdu plus de 15 kg en deux mois. Certains sont malades, l’un est blessé à la main, « le patron n’a pas voulu l’emmener à l’hôpital. Plus grave encore : durant ces deux mois, un salarié est tombé d’un toit et était blessé, nécessitant d’aller à l’hôpital. Il a été immédiatement rapatrié en voiture en Pologne !
Les patrons nous doivent 47 305 euros de salaires, nous sommes déterminés à occuper le chantier jusqu’à ce que cet argent nous soit versé (ils dorment depuis samedi sur le chantier) nous voulons un règlement à l’amiable et rentrer chez nous pour Noël... ».
Ils décident de se mettre en grève et cherchent à alerter l’opinion publique en posant de grandes banderoles « S.O.S 31 polonais en grève » sur les frontons des bâtiments du futur Palais de Justice. Dans la nuit qui suit, des faits extrêmement graves se sont produits : les patrons, armés d’un pistolet et flanqués de nervis les ont agressés vers 23h en voulant les forcer à monter dans deux minibus pour repartir immédiatement en Pologne. Ni vu, ni connu, ils pourraient toujours exiger leurs salaires depuis les bords de la Baltique..... Ils ont refusé et fait alerter la gendarmerie de Bons qui est intervenue, mais après le départ des minibus. Toutefois l’agression a pu être filmée par un téléphone portable, et une plainte a été déposée pour menace de mort, à Perrignier et sur le chantier même.
Tout de suite, l’Union Locale CGT a pris contact avec l’avocat qui a été mandaté par le Consulat de Pologne. Celui-ci est entré en relation avec le groupe DUMEZ qui se reporte sur l’entreprise A..... pour le paiement des salaires, qui elle-même se reporte sur la société allemande. Comble de l’ignominie, cette société allemande les a enregistrés comme artisans et non comme salariés, bon prétexte pour ne pas leur payer de salaires... ! L’Inspection du Travail, déjà présente depuis le début du conflit a été saisie. Des élus locaux ont interpellé le Sous-Préfet pour éviter une expulsion du chantier, ce qui anéantirait toute possibilité de pression sur les patrons de l’entreprise A... pour le règlement des salaires. Aux dernières nouvelles, le Groupe DUMEZ accepterait, d’après l’avocat, de prendre en charge les frais de retour en Pologne, visiblement bien embêté par cette situation qui entache lourdement son image de marque... On peut tout de même se poser sérieusement des questions sur les critères retenus par ce groupe pour sélectionner l’entreprise chablaisienne A..., sinon des prix de main d’œuvre défiant toute concurrence !
Tout de suite également, le collectif de Solidarité du Chablais leur venait en aide d’urgence avec des vivres, des couvertures et l’appui d’un médecin de la Croix Rouge.
A la CGT, pour ce qui la concerne, la solidarité internationale du monde du travail n’est pas seulement un mot d’ordre de fête du 1er mai. Pour ces travailleurs, nouveaux esclaves du libéralisme sauvage du 21e siècle, l’union locale CGT de Thonon a demandé une solidarité immédiate d’urgence.
Le comble de cette tragédie, c’est que ces hommes sont venus construire, ici, un Palais où demain sera rendu la Justice. N’attendons pas la fin des travaux pour crier notre injustice et pour tout faire pour leur rendre leur dignité.
Aujourd’hui, ils ont finalement pu être payé et ont pu retourner chez eux en Pologne. Les plaintes déposées suivent leur cours. L’union locale CGT de Thonon continue à suivre cette affaire, par l’intermédiaire d’une interprète sur place, notamment pour permettre à ceux qui sont partis avant les 31 ouvriers polonais, qui se sont mis en grève, de pouvoir eux aussi être régularisés au niveau des salaires. Par ailleurs, ils essaient de connaître les conditions d’autres ouvriers polonais qui travaillent sur de nombreux autres chantiers...
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