C’est quand même Pénible qu’on Compte encore nous arnaquer

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Le 1er janvier 2015 est entrée en application une partie de la loi votée le 20 janvier 2014 sur le Compte Pénibilité. L’idée c’est de quantifier, par un système de points, l’exposition des salariés aux facteurs de pénibilité du travail, pour leur proposer une réparation sous forme de formation ou de repos. Environ 25% des salariés du privé travaillent dans des conditions très pénibles, mais seuls ceux qui remplissent des critères drastiques pourront bénéficier de la – maigre – compensation prévue.

C’est quoi "pénible" ?

Dix facteurs de pénibilité ont été retenus pour ouvrir droit au « Compte personnel de prévention de la pénibilité » (C3P) :

  • manutentions de charges lourdes,
  • postures pénibles,
  • vibrations mécaniques,
  • agents chimiques dangereux,
  • travail en milieu hyperbare,
  • températures extrêmes,
  • bruit,
  • travail de nuit,
  • travail posté,
  • gestes répétitifs sous cadence imposée.

Seuls 4 facteurs sont pris en compte dans le décret d’application au 1er janvier 2015 : le travail répétitif, en milieu hyperbare, le travail posté et le travail de nuit. Les autres devraient être pris en compte à partir de 2016, sauf recul habituel du gouvernement face au MEDEF. Gattaz trouve que le C3P est « absurde et anxiogène », alors bon.

Comment on calcule ?

Chaque critère est associé à un temps minimal d’exposition, seuil en dessous duquel l’activité n’est pas considérée comme pénible pour le Code du Travail. Par exemple, 900 heures par an (soit 6 mois à temps plein) pour le travail répétitif, ou 600 heures/an (4 mois à temps plein) pour l’exposition au bruit.

Ils sont également associés à des seuils : 80 décibels pour le bruit, ce qui équivaut à peu près à une tondeuse à gazon ou un aspirateur. Si le bruit ambiant est supérieur, l’employeur est tenu de fournir au salarié un Équipement de protection individuelle (EPI), généralement des boules Quies. Le port de l’EPI fait baisser le niveau d’exposition au bruit, et donc ne valide pas de point C3P. Même si, pour s’assurer que tout va bien plus haut sur la chaîne, pour écouter le cliquetis de la machine, ou pour communiquer avec ses collègues... le salarié les enlève constamment pour pouvoir faire son travail correctement, et donc que leur effet sur la protection de l’audition est limité.

Pour le travail répétitif, il faut que le temps de cycle, donc le temps entre deux tâches exactement identiques, soit égal ou inférieur à une minute. Couper la tête d’un poulet toutes les 90 secondes, non, désolé, ce n’est pas assez pénible.

Ensuite, le C3P fonctionne avec un système de points. Pour un salarié présent dans l’entreprise toute l’année :

  • 4 points par an pour une exposition à un seul facteur,
  • 8 points pour plusieurs facteurs.
    Si le salarié est exposé à plus de deux facteurs, et c’est souvent le cas, parce que que les travailleurs en 3-8 font rarement du travail administratif, c’est quand même 8 points. Par an.

C’est l’employeur qui renseigne le nombre de points pour ses salariés, et qui les déclare à la Cnav [1] une fois par an. Si le salarié n’est pas d’accord avec la déclaration, c’est à lui d’entamer un recours auprès de la Carsat [2], ce qui s’annonce comme un beau parcours du combattant.

On en fait quoi des points ?

Les 20 premiers points doivent obligatoirement être utilisés pour financer une formation professionnelle, sauf pour les travailleurs nés avant 1960.

Ensuite, le salarié a le choix entre :

  • La formation pour accéder à un poste moins exposé, ou non exposé à la pénibilité. Chaque point donne droit à 25h de formation.
  • La réduction du temps de travail sans diminution de salaire : 10 points permettent de financer l’équivalent d’un mi-temps sans réduction de salaire pendant un trimestre. Mais au maximum pendant deux ans.
  • L’anticipation du départ à la retraite : 10 points permettent de financer un trimestre de majoration de durée d’assurance. Mais au maximum sur 8 trimestres, donc deux ans aussi.

Qui paie ?

Cette prise en compte de la pénibilité du travail prend le parti de la réparation, et pas celui de la prévention. Et ce ne sont pas vraiment les entreprises qui vont payer : la cotisation de base des employeurs ne sera pas mise en place avant 2017, et ne représente que 0,01% de la masse salariale, avec exonération pour les bas salaires.

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La cotisation spécifique (pour les entreprises qui font travailler des salariés dans des conditions reconnues pénibles par la loi) sera, elle, de 0,1% du salaire du salarié concerné pour 2015 et 2016. Pour un salarié au SMIC à plein temps, environ 1650€ mensuels en comptant les charges patronales, la cotisation représente donc environ 20 euros par an. Une belle incitation à investir dans des aménagements pour l’amélioration des conditions de travail.

C’est donc a priori la Cnav et la branche AT/MP [3] qui prendront en charge le C3P. Leur budget est en baisse depuis plusieurs années, et la CGT doute de leur capacité à mettre en œuvre le dispositif dans des conditions satisfaisantes.

Dans le dernier numéro de Santé & Travail, Serge Volkoff rappelle que c’est « le travail lui-même, les contraintes et les nuisances qu’il impose, qui influencent la durée et la qualité de la retraite ». Les salariés dont le travail est pénible, en plus de passer leurs journées dans des conditions de travail déplorables, voient leur espérance de vie en bonne santé réduite de manière significative.

Pour rappel, en 1975, la France instituait le repos compensateur qui permettait aux salariés qui auraient passé cinq ans au four, à la chaîne, exposés aux intempéries ou au travail de nuit, de partir à la retraite 5 ans plus tôt. C’était pourtant sous un gouvernement de droite, et le départ anticipé pour travail pénible n’avait pas besoin d’être justifié par ces critères drastiques.

P.-S.

Le logo de cet article est tiré de l’affiche « Equality » de SEVİM Münevver.

Notes

[1Cnav : Caisse nationale d’ assurance vieillesse.

[2Carsat : Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail.

[3AT/MP : Accident de travail /Maladie professionnelle

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  • Le 15 février 2015 à 17:56, par

    Autre critère de pénibilité oublié (???) le travail en grand déplacement ; il est vrai que cette réalité professionnelle à + de conséquences sur la vie sociale et familiale, ...

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