L’été dernier, un décret publié au Journal Officiel lançait une rumeur sur Internet : les gendarmes mobiles auraient dorénavant le droit de tirer dans une manifestation avec des armes de guerre, des fusils de précision à répétition dotés de munitions 7,62 x 51.
A l’époque, la rumeur persistante avait été désamorcée par Maître Eolas. Dans son billet Pas de gilet pare-balle à la prochaine Gay Pride, il rappelait qu’effectivement l’usage des armes à feu pour « le maintien de l’ordre » est prévu de longue date, mais dans un cadre de « légitime défense » à courte distance : fusil à pompe, arme de poing…
Toutefois, en octobre 2011, un député déposait une question parlementaire au ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, pour clarifier ces nouvelles dispositions.
Avec ce décret et dans les situations prévues au quatrième alinéa de l’article R. 431-3 du code pénal (lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre la force publique ou lorsque cette dernière est dans l’impossibilité de défendre autrement le terrain qu’elle occupe), il sera possible aux forces de sécurité d’utiliser le fusil de calibre 7,62 à répétition qui est une arme de guerre. [Le député Jean-Jacques Candelier] aimerait savoir, puisque la France n’est ni en état de siège ni sous le coup d’une guerre civile, si ce décret va être abrogé, car il met en péril la vie des citoyens qui manifestent, excédés par la politique actuelle.
La réponse de Guéant est publiée au Journal Officiel le 22 mai, et dépasse la simple harmonisation nécessitée par le rapprochement entre police et gendarmerie que mentionnait Eolas. Le tir peut être fait pour une riposte :
L’éventuel usage de cette dernière arme (…) concerne les attroupements et non les manifestations de voie publique. Ce cadre légal répond à une situation, heureusement exceptionnelle, où des policiers seraient pris sous le feu d’un individu utilisant une arme à feu à munitions métalliques à une distance rendant inopérant l’usage d’un lanceur de balles de défense ou de tout autre moyen de force intermédiaire.
Et pour « la défense d’un terrain » :
Enfin, son article 3 définit les caractéristiques des armes à feu qui, outre celles énumérées à l’article 2, sont susceptibles d’être utilisées, lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre les représentants de la force publique ou lorsque ces derniers sont dans l’impossibilité de défendre autrement le terrain qu’ils occupent, à titre de riposte en cas d’ouverture du feu sur les représentants de la force publique.
C’est exactement ce qu’il s’est passé à Grenoble, ou à Villiers-le-Bel, avec des tirs de grenaille ou de plombs de chasse. Le décret est suffisamment flou pour que l’on ne sache pas quelle arme est effectivement autorisée. La munition 7,62x51 équipe en effet un grand nombre de fusils et de mitrailleuses, et la classification mentionnée par le décret est large : « Fusils, mousquetons et carabines de tous calibres, à répétition ou semi-automatiques, conçus pour l’usage militaire. »
Les policiers sont déjà dotés, pour mater les émeutes, d’armes leur permettant de riposter à des tirs. Mais il s’agit ici de fusils permettant de tirer en étant à plusieurs centaines de mètres de la cible. Sur un forum spécialisé, quelqu’un se présentant comme « dirigeant un service de GIPN » donne sa lecture de ce décret :
Pour les émeutes de 2005 il était difficile de justifier juridiquement la neutralisation à distance d’un émeutier porteur d’une arme de poing à portée limitée (Qui pouvait d’ailleurs être une arme à grenaille). Avec le nouveau texte, il est désormais possible de neutraliser un tel individu, tout en assurant la protection juridique du tireur.
Notons que les blindés de la gendarmerie, les Berliet VXB170, peuvent aussi être équipés d’un tel calibre, mais sur des mitrailleuses. La possibilité d’utilisation de ces blindés pour « le maintien de l’ordre » est d’ailleurs précisée par un décret lui aussi créé le 30 juin 2011 :
Art. R. 431-5.-I. ― Les moyens militaires spécifiques de la gendarmerie nationale susceptibles d’être utilisés au maintien de l’ordre sont les véhicules blindés de la gendarmerie équipés pour le maintien de l’ordre.
« Ces moyens militaires spécifiques ne peuvent être engagés qu’en cas de troubles graves à l’ordre public ou de risques de tels troubles et après autorisation du Premier ministre.
Il est étonnant de voir cette réponse de Guéant publiée après les élections. Mais il a également promulgué un énorme fichier le 6 mai. Et le 9 mai, le principal sujet du dernier conseil des ministres de l’ère Sarkozy concernait un nouveau « Code de la Sécurité Intérieure » qui devrait être l’un des tous premiers textes votés par la future Assemblée Nationale.
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