En route vers l’Europe, quand l’eldorado ferme ses portes…

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Depuis les arrivées massives de réfugiés en 2015, le renforcement du contrôle de l’immigration clandestine est devenu une priorité pour l’Union Européenne et passe par un ensemble de mesures rendant complexe la compréhension de son action. Néanmoins, comme l’indique un rapport récent sur la politique migratoire européenne, « la logique poursuivie est relativement simple et peut se résumer à deux grands objectifs : empêcher les personnes migrantes d’arriver sur le territoire européen et renvoyer celles qui s’y trouvent en situation administrative irrégulière. »

Vers une généralisation de la crise… [1]

On peut lire dans le communiqué de presse rédigé à l’occasion du sommet européen des 14 et 15 décembre 2017, la déclaration du président de la Commission européenne M. Jean-Claude Juncker : « Même si nous quittons progressivement la gestion de crise, il est évident que les migrations demeureront un défi pour toute une génération d’Européens. L’Europe doit se doter de toute urgence de moyens pérennes de gérer les migrations de façon responsable et équitable. Nous avons certes accompli des progrès tangibles au cours des trois dernières années, mais il est temps à présent que les propositions deviennent législation, et que cette législation soit mise en pratique. »  [2] La période de crise est donc passée nous informe t-on, et il est temps d’œuvrer à une gestion stable et pérenne des flux migratoires.

L’Union européenne entend montrer la voie à suivre, et se donne comme priorités législatives pour les années à venir les domaines d’actions suivants : « le renforcement de la sécurité des citoyens européens » et « la réforme et le développement de sa politique migratoire dans un esprit de responsabilité et de solidarité » [3]. Pour cela, la coopération des pays membres de l’Union européenne ainsi que celle des pays de départ et de transit est une priorité. Les principaux axes de la feuille de route proposée lors de ce sommet doivent permettre d’aboutir à un « accord global sur une politique migratoire durable » d’ici juin 2018. Il s’agira notamment de :

– rendre pleinement opérationnelles les capacités de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) et d’accroître ses objectifs d’expulsions (+50 % dès juin 2018) [4].

– assurer la mise en œuvre complète de l’accord UE-Turquie. Si la Commission européenne se réjouit en affirmant qu’il a permis de « […] jouer un rôle clé en veillant à ce que le défi migratoire en Méditerranée orientale soit traité efficacement et conjointement par l’UE et la Turquie. », pour de multiples raisons, le nombre de relocalisation dans les pays européens demeure bien en dessous des prévisions annoncées et les retours en Turquie depuis la Grèce restent pour l’heure limités [5]. Les réfugiés sont ainsi bloqués sur le continent ou sur les îles Grecques durant de longues périodes dans l’attente de la négociation de leur cas. Les principales considérations de la commission sont de réduire l’arriéré des demandes, améliorer les capacités de traitement et de détention en Grèce dans le but d’accélérer les retours.

– renforcer la coopération avec les pays « tiers » africains. La question migratoire est conditionnée à l’ensemble des domaines de coopération (économique, commercial, politique ou militaire, aide au développement) selon les intérêts européens : réadmission des personnes en situation irrégulière, renforcement des contrôles aux frontières et gestion des migrations au sein même des pays de départ ou de transit [6].

– réviser le régime d’asile européen commun (RAEC) avec pour objectif d’approuver, d’ici juin 2018, une révision du règlement de Dublin dans le cadre d’un accord plus large sur toutes les réformes proposées. Il est question d’harmoniser les conditions d’accueil dans toute l’UE et notamment de : réduire les différences de taux de reconnaissance d’un pays à l’autre et décourager les mouvements dits secondaires d’un pays européen à l’autre par des mesures plus strictes, adapter et renforcer le système Eurodac [7] pour faciliter les retours et lutter contre la migration irrégulière, et adopter le concept de « pays tiers sûr » [8].

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Du point de vue des dirigeants européens, la gestion de la crise n’était donc pas entendue dans le sens de la capacité des états membres à faire face à un afflux exceptionnel de populations immigrées et de procéder à leur intégration sur leur territoire. Il s’agissait bien de développer des moyens pour bloquer dans l’urgence des entrées considérées comme intrusives. Autrement dit, l’essentiel des efforts ont été consacrés à la mise en place d’une politique migratoire coordonnée de gestion des flux et de protection, mais pas de résoudre la situation endurée par les personnes contraintes de fuir leur pays et demandant protection en Europe [9].

Si les États membres annoncent procéder à la réinstallation de 50 000 réfugiés vulnérables supplémentaires d’ici à mai 2019, ce chiffre est à mettre en relation avec la hausse des prévisions du nombre d’expulsions envisagées et les retours volontaires assistés supplémentaires financés par la Commission devant être effectués d’ici février 2018 (dont notamment 15.000 personnes bloquées en Libye). Il faut également relativiser les prévisions de réinstallations qui dans la pratique se heurtent aux cafouillages plus ou moins volontaires des états refusant de se prêter à la répartition dite équitable de la charge – et qui permettent d’ailleurs dans l’attente de résolutions de ne pas appliquer ces mesures [10].

Les orientations envisagées pour les années à venir par l’UE n’ont pourtant rien de fondamentalement nouveau. Elles ne font qu’entériner la logique que nous connaissons aujourd’hui et persistent dans une volonté de fermeté. Les migrations irrégulières doivent être combattues qu’elles qu’en soient les conséquences, et les possibilités légales d’accéder en Europe ne sont pas améliorées, bien au contraire. Si le nombre d’arrivées sur le sol européen demeure aujourd’hui nettement inférieur à celui de 2015, il est toujours question de poursuivre le virage sécuritaire légitimé par la « crise », et de le généraliser [11].

La suite à lire sur : https://cevennessansfrontieres.noblogs.org/post/2018/02/12/en-route-vers-leurope-quand-leldorado-ferm

Notes

[1Voir le rapport réalisé conjointement par le réseau Migreurop, le collectif Loujna-Tounkaranké, et la Cimade : http://www.migreurop.org/article2849.html?lang=fr

[2Voir la feuille de route de la Commission européenne du 7 décembre 2017 : https://ec.europa.eu/commission/news/political-roadmap-sustainable-migration-policy-2017-dec-07_f

[3Voir la feuille de route de la Commission européenne du 7 décembre 2017 : https://ec.europa.eu/commission/news/political-roadmap-sustainable-migration-policy-2017-dec-07_fr

[4Depuis juillet 2016 et l’adoption de son nouveau mandat par le Parlement européen, son rôle en matière d’expulsion s’est considérablement renforcé. Frontex peut en effet désormais prendre l’initiative d’organiser des « opérations de retour conjointes », ce qui était jusqu’ici une prérogative des États membres, et a coordonné en 2016 l’expulsion de 10 700 personnes dans le cadre de 232 opérations – soit trois fois plus qu’en 2015 – vers neuf pays dont l’Afghanistan, la Somalie, le Soudan et la Turquie. En 2017, Frontex est l’agence la mieux financée de l’UE avec un budget de 302 millions d’euros.

[5Selon les chiffres annoncés par la commission européenne 11.490 réfugiés ont été réinstallés de la Turquie vers les États membres de l’UE, 2.059 ont été expulsés depuis mars 2016, 2.041 seraient rentrés « volontairement » des îles depuis juin 2016. Suite à la signature de la déclaration, la route des Balkans a été fermée et près de 60.000 se sont retrouvées piégées en Grèce, dont environ 15.000 dans les îles. Les arrivées sont toujours fréquentes sur les îles et viennent remplacer les expulsions en Turquie, ce qui fait que le nombre global de personnes en attente n’évolue que peu. Pour de plus amples informations sur les hotspots, voir l’étude : http://journals.openedition.org/revdh/3375#tocfrom2n2

[6Pour obtenir la collaboration des pays tiers qui n’ont pourtant aucun intérêt à s’investir dans ce domaine, l’UE propose des contreparties. Progressivement, elle a étendu cette conditionnalité afin qu’il devienne impossible pour les États ciblés de coopérer avec l’UE dans un domaine spécifique sans que les objectifs européens en matière migratoire ne soient aussi abordés. Il ne s’agit pas seulement de récompenser les États qui acceptent de coopérer, mais de faire en sorte qu’ils n’aient pas les moyens de refuser (voir rapport http://www.migreurop.org/article2849.html?lang=fr).

[7Eurodac est une base de données mise en place dans l’Union européenne et opérationnelle depuis le 15 janvier 2003. Doté d’un système automatisé de reconnaissance d’empreintes digitales, il a pour objet de contribuer à déterminer l’État membre qui, en vertu de la convention de Dublin, est responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans un État membre et de faciliter à d’autres égards l’application de la convention de Dublin.

[8L’adoption du concept de « pays sûr » permettrait l’expulsion automatique des demandeurs d’asile vers les pays extérieurs à l’Union européenne par lesquels ils auraient transité si ces pays sont considérés par les institutions européennes comme ne présentant pas de risques majeurs pour les personnes y étant renvoyées. Ce concept se base sur l’idée que la charge de l’accueil devait être au moins partagée avec les pays de transit. Voir par exemple pour plus d’informations : http://www.portail-humanitaire.org/news/on-renvoyer-demandeurs-dasile-vers-pays-tiers-surs/

[9L’on comprend ainsi pourquoi du point de vue de l’Europe, l’application de l’accord UE-Turquie est une réussite : les entrées ont significativement chuté, l’accord a servi de base exportable pour d’autres pays, et au final, il ne resterait « que » le retour à mettre en place pour les quelques milliers de personnes encore bloquées dans le pays…

[10On pense par exemple aux nombreux états refusant de se prêter au jeu de la répartition censé venir en soutien aux pays « en première ligne » comme la Grèce et l’Italie : au mois de septembre 2017 – au terme de la procédure prévue pour deux ans –, le nombre de personnes ayant bénéficié du dispositif était inférieur à 30 000 (dont 20 000 depuis la Grèce), ce qui correspond à un peu moins du cinquième du total que les États membres s’étaient engagés à accueillir ; où encore l’on pensera aux différents groupes parlementaires allemands ne souhaitant pas reconduire le programme de regroupement familial pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire devant prendre fin en mars 2018.https://www.ecre.org/germany-proposals-to-uphold-cap-on-family-reunifications-despite-drop-in-potential-applicants/

[11Les chiffres publiés début février 2018 par le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) montrent une diminution significative du nombre de demandes d’asile introduites dans l’UE en 2017 (une diminution de 43% par rapport à 2016. Cette tendance ne signifie pas pour autant que les populations nécessitant une protection aient diminué au niveau international, mais plutôt que la politique européenne de protection des frontières porte ses fruits. https://www.easo.europa.eu/news-events/press-release-easo-releases-overview-2017-eu-asylum-trends

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