Sur la « violence » et la « non-violence »

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Lettre sans destinataire
mais possiblement en réponse au texte :
Un champ de bataille comme alternative à l’OTAN ?

Les contre-sommets sont toujours l’occasion de polémiques sans fin sur l’éternelle question de la violence. Et ce qui traverse grosso modo toutes les « analyses », c’est d’abord une absence, comme un manque crucial : la définition de ce qu’est la violence, ou la redéfinition comme réappropriation des mots avec lesquels on entend communiquer.
Ce qui amène, comme souvent, à partir sur des évidences, qui peuvent venir se surimprimer à nos ressentis. Il ne s’agit pas du tout par là de mettre en doute la sincérité des discours de militants ou les textes sur les expériences vécues, mais plutôt d’amener une réflexion sur la forme dans laquelle elles peuvent s’exprimer et se communiquer. Le langage m’apparaît déjà comme la séparation inscrite en nous, entre moi et les mondes que j’habite, entre moi et mes sensations, l’indicible qui me traverse. Pour qui voudrait affirmer une présence et avoir une incidence sur le réel, notre langage est comme d’autant plus séparé, parce que dicté par la presse, langage spectaculaire, et le spectacle, pour parler avec Debord. Mais pas seulement : il faudrait saisir à quel point ce langage est diffus, s’impose dans et par tous les organes de reproduction d’un ordre.
Désamorcer la violence pour conserver l’ordre dominant violent
La violence c’est ce qui fait la une de tous les quotidiens quand il s’agit de désigner l’ennemi intérieur, anarcho-autonomes, bandes organisées de jeunes de banlieue, et au milieu, qui tient au fond des deux, casseurs en manif [1]. En réalité, c’est tout un monde qui est construit autour de la prévention et la condamnation de la violence : assistant-e-s sociaux-ales, infirmier-es scolaires, conseiller-re-s conjuguaux-ales… passent leur temps à tenter de résoudre, à désamorcer les problèmes de violence. C’est-à-dire à sans cesse réaffirmer la norme dominante de la société occidentale type, la pacification sociale généralisée, le maintien du « contrat social », et à la protéger contre ce qui la menace, l’irruption de l’incontrôlable, de ce qui ne se soumet pas à ce calme plat. Et cette conservation de l’ordre dominant, dans toutes ses formes, est présentée comme désirable parce que nécessaire, pour le maintien de notre qualité de vie. Elle entend ainsi nous protéger par la conservation du « pacte social ».

Il s’agit donc de percevoir combien la violence peut être prise dans une définition normative, qui tend vers une posture morale : il y aurait des actes violents en eux-mêmes, et qui sont nécessairement à éviter et à condamner. C’est déjà un moyen de ne pas écouter ce que ces actes « violents » veulent dire, en quoi ils sont un moyen pour des êtres de s’exprimer, souvent d’exprimer un mal ou une impossibilité à vivre dans ce monde, quand souvent en plus ils sont privés des moyens d’expression entendables, recevables socialement.

Privés de la langue correcte, privés de moyens d’apparition dans le pseudo-espace public, condamnés à toujours entendre et subir le discours dominant et les valeurs qu’il porte, donc à sentir d’autant plus la dévaluation de ce qu’ils peuvent essayer de faire survivre et d’affirmer comme forme de vie qui résiste et parfois fait échec aux normes de l’ordre social. Pour dire les choses plus simplement, ceux qu’on peut taxer d’être violents n’ont peut-être que cela pour répondre à ce qu’elles peuvent ressentir comme une violence qu’ils subissent, et pas les « bons » moyens comme la discussion. Il est très possible d’ailleurs que ce soient ces personnes-là qui subissent le plus la violence de ce monde, qui soient le plus dépossédées des moyens légitimes d’y répondre.

La « violence » — dans les confrontations avec les corps exerçant la violence légitime, la police, le bras armé de l’Etat (comme détenteur de cette violence légitime, mais il y aurait justement à voir combien cette violence légitime est diffuse, et diffusément détenue et assumée) — c’est alors parfois le seul moyen et le seul moment où affirmer une réponse.

Il y aurait également à dégager les rapports entre les êtres de cette posture tristement morale : faire mal à l’autre, c’est violent si l’autre ne le souhaite pas. Bien sûr que cette definition est terriblement ambigüe, dans la mesure où elle peut très bien servir de justification notamment à des violences terribles des hommes sur les femmes dans leurs rapports, pure expression de la domination masculine.

En même temps, il y aurait quelque chose à trouver dans la façon, dans les modes que l’on a de s’appréhender. Sortir du langage, s’ouvrir à nos sens, sortir la douleur des critères moraux pour la ressentir pleinement à cet instant, à chaque instant, comme dans une pure immanence. Comment séparer la sensation de douleur de sa signification de violence sans justifier l’exercice d’une domination ? Comment sortir de la norme psychologisante, qui la décréte d’office pathologique ? Comment le rapport au corps peut-il s’extraire de la morale sexuelle ? Parfois, une morsure procure plus de plaisir que n’importe quel autre geste.

Affirmer une présence

Il s’agit donc de remettre en question le langage et les concepts que l’on utilise, et la grille de lecture du réel qui s’y relie. Se réapproprier notre moyen de communiquer l’expérience, trouver des modes de réconciliation entre le fond et la forme de la lutte, faire du mouvement autant de tentatives que possible de ne pas reproduire ce contre quoi on voudrait lutter.
De là, concevoir les actions, concevoir la lutte, comme un choix à faire entre « violence » et « non-violence » me semble relever d’une posture binaire, tenante d’une forme de morale (qui se fait défenseur de la morale sinon le défenseur de l’ordre ?), et même d’une posture moralisatrice.
De la morale sociale qui est invoquée et imposée partout découle le blocage, la prévention du surgissement d’autre chose, d’autres formes de vie qui ne voudraient pas suivre les critères de la bonne marche sociale. Cela nous amène, dans la lutte, à nous voir et à nous penser toujours au sein de ce clivage, nous empêchant de faire autre chose. Le caractère violent ou pas d’une action se trouve défini par des codes de l’extérieur. Et faire autre chose, c’est faire « ce dont on a envie », se poser des questions stratégiques, des questions pour que ça marche, pour réussir à vivre ce qu’on q envie de vivre.

Je crois que les actions où je me suis senti le plus en sécurité etaient certaines manifs sauvages, potentiellement offensives et destructrices. Parce qu’à ce moment, ceux qui voulaient être là dépassaient leur peur, constituaient des formes de puissance collective, chacune pouvant donner de la force et en recevoir.
De plus, ces actions n’étaient pas préparées des années à l’avance, on ne s’était pas demandé pendant des heures d’AG s’il fallait faire une action violente ou non violente, d’ailleurs il n’y avait pas eu d’AG pour décider « collectivement ».
Au contraire, elles étaient justement spontanées, dans la mesure où celles qui étaient présentes l’étaient parce qu’ells en avaient envie ; et pas parce qu’une quelconque identité politique, autonome, pacifiste, ou bien désobéissante, partisanne de l’action violente ou non-violente dictait les consignes.

Malgré la-dite violence, de ce ce que j’ai pu expérimenter, la véritable confiance ne vient pas de la qualité de la préparation de l’action, qu’elle soit gérée par quelques leaders, informels ou de fait (ceux qui savent, qui du fait de leur expérience peuvent légitimement exercer des responsabilités, occuper des positions de direction de l’action, gérer les autres participants), soit décidée par un « tout le monde » fictif (vu qu’alors les mécanismes de pouvoir découlant de la détention d’une compétence ne manquent pas de se rejouer).

La véritable confiance vient de la situation, de la façon dont on est présent à la situation, comment d’une phrase ou d’un mot, parfois d’un geste, d’un regard, on peut manifester la nécessaire attention à l’autre, on peut se donner de la force, on peut se communiquer des informations. Un ami écrivait « il y a davantage de visages dans une bande d’émeutiers masqués que dans une rame de métro à 17h30 ».
Comment peut-on arriver à inscrire une présence réelle aux situations, une présence intense qui cherche à s’émanciper de la lourde densité des discussions, qui risque d’écrire l’histoire d’une lutte avant qu’elle n’arrive, avant qu’elle ne soit vécue ?

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Réinventer

Définir à l’avance qu’une action sera non-violente ou violente, c’est justement l’inscrire à l’avance au niveau de sa teneur dans les cadres attendus, cadres définis par ce contre quoi on entend lutter. La véritable lutte à mon sens, c’est le mouvement qui cherche à réinventer l’existence, donc à sans cesse se réinventer lui-même.

Partant de là, la perspective « non-violente » type désobéissance civile, autant que la perspective de « grande » manifestation prétendant rassembler le plus de monde sur un espace temps prévu et même décidée avec les autorités, apparaissent comme limitées d’office dans les possibilités qu’elles pourraient déployer d’action sur le réel, limitées par le cadre qu’elles recréent et qu’elles acceptent.

Cadre spatio-temporel, la façon dont cette perspective voit son empreinte sur le réel... Justement sur le plan spectaculaire médiatique recherché par les désobéissants, mais c’est pareil pour les grosses manifs finalement bien inactives à force de répétitions, et à force de mesurer leur succès au nombre de gens, aux organisations et aux drapeaux présents ou pas, à des critères de journalistes. C’est le contenu de la dépêche AFP de base. Où quand le nombre devient pur chiffre, où quand on ne voit plus que les données objectives de la « lutte », là où ce sont des êtres traversés par des affects, exerçant des formes de subjectivité également, qui sont en jeu, qui se mettent en jeu.

Apparemment, à l’opposé, il y a sans cesse la tentative de parts « radicales » du mouvement de profiter de la situation pour « faire » quelque chose. Il y a quelque chose de l’ordre d’une orthodoxie autonome à revendiquer la violence, revendiquer que la lutte passe nécessairement par une confrontation directe avec le pouvoir, contre ses structures et contre ses organes.
Orthodoxie parce que « le blocage des flux » est devenu l’axe ultime de lutte, nécessité, et même la seule et unique.
Orthodoxie parce que de l’action et de son affirmation découlent des formes d’identité et des tendances à son figement. En se définissant des amis et des ennemis dans le mouvement. Comme la figure du « social-démocrate ». En désignant les forces ou les gens à qui on peut parler, agir, ou au contraire, avec qui il ne faut pas le faire. Et parce que cette identité passe aussi par la revendication de figures comme fantasmatiques, par exemple le « casseur ».
Orthodoxie qui définit une identité qui se fige, qui fait se tenir et tenir les autres dans des images et des représentations, souvent fantasmées, qui évitent la rencontre réelle. Et qui de là amènent à rejouer les pires processus autoritaires, et d’instrumentalisation des autres.
Instrumentalisation des participants aux manifs pour se cacher dans la foule, ou pour faire barrage face aux flics. Mais il y aurait aussi à voir la position dans laquelle sont traditionnellement pris les « jeunes de banlieue », fantasme de l’émeutier pur, prêt à tout du fait de sa « pureté idéologique », et parce qu’en tant qu’une espèce de prolétariat moderne, il n’aurait absolument rien à perdre.

Intensité

Il y aurait encore une fois des formes de présence à la situation à trouver, et une posture stratégique, ou pragmatique, par rapport aux confrontations avec les flics, par rapport aux destructions matérielles. Mais en réalité c’est à toute situation. Il y aurait à savoir saisir que ce qui est en jeu dans la lutte, c’est peut-être ce qui ne se laisse pas enfermer dans des signifiants, ce sont des affects, des douleurs et des joies, ce qui se ressent intensément, en même temps ce sont des envies et des aspirations ; et que rien ne serait plus mortifère alors qu’un rapport instrumental à tout cela. Une stratégie consiste plutôt en des agencements entre tout ce qui peut composer un instant de lutte, entre les corps et ce qui les traverse, rapporté à la situation, au rapport de force, à sa nature.

Saisir à quel point ce rapport de force peut être multiple, complexe, et de là possiblement bouleversable. Etre attentif à l’agencement lui-même, à ce qui se joue entre, entre les éléments. Et ce qui peut se jouer à ce moment, entre justement celles qui voudraient être là, ce sont des rencontres réelles, tentatives d’ouverture sincères aux autres. Les intensités qui ne se laissent pas figer par la densité des signifiants, des codes. Ce qui tente de s’extraire de la morale comme code extérieur, mais aussi de l’éthique, comme code qui se voudrait intérieur. Comme code venant de nous, mais qui tient du principe à priori, qui voudrait écrire l’histoire de ce qu’on fait à l’avance, ou décider avant d’être confronté au réel. Des formes de présence, nécessairement dynamiques, qui savent s’ouvrir à ce qui leur arrive, qui laissent ouverte la possibilité d’être touché, possiblement bouleversé.

À Strasbourg, ce qui a déclenché le plus de joie, ce qui a été vécu comme la chose la plus intéressante par un certains nombres des êtres qui étaient là, c’est le jour où l’émeute, derrière ces cagoules et ces sweats noirs, a pu faire quelque chose avec les habitants d’une cité voisine. Deux questions alors, mais qui à un moment se rejoignent : quelles rencontres y a-t-il eu alors ? Et après ce moment intense de l’émeute, qu’est-ce qui peut émerger comme perspective de cette situation ?

Expérimenter sans cesse

Car peut-être que repenser nos actions pour se libérer de l’espace temps de la lutte prévu et maîtrisé par le pouvoir, déserter les rapports de force piégés qu’il nous propose, ou les situations où justement tout le dispositif est prévu pour anniliher complétement la moindre possibilité de confrontation, ce serait repenser le mode de présence qu’on affirme, donc repenser et renouveller sans cesse nos actions.

Trouver une dimension d’expérimentation dans la lutte, quasiment ne jamais refaire la même action, ne jamais refaire la même chose que la veille. Mener une guérilla, précisément anti-militaire (et pas « anti-militariste », ou en tous cas pas seulement), diffuse, faite d’actions nécessairement multiples, toujours différentes, toujours se réinventant, quittant les champs de bataille pour tenter d’habiter de nouveaux territoires, ouvrir de nouveaux territoires de lutte.

S’entraîner à voir que s’il y a des flux matériels ou de capitaux qu’on devrait bloquer, il y a — peut-être essentiellement — des flux mentaux à dévier. Trouver des formes de présence au monde et aux situations qui dépassent les clivages idéologiques et les éternelles discussions qui prétendent dresser une stratégie commune entre des personnes qui à la base n’ont pas envie de trouver d’accord (sur la question de la violence ou de la non-violence, par exemple), qui dépassent ce prétendument nécessaire accord, qui dépassent l’idéologie comme moteur de l’action. Au contraire qui soient sur un mode sensible, qui tend à l’exposition ou à la révélation d’une fragilité, comme condition d’une sincérité, plutôt que des agencements de discours, des formations de langage qui densifient notre rapport aux situations, aux autres. Que ce qui circule, ce soient des questions et des doutes, plutôt que des certitudes.

Trouver des formes d’intensité, de vitesse et de mouvement, dans l’action et dans la pensée. Dans comment on voit le monde et comment on se voit. Pour justement prendre de vitesse les jugements et les codages qu’on n’a de cesse d’opèrer les uns sur les autres.

Une définition s’est esquissée : faire violence à quelqu’un, c’est lui faire ce qu’il ne veut pas qu’on lui fasse. Il s’agirait ainsi de refonder l’analyse politique sur un ressenti individuel, et l’intégrer dans une stratégie : faire à l’Etat ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui fasse, détruire des banques ou des agences d’intérim, hacker ses sites internet, légalement ou illégalement, voler dans les supermarchés, profiter des aides sociales pour se libérer du temps du travail… chercher des formes de présence, d’intelligence pragmatique aux situations pour choisir, plutôt qu’entre violence et non violence, par exemple entre légalité ou illégalité ; mais comme moyen et pas comme fin. Saisir que s’il peut parfois être intéressant de bloquer des flux matériels, physique ou virtuels, il y a aussi des flux mentaux à dévier.
Une stratégie politique tendant vers ce but, une politique, ne saurait faire l’économie de la rencontre réelle, au point que, précisément, elle n’est faite que de cela. Comme une radicalité politique à trouver, en plus de celle de la critique de l’aliénation du travail et de la consommation ; radicalité de l’ouverture sincère, de la rencontre réelle, terriblement subversive dans un monde d’individualisme de masse.

Car il y a une guérilla diffuse à mener face à ce monde, intensément, rapide même sur place, autant qu’il y a des lignes de fuite et de désertion à tracer sans cesse hors de ce monde

ensemble.

T.

P.-S.

Les titres et sous-titres ont été rajoutés par Rebellyon

Notes

[1Avec aussi, il ne faut pas l’oublier, l’arsenal répressif qui suit : juridiction spéciale anti-terroriste pour les premiers, loi anti-bandes pour les seconds.

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  • Le 25 août 2009 à 19:12

    Globalement, je suis assez étonné par l’avalanche de réactions négatives suscitées par ce texte.
    Le propos de l’auteur n’était pas à mon avis de créer une nouvelle doctrine.
    Paradoxalement,je le trouve beaucoup moins réducteur (et donc finalement moins violent) que le texte précédent faisant l’apologie de la non-violence. Même si je ne me retrouve pas dans tout ce qui est dit, je n’ai pas eu l’impression d’être jugé dans mes actes.

  • Le 14 août 2009 à 10:25

    Bon reprenons.

    Je n’ai pas fait de lien entre quartier latin et poésie, ce que tu semble faire. Je n’ai pas non plus fais de lien entre « language simple » et « prolétaire ».

    « Ne pas prendre les gens pour des cons en parlant dans des termes supposés faciles à comprendre, qu’ils apprécieraient plus. »

    Je n’ai pas parlé « des gens », mais de moi et quelques ami-e-s avec qui on a pu parler ces derniers mois de certaines productions écrites dans lesquelles ce texte s’inscrit très bien. Et que l’on ne trouvait pas ces textes - opérants n’était sûrement pas le mot- très passionnants, mais agaçants par contre. Agaçants comme répondre par des phrases d’hegel, comme une phrase d’un entretien avec deleuze sortie de nulle part, comme botter en touche avec des réfexions préfabriquées du genre « il faut sortir de la binarité entre poiesis et praxis ». Ce qui est agaçant, et gênant, n’est pas dans le fond ou la forme, mais dans la tendance qu’à ce type de discours (qui dit globalement souvent -voire toujours- des choses similaires) à s’ériger en mode d’expression dominant ces derniers temps.

    Ps : mon copain has been (tu sais, le genre de positiviste qui refuse de comprendre que « la révolte n’a pas de cause, elle a des conditions ») me disait fort à propos que la question que tu oublie de soulever, c’est de savoir pourquoi tes « flèches » touchent surtout des hommes blancs de classe moyenne ayant une certaine expérience de l’université...

  • Le 11 août 2009 à 10:51

    Ok alors ce qu’il nous faut c’est le parti, des militants bien efficaces qui transforment l’engagement dans tout ce qu’il a d’affectif en une nécessité objective. Qui sera toujours une séparation avec la pluralité de nos aspirations puisque tu aimes bien Debord. Et allez, une séparation de plus : tant qu’on voudra concevoir la lutte comme un travail politique (de conscientisation quoi), on la séparera de notre vie. D’où le militant qui en rentrant de sa journée de travail politique met les pieds sous la table et attend que sa copine lui serve à manger.

    Je pensais aussi naivement qu’on en avait fini avec la révolution dans 150 ans et le PCF. Pour sur, à l’époque dans le parti, tout le monde pensait pareil, puisque à force de « travail politique », on avait plus le choix : la vérité objective de la lutte de classe, la vérité objective des conditions de prolétaires et de bourgeois. Seulement si ça n’en sont pas uniquement, c’est quand meme toujours des représentations. Car justement le « directement vécu », ce ne sont pas ces représentations, mais la façon dont on ressent, dans son corps, dans son etre.

    Je renvois au texte qui semble avoir été pris comme un appel à l’émeute. Tout aussi important est comment il est entendu que ce qu’il essaye de dire, certes. Mais je n’ai vraiment pas l’impression qu’il n’indiquait une voie qu’il faudrait suivre, il proposait plutot de partir du réflexe qui traverse le plus souvent la lutte, faire une manif, pour le questionner, pour possiblement en sortir. Amener des questionnements, des pistes de réflexion sur tout ce qui peut constituer une lutte. Plutot que juste venir dire que « ça ne sert à rien » et que donc soit on sait qu’il ne faut pas le faire. Maintenant si quiconque estime qu’il y a à repenser nos moyens d’action collectifs, et j’en suis, c’est au moment où ils sont discutés qu’il me parait judicieux de le faire. Et si quelque autre veut aller en irak faire la lutte armée ou envoyer de l’argent, très bien, ça l’engage absolument individuellement pour le coup... Et tant mieux, si tout le monde fait marcher son imagination et essaye à sa manière, de la façon qu’ille estime la meilleure, de mener la lutte, déserter les pièges des situations conflictuelles trop évidentes, qui pour le coup nous amènent dans le mur. Plutot que de trouver des pseudo points d’accord objectifs.

    Je ne pense pas que « A savoir que personne ne peut accepter de se retrouver dans une manifestations sans savoir qu’elles en sont les objectifs. Et qu’elles sont les risques qu’il prend ». Parce que tout le monde ne subordonne pas la lutte à l’impératif de rationnalité, certains et certaines essayent de se battre contre la rationnalité économique et le monde qu’elle produit dans leur propre vie, dans leur manière de lutter. Et que donc chacun vient en menif, lutte pour des raisons qui au fond lui sont propres. Donc peut-etre pas pour un objectif si précis. CertainEs meme peuvent trouver que la lutte, la tentative de se libérer, ça commence justement dans la lutte elle-meme, essayer de se libérer des contraintes dans la lutte elle-meme. Et de meme la question des risques encourus. Généraliser sa propre position de vouloir les maitriser à l’avance, c’est aussi déguelasse pour les autres (ne serait-ce que le fait de parler à la place des autres) et de toutes façons aussi vain que la posture toto de base qui considère que tout le monde devrait etre soit disant pret à tout. La ligne qui permet de s’échapper de cette opposition binaire n’est pas simple sans doute, c’est un chemin tortueux que chacunE trace selon sa sensibilité. A condition qu’illearrive à se réapproprier la question des risques qu’ille encourre, hors de l’idéologie sécuritaire confortable dominante.

    Voir ce qui pourrait se jouer, ce n’est pas tant exercer un supreme sens de l’anticipation, mais tenter d’etre sensible à pourquoi ceux et celles qui font quelque chose le font, qu’est-ce- qu’illes sentent au fond d’eux/elles qui les poussent à venir là, à se battre contre les flics, meme avec souvent une sorte de sentiment que les cibles visées (comme empecher la tenue d’un sommet de ministres) ne sont pas atteignables. Traiter tout cela d’autisme, c’est une menière de poser à l’avance que rien ne pourra jamais etre fait avec ces personnes là, et que de toutes façons on ne veut rien faire avec. Alors de là, comment venir dire qu’il faut revoir nos stratégies et nos moyens d’action ensemble ?

    Parce que justement les masses ne sont pas les véritables héros, et toutes les insurrections ont été en réalité autant de champs de tension entre une pluralité de groupes, plus ou moins formels. Et que ceux qui ont triomphé ne sont pas ceux qui ont su faire quelque chose de cette pluralité, mais au contraire ceux qui ont su imposer leurs positions (le parti bolchevique ; les islamistes fondamentalistes pendant la révolution iranienne...), et presque nécessairement de manière autoritaire.

  • Le 10 août 2009 à 03:18, par kafirine

    quelques précisions

    sur la violence et la non violence : on ne peut pas les discuter en dehors des situations concretes qui sont l’objet de la discussion. l’usage de l’une ou de l’autre des méthodes peut n’obeir qu’a des considérations stratégiques.

    sur la subjectivité comme forme d’autisme : le développement de position comme celle exprimé ci-dessus va nous amener droit dans le mur. A savoir que personne ne peut accepter de se retrouver dans une manifestations sans savoir qu’elles en sont les objectifs. Et qu’elles sont les risques qu’il prend. Si l’objectivité n’existe pas, la volonté d’objectiver les points de vue est une pratique courante : ca s’appelle le travail politique.
    Tout le temps que nous refusons pour construire une vision commune, se traduira en dissension sur le terrain, en experience traumatisante et finalement en absence de rassemblement.

    Sur la situation : plus interessant, le choix d’organiser une manifestation contre l’OTAN peut se discuter de maniere radicale. En decidant de ne pas manifester. Cela ne veut pas dire que l’on ne fait rien. Car une solution tout autant radicale peut consister à aider ceux qui se prennent les bombes a se défendre. A les financer, eux ou leurs familles, voire leur parti ou orga. Voire même les rejoindre physiquement dans leur combat.
    Il me semble qu’une certaine lecture de « la société spectaculaire » est compatible avec ce genre d’engagement.

    Quand je dis que « ca ne sert a rien » je ne m’empeche pas de voir ce qui pourrait s’y jouer. Je vois surtout ce qui a toutes les chances de ne pas se produire. Comme la défaite des armées coalisés par exemple..

    Si je me souviens bien une des premiere phrase de la « societe du spectacle » dit « tout ce qui etait directement vécu c’est éloigné dans une représentation ». Peut-être que la tache la plus urgente qui nous est assigné consiste justement à eloigner le spectre de la représentation et reinvestir celui du « directement vécu ».

    C’est une phrase admirable de simplicité qui reprend a son compte le meilleur de la critique anarchiste de la représentation politique et l’adapte à l’ere de la mediation virtuelle.
    On peut compter la manifestation au nombre des formes de la représentation politique...

  • Le 10 août 2009 à 02:58

    Peut-être n’y a-t-il une fracture si nette entre une pensée qui devrait s’exprimer d’une façon péchue dans le quartier latin et se condamner à n’être que errements théoriques, ou de la poésie, qui ne vise qu’une belle forme, et en face, les consignes pour l’action, « agir plutôt que de discuter », qui devrait s’exprimer dans la langue simple et efficace du... du prolétaire fantasmé ?

    Bien sûr qu’il y a des espaces à trouver et à peupler entre le mépris pour l’université et l’importance qu’on voudrait accorder à la forme (entre autre à une certaine esthétique). Déjà parce que les plus belles pages de l’humanité ont été écrites en prison, ou par des « fous », et possiblement pas à l’université ou par des poètes. Simplement parce qu’elles ont été la tentative de ne pas être de la littérature ou de la poésie, pas de l’art pour l’art, mais qu’elles ont toujours appelé un dehors d’elles-mêmes, la constitution de formes de puissance. Maintenant que l’université ou le bon goût littéraire bourgeois s’en soit emparé pour en faire un objet d’étude ou une oeuvre d’art, de la pensée critique ou un plaisir esthétique réduit à l’état de bien de consommation, cela elle n’ont pu s’en prémunir.

    Chaque parole, chaque texte ne saurait être, si l’on est guidé par la sincérité, qu’une tentative. Tentative de composer avec un langage qui nous est extérieur. Tentative de toucher peut-être plus que d’expliquer ou de convaincre. Avec bien sûr la possibilité de ne pas toucher. Comme une volée de flèches, dont la plupart ne risque d’atteindre personne, mais dont certaines peuvent toucher des êtres, et constituer des éléments de puissance collective, lier des alliées. Pas nécessairement parce que demain on va descendre dans la rue ou faire une « action » ensemble. Mais peut-être simplement parce qu’alors se noueront des relations de confiance, parce que des questionnements et des doutes pourront circuler plutôt que s’échanger des certitudes.

    Je crois que supporte aussi peu le verbiage théorico-poétique que la vulgarisation. Je crois qu’il y a à renier l’université, qu’il faut la brûler en tant qu’elle perpétue la distinction entre théorie et pratique comme une division sociale du travail, et la distinction, la hiérarchisation sociale qui en découle. Et en conserver ce qui, dans la pensée critique qui s’y construit, ce qui peut nous servir dans notre vie. La brèche à habiter ce serait cette tentative de sortir du terrible clivage qu’il y a dans ce monde, et dans la lutte entre théorie et pratique. Ne pas prendre les gens pour des cons en parlant dans des termes supposés faciles à comprendre, qu’ils apprécieraient plus. Peut-être ne pas parler pour être apprécié, peut-être même ne pas parler pour être compris. Mais parler pour tenter de toucher. Lancer des idées comme des traits, laisser se se laisser être sensible à certaines ou à d’autres.

    Histoire d’éviter peut-être de parler à la place des autres, pour d’autres.

    De là la tentative de dépasser l’opposition entre fond et forme. Une forme est le moyen adéquat d’expression de quelque chose à l’instant de sa production. Et cette forme comme non pas le style d’un auteur dans son essence, mais ce qui arrive à ce moment là, ce qui lui arrive, lors de cette tentative, la vérité de cet instant. Parfois, on parle avec d’autres, des amis, des « penseurs », des gens qu’on entend parler dans des réunions ou des assemblées. parce que ils ou elles nous ont touché, peut-être nous ont charmé. Bien-sûr qu’il y a risque de figement de la pensée par l’expression, c’est entre autre comme ça que se constitue et se délimite un milieu. Mais en même temps, il y a à chercher à se tenir à distance de ses figements, en trouvant un rapport qui fasse qu’elle nous porte, qu’elle nous donne de la force, qu’elle nous amène à nous questionner sur ce qu’on fait. En trouvant une circulation entre nos ressentis, nos expériences, entre tout ce qui pourrait être des références.

  • Le 9 août 2009 à 10:15

    « Car il y a une guérilla diffuse à mener face à ce monde, intensément, rapide même sur place, autant qu’il y a des lignes de fuite et de désertion à tracer sans cesse hors de ce monde, ensemble. »

    Il faudrait que l’on commence à réfléchir ensemble à comment sortir de la dialectique post-estudiantine où l’on s’est nous mêmes enfermé.e.s, et qui est terriblement plus proche du boulevard saint michel et de la rue des écoles que des vies de beaucoup d’entre nous. « des lignes de fuite à tracer hors de ce monde », « habiter la brèche », la ligne de crète, tout ça, c’est beau la première fois, mais j’ai l’impression que ça fait des mois et des mois que tout le monde répète la même chose. Tout comme toutes les références récurrentes (pas dans ce texte seul sinon dans la production écrite sur ce type de sujet ces derniers temps) au corps qui me semblent pas du tout opérantes, sinon un simple sous-réchauffé d’un 128 sur Foucault.

    Entre renier complètement les luttes étudiantes et leur cadre universitaire (où l’auteur-e de ce texte a certainement baigné) et écrire des trucs plus appréciés au quartier latin pour la forme (parce c’est quand même le cas) que par un certain nombre de personnes avec qui on vit et on lutte, il y a sûrement une brèche à habiter. Il faut en tout cas veiller à ne pas carrément faire les deux à la fois.

  • Le 8 août 2009 à 18:24

    Tout d’abord, les photos de l’otan ont été toutes ajoutées par le site rebellyon. La phrase taguée reste quand même toujours intéressante, même si on l’a déjà écrite et réécrite des centaines de fois. Quant au type qui pose à côté…

    La phrase sur le métro à 17h30 parle bien de situations précises, pas de gens en particulier qui sont là. Cela pour dire que le mode de vie urbain force à peu près tout le monde à subir les transports en commun, à se faire pomper son énergie par le bruit, par le fait que bien souvent, on ne sait pas regarder dans les yeux de ceux qui sont en face, pourtant nos sœurs et nos frères potentiels. Aussi les gens dans la rame de métro ne sont pas « des moutons », ils sont peut-être faits ainsi par les contraintes qu’on leur impose, ils sont gérées comme tels. Mais ces gens c’est alors tout autant les « certains autonomes » dont il serait question, qui participent aussi au continuum, à la perpétuation de la société.

    Tout le texte tente de parler de ce qui pourrait se jouer dans les situations : dans les situations d’émeutes ou pas, dans ce qu’on pourrait appeler des situations insurrectionnelles. C’est-à-dire toutes les situations où des êtres sortent de leur isolement, ou une rencontre réelle s’opère, et pas nécessairement sur une barricade. Les situations où les flics ou l’armée fraternisent avec celles qu’on leur a ordonné de réprimer. Les situations où réellement les structures de domination et d’oppression sont menacées.

    Les tournures du texte sont bien entendu un parti pris, toute tentative d’expression ne saurait partir d’autre chose. Qu’elles fassent écho à d’autres, c’est à la fois le risque d’un figement dans la pensée, le risque d’une fermeture. Mais c’est aussi la tentative de trouver des frères et des sœurs, des alliés. Et pas par le logos, le raisonnement implacable qui cherche à convaincre, au contraire par la possibilité de toucher et d’être touché. Dans ses dialogues avec Claire Parnet Deleuze dit « Il n’y a aucune question de difficulté ni de compréhension : les concepts sont exactement comme des sons, des couleurs ou des images, ce sont des intensités qui vous conviennent ou non, qui passent ou ne passent pas. ». Il y aurait alors à accepter ou pas de se laisser toucher.

    Parler d’intensité, d’autres l’ont certes déjà fait. Le véritable problème que ce concept pose c’est peut-être plus de tenter d’y poser des mots que d’essayer de l’approcher, de le vivre. Poser des mots sur quelque chose qui circule, qui se perd ou perd sa puissance dès qu’on prétend le définir, le délimiter, lui assigner un début et une fin, une cause et un but. Une intensité c’est ce qui passe entre les gens, entre nous tous, et que possiblement nous ne nous expliquons pas. Un moment intense ça peut être un regard, un effleurement, un mot, ce qui fait qu’on a envie de trouver un autre être. Ce peut être quand dans une manif, dans un concert, dans une occupation, on sent que les êtres présents sont reliés par un plaisir commun, ou quelque autre sensation. Ce sont ces moments où on a la sensation de se comprendre, mais sans raisonner, peut-être même sans penser, quoique des pensées peuvent aussi sans doute circuler intensément.

    Peut-être l’intensité, autant que la « rapidité » et le fait de s’éprouver dans nos « corps », de sentir les autres corps, ce n’est un rapport adulte. Peut-être ce sont les enfants qui y arrivent encore, qui échappent à la lourdeur de la signification, de l’explication et de la nécessité de comprendre ce qui nous arrive. Peut-être alors un re-devenir enfant est possible, peut-être est-il désirable. En tant que justement c’est cela qui peut nous permettre de trouver les autres, trouver les autres en ne passant pas par le langage vue que personne ne parle exactement le même langage, que le langage permet de ne pas être sincère, est sujet à des écarts dans l’interprétation. Tant qu’on ne s’arrête pas au langage, tant qu’on utilise le langage pour tenter de désapprendre à parler. Et là par exemple le corps vient comme un autre moyen de communiquer de partager l’expérience avec les autres. Tout cela a une tendance à se figer c’est sûr, c’est tout le problème de se reposer sur les significations, de manipuler les concepts sous une forme intelligible et pas sensible. Mais l’auto suffisance n’est possible que de l’instant où l’on attend que ces concepts suffisent, se suffisent à eux-mêmes, reste justement des concepts, et ne soient pas comme incarnés, mais qu’on se contente de parler sur eux.

    Ce texte ne dit pas « il faut prendre la rue », pas plus qu’il ne dit qu’une guérilla doit se mener dans la rue, face aux flics… ou alors pas uniquement. Mais quand on le juge intéressant. Quand on en a envie. Il y a plutôt l’affirmation que précisément rien ne saurait être affirmé comme consigne ou comme « comment faire », sinon de toujours repenser ce qu’on fait, tenter de sentir ce qui se passe entre les êtres qui voudraient être là. Mener une guérilla diffuse serait plutôt concevoir la lutte comme une infinité de possibles, nécessairement fluctuants, ne pas s’enfermer dans un terrain de lutte, surtout quand il est blindé, quand on a pas la possibilité de tracer ses propres chemins, et qu’on ne peut que suivre ceux qui l’ont été pour nous. L’idée est que dans la rue ou ailleurs, il y aurait à s’ouvrir à la rencontre réelle, se laisser toucher. Sortir des idéologies et des pratiques qui en découlent, sortir des fantasmes dans lesquels on tient les autres. En décembre dernier en Grèce, peut-être quelque chose de cet ordre s’est passé. Si à Athènes, il n’y a jamais eu tellement plus de 10.000 personnes dans les émeutes, quelque chose a circulé néanmoins. Un peu tout le monde là-bas s’est retrouvé dans ce que quelques’unes faisaient. Même si détruire des magasins et des banques, possiblement que ça ne sert à rien, à ce moment c’est arrivé, et de nombreuses personnes ont été touchées, d’une manière ou d’une autre, par cela, elles s’y sont retrouvées, et ça les a libéré pour d’autres choses. En décembre en Grèce, tout le monde était heureux dans la rue, tout le monde se parlait, librement, en ayant plus peur de l’autre.

    Mener une guérilla dans de multiples directions, faite de multiples directions. Sortir le mouvement de la direction unique qu’il serait censé suivre. Sortir de l’idée d’un avancement de quelque chose vers quelque part (la révolution, le grand soir ?), mais tenter de voir ce qui se joue dans les instants, pour eux-mêmes. Tenter de se mettre alors en jeu. Habiter l’urgence, habiter la brèche. Participer « dynamiquement, concrètement, activement » à une lutte, ce peut-être de bien des façons. Plutôt que de poser une quelconque méthode, une norme à laquelle il faudrait se conformer. Pas plus ni pas moins « être juste vénère », il y a toujours une rage comme simplement éprouvée, que parfois on ne s’explique pas, qui nous guide dans la lutte, que de faire tout autre chose que casser des banques.

  • Le 8 août 2009 à 13:41

    Ce texte ne se veut rien du tout. Qu’il se dise « possiblement en réponse » à un texte précédent publié sur ce site implique qu’il puisse ne l’être que par pure coïncidence. Pourquoi d’ailleurs ne pas se laisser aller à le prendre comme tel ? Certes sa rédaction n’est pas sans lien avec le précédent, mais plutôt en tant qu’au moment de la rédaction, les questions et les réflexions qu’il a amenées ont pu être comme saisies en plein vol, nécessairement inopinément, comme l’occasion d’en amener de nouvelles. Aussi il ne visait en rien à apporter des réponses au précédent.

    Parce que déjà poser des problèmes auxquels il faudrait apporter une réponse, qu’il faudrait résoudre, c’est exactement l’exercice que le professeur demande à l’élève, pour « l’élever » justement, dans les cadres qu’ils posent, selon ses critères et ses exigences, potentiellement tyranniques. Qu’il pose ou qui sont simplement ceux de ce monde.
    Ou à l’inverse, mais relevant également d’une posture de professeur, de prendre des questions qu’un élève poserait et auxquelles on viendrait apporter une réponse, comme venir l’éclairer de l’éclat de la vérité.
    Ni l’un ni l’autre de ces textes ne souhaite s’inscrire dans ce rapport, semble-t-il.

    Saisir au vol, saisir au bond les questions qui se posent, c’est justement s’en saisir, en situation, dans les situations où elles se posent, alors crucialement, comme dans leur urgence, dans l’urgence où elles surgissent. C’est cela trouver des modes de présence, ne pas prendre parti à priori de l’a situation, ne pas « défendre ses positions », mais se mettre en jeu, prendre et reprendre parti, mais face aux situations qui se présentent, telles qu’elles se présentent, les situations que l’on vit, que l’on traverse, dans leur pluralité. Alors écrire des textes réflexifs, à posteriori des situations, ce peut être le moyen de l’expression de positions prises en situation. Avant tout l’occasion de préparer les questionnements qui surgiront dans l’urgence des situations.
    Habiter l’urgence, habiter la brèche, en fuyant les positions de principe, les solutions toutes faites.

    Se complaire dans l’auto satisfaction, c’est plus qu’un procédé, c’est une tournure d’esprit, une manière d’être à ce qu’on fait très répandue parmi les « militants ». En revanche qu’il cherche dans sa subjectivité une force, des formes de puissance, c’est hélas bien rare. Si à un moment dans le texte, un je parle de « comment il se sent bien » dans les manifs sauvages, c’est pour tenter de réfléchir sur la sécurité. Questionner sa nécessité, faire la part des choses entre le besoin qu’on éprouve, et la façon dont on la recherche, à quel endroit on peut la trouver. Combien la rechercher à tout prix dans les critères traditionnels peut-être castrateur, comment elle peut empêcher le surgissement de la nouveauté, d’une certaine forme de spontanéité (à prendre comme la tentative de laisser libre cours à nos envies, à nos aspirations), comment elle peut être liée à un confort (en tant que ce qui vient renforcer ou même sauver l’existant).
    De là tenter de repenser la sécurité autrement, la trouver ailleurs que dans la prévision, la maîtrise à l’avance de ce qui arrive. La trouver ailleurs, dans d’autres rapports avec les autres, des rapports d’attention qui peut-être dessinent de nouveaux rapports entre les êtres, de nouvelles formes « d’être ensemble ».

    Souvent on se dit que ce qui importe dans le mouvement, de quoi on pourrait partir, ce sont les ressentis de chacune face à ce qu’il vit dans ce monde et dans la lutte (pour tenter justement qu’elle cesse de le reproduire).
    De là, bien sûr qu’un texte est l’expression d’une subjectivité. Il n’y a guère que les marxistes léninistes les plus dogmatiques pour croire qu’une objectivité soit possible. Il y a un rapport entre objectivité de l’analyse et nécessité de l’engagement. Il y a toujours du subjectif dans notre vision du monde autant que ce qui nous pousse à nous engager dans la lutte tient à des ressentis, des sensations qui nous traversent.
    Mais supposément que c’est ce qui permet la mise en jeu de soi dans les instants de la lutte, plutôt que de se réfugier derrière des discours idéologiques et des principes à priori.

    Aussi affirmer de manière péremptoire que quelque chose ne sert à rien, c’est à la fois s’empêcher d’office de voir ce qui pourrait se jouer, ce qui pourrait apparaître nouvellement dans des situations nouvelles, et surtout c’est se couper de formes de rencontre réelle. Se couper des alliées potentielles qui s’y trouveraient, en se coupant du sens qu’ils se créent par rapport à ces moments là. Souvent, partir de la critique de la fermeture des unes, mais se fermer soi à ce qui pourrait être différent.
    Et puis à voir aussi : qu’est-ce qui est intéressant ? qu’est-ce que c’est que « avancer », « faire avancer » ?
    Comme si la lutte c’était un progrès à l’échelle de… mais justement à quelle échelle ? dans quelle mesure ? Déjà la mesure serait très possiblement donné de l’extérieur, par un jugement (un tribunal qui juge). Et puis surtout il y aurait alors l’idée que lorsqu’on tente de s’engager dans la déconstruction de nos rapports, c’est un processus, qui doit à un moment arriver à un terme. Au contraire, n’est-ce pas, si le mouvement est motivée par une tentative de sincérité réelle, une remise en jeu sans cesse de ce qu’on est, de ce qu’on croit être.

    Peut-être enfin que cette recherche de sincérité, et cette tentative de se sortir des cadres qu’on nous impose, c’est du pur autisme. Ne pas chercher à comprendre, à trouver une quelconque vérité du raisonnement logique (à prendre dans sa filiation avec l’idée occidentale de rationalité, et dans ses penchants totalisants, dans sa prétention à pouvoir tout expliquer), mais plus s’entraîner à sentir, sentir les autres plutôt que les voir dans les catégories enfermantes de nos codes et nos jugements sans fin, s’entraîner à s’ouvrir à ce qui arrive.

  • Le 8 août 2009 à 03:58

    Je trouve que ce texte présente des propositions intéressantes, telles que le fait d’expérimenter, de réinventer des actions et stratégies, d’essayer de dépasser un clivage binaire entre violence/non-violence, de se pencher sur les « flux mentaux » en priorité...

    Mais tiens tiens... à ce propos, une phrase telle que « il y a plus de visages dans une bande d’émeutiers que dans un métro à 17h30 » me parait vraiment pauvre et insignifiante... Elle marque une fois encore la prétention que peuvent avoir certains « autonomes » face aux « autres », comprendre : celles et ceux qui sont inévitablement rangé-e-s sous l’étiquette « moutons », juste parce qu’ils/elles participent aux flux quotidiens et routiniers de la société.

    Je trouve dommage de lire des choses qui restent dans un style littéraire politico-poétique de milieux militants, avec un langage et des tournures récurrentes que je commence à trouver vraiment autosuffisants et presque adolescents : « intensité », « rapidité », « corps »...

    Oui oui je trouve ce texte bien écrit, oui je suis en accord avec certaines de ses idées, oui il fait prendre la rue, et oui ce serait beau de mener une guérilla intense dans laquelle tous nos corps unis seraient vifs comme le vent dans une violence redéfinie à tous les niveaux et parfaitement maitrisée qui se jouerait seulement entre des regards cagoulés dans un silence teinté de fumée et qui ferait soudainement avancer des choses et en reculer d’autres, mais comme quelqu’un l’a dit plus haut il y a là une forme d’autisme qui ne répond pas vraiment aux questions plus « simples » posées par le précédent texte, ou qui le fait en en se confortant plutôt qu’en se confrontant à sa propre idéologie.

    On dirait que l’important pour être utile et efficace c’est d’être juste vénère, sans concessions pour « les autres », forcément tout de noir vêtu, et de rentrer chez soi pour lire tous les bouquins de Debord avant de s’endormir sur ses deux oreilles (si on est pas en gardav bien sur) parce qu’on a participé dynamiquement, concrètement, activement à une lutte...
    Sinon on a vraiment rien compris à la vie et à l’urgence et...... bref je m’arrête là mais oui justement comme le suggère l’auteur il faudrait commencer à VRAIMENT renouveler les choses. Je ne prétend pas proposer un manuel pour ça, et je n’ai pas non plus de texte génial à poster, mais ça serait bien de ne pas rentrer dans un moule militant radical qui fait qu’on pose en photo avec ses gros bras et son futal militaire devant un graf.

    Ne balisons pas trop nos ruées dans les rues !

  • Le 7 août 2009 à 19:05

    Tout d’abord c’est une question d’opportunités et de spontanéïté. Tous les mouvements du peuple qui ont provoqué des changements radicaux sont violents (1789, 36, 68 etc..)
    L’offensive des mouvements sociaux actuels confrontés à la barbarie d’un capitalisme sauvage ne peut être que « musclée ».
    Après c’est une question de bon sens :
    ex : dans un rassemblement chacun prend sous sa responsabilité d’engager ou pas la confrontation avec les keufs alors que ceux-ci poussent à cette confrontation en ne laissant uniquement pour choix soit de dissoudre le rassemblement têtes basses soit le maintenir à tout prix !
    Pour ce qui est des « grand’ messes », Strasbourg, G8......pour nous : oui il faut être présents, il faut assumer les risques (GAV etc ...) car si actuellement on déserte la rue, elle sera occupée par les forces du pouvoir qui cherchent actuellement à s’imposer : retours des fafs ou autre bigots ... ou pire l’armée.

    Tous dans la rue rendons coup pour coup !

    herope

    www.fa-heropelyon.fr.gd

  • Le 5 août 2009 à 19:34, par kafirine

    Au sujet traité « violence et non violence », il faudrait ajouter une reflexion sur l’autisme politique.

    je m’explique, ce texte qui se veut une réponse au précedent post sur les manifs a strasbourg ne repond en rien aux problèmes posés. Il se contente de derouler le rouleau de sa propre subjectivité en expliquant comment il se sent bien...
    C’est un procédé bien habituel dans nos habitude. On ne repond pas aux questions, on les reformule a l’infini. Chacun se contente de défendre sa position.

    Ce qui m’amene a avouer la mienne : ce genre de manif ne nous fait en rien avancer. tout juste bonne a produire des images pour la télé et des brochures pour les milieux militants.

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