Les grandes cités TASE, une vingtaine d’immeubles construits au début du 20e pour héberger les ouvriers des usines TASE (Textile Artificiel du Sud Est ) [1] qui deviendra ensuite Rhône Poulenc Textile. Depuis la fermeture de l’usine au début des années 80, le quartier est un peu à l’abandon et les immeubles sont aujourd’hui gérés par la Régie Sollar, une filiale du « groupe logement français » pour qui le logement social est un business comme un autre.
Il y a quelques années, des habitants, principalement des mères de famille, se sont montés en association pour lutter contre l’abandon dont ils sont victimes. En effet leurs appartements sont dans un état d’insalubrité avancée. Il n’y a plus de joints aux fenêtres, certaines ne ferment pas, l’humidité rampante décolle les tapisseries, certains radiateurs tombent, les éviers se détachent, « un dessous d’évier, ça coute 90 euros, je l’ai changé une fois, mais là, ça suffit ». Les mamans nous parlent également du système électronique mis en place par la régie pour accéder aux immeubles : « le pass coute 30 euros, au bout du 2e perdu, ils veulent plus nous en faire de nouveau parce qu’ils ont peur qu’il y aient des trafics » du coup « les jeunes quand ils peuvent pas rentrer chez eux, ils cassent la vitre, et ils nous font payer les réparations dans les charges ».
A l’extérieur, les habitants se plaignent également des rats qui occupent les jardins, le mauvais agencement des poubelles, l’entretien des allées qui est absent. « On voudrait un peu de gazon » dit une des habitante à propos d’une place qui a été bétonnée avec des éclairages puissants, « on nous a enterré des lignes à haute tension sous le quartier, rien ne dit que nos enfants n’auront pas des cancers ».
La conversation est fréquemment interrompue par des bruits d’avion, « le couloir aérien, les nuisances sonores, c’est pour nous » ironisent O. « Ils veulent rien faire à part peut-être les façades, pour bien voir depuis le carré de la soie » et pourtant le prix des loyers et des charges ne cessent d’augmenter.
Les familles de ce quartier sont les enfants des ouvriers de Rhône-Poulenc qui sont aujourd’hui dans la misère : Sur les 2000 habitants, on trouve 26,5 % de chômeurs, 43 % de non diplômés, 40 % de moins de 25 ans. L’arrivée du métro et du centre commercial de la soie était censée apporter de l’emploi. Un jeune raconte qu’avant l’ouverture du centre, une délégation était venue dans le quartier pour encourager les jeunes à postuler : « j’ai posé ma candidature, y avait plein de candidats du quartier, personne n’a été retenu ».
Les nouvelles infrastructures de la soie n’ont pas non plus amélioré les transports. Le métro est à 15 minutes à pied, les habitants espéraient être desservis par le tramway, mais le Rhône-Express qui emmène les voyageurs à l’aéroport longe la cité sans s’arrêter. De l’autre côté de la voie, on construit des nouvelles habitations, modernes, jolies, « c’est pas pour nous, il y a que 10 % de location le reste c’est à acheter ». Avec ces nouvelles constructions, lors d’une rencontre, le maire a demandé aux habitantes de la TASE « d’accepter la mixité » raconte une habitante. « Mais la mixité, c’est nous qui l’avons créé, ici y a des Maghrébins, des Français, des Portugais, on fait les mariages tous ensembles, et tout le monde s’entend, y’a même une église protestante en plein coeur du quartier ! ». Par ailleurs la demande d’avoir une petite mosquée à la Soie est toujours restée sans réponse.
Bref il y a de quoi s’indigner pour ces habitants qui ont organisé des manifestations il y a 3 ans, suite à plusieurs longues pannes du système de chauffage central qui les ont laissés deux semaines sans eau chaude ni chauffage durant l’hiver 2009.
La régie Sollar a finalement fait quelque chose pour le chauffage, puis s’est occupé des jardins ouvriers individuels, laissés à l’abandon eux aussi. Ce sont ces jardins que les dirigeants de la Sollar, le maire de Vaulx-en-Velin sont venus inaugurer vendredi 6 juillet dernier.
Dès notre arrivée, on retrouve O. qui nous annonce la couleur « à part les jardins et le chauffage rien à changé depuis 2010 ». L’épicerie du quartier est même dans le viseur de la régie qui ne voudrait pas renouveler le bail commercial. Une pétition est en cours pour maintenir ce seul commerce de proximité.
« C’est marrant de faire l’inauguration un vendredi midi, à l’heure où les gens travaillent » ironise O. . Effectivement, au-delà de la délégation de notables, il n’y a pas grand monde, seuls les collaborateurs bien habillés accompagnent les officiels, mais pratiquement aucun des jardiniers n’est présent. Seuls quelques-uns restent dans leur parcelle à essayer d’enlever les cailloux qui font polémiques « est-ce que ça va pousser avec tout cette caillasse ? ». Le terrain qui a été déblayé et remblayé pendant plusieurs semaines à coup de pelleteuse mettra sans doute quelque temps à redevenir fertile, sans parler des petites cabanes des jardins qui prendraient l’eau. Une bonne raison pour ne pas inaugurer ça à un moment où tout le quartier aurait pu être présent.
O. reconnaît que les jardins étaient vraiment dans un piteux état et que ce nettoyage les rend plus agréables, mais « il ne faut pas se voiler la face, c’est juste pour faire joli par rapport au quartier de la soie en pleine rénovation » et à l’intérieur les appartements sont toujours dans un état d’insalubrité intenable.
Illustrations des dégradations :
Après le tour du propriétaire, le maire et les responsables de la Sollar, invitent la petite troupe autour d’un barnum devant lequel une petite sono a été installé pour les discours. Bernard Genin, le maire de Vaulx, visiblement fatigué par la ballade dans les jardins souffle :
« avec les jardins de la Sollar et l’ensemble des actions que nous avons lancés comme la requalification de l’avenue Salengro qui redeviendra une desserte de proximité pacifié (sic), c’est tout le cœur du quartier qui va profondément se transformer, bien évidement je suis bien conscient qu’il y ait d’autres enjeux... ». Mais il ne les évoquera pas, ni lui ni le représentant de la régie. Il faudra attendre la fin des longs discours d’auto-congratulation de ces notables pour que O. s’impose au micro malgré les réticences du président de la Sollar : « monsieur, je vous remercie d’être venu, ça fait longtemps qu’on demande à vous rencontrer pour parler des dégradations dans nos appartements ». Les cravatés baissent les yeux et le peu d’habitants applaudissent chaleureusement. En guise de réponse, le maire invite l’assemblée à se restaurer sous les barnums pour cette sorte de garden party avec traiteur de luxe.
En passant devant O. un des responsables de la régie balance « si vous êtes pas contente, vous avez qu’à partir ». Pas vexées, les habitantes profitent de ce moment de « convivialité » pour aborder le responsable de la régie. Assailli et pas rassuré, le vieux cadre plus très dynamique, balance quelques phrases du type « je vais quand même pas aller vérifier dans votre appartement les dégradations ». On se doute qu’il ne veut pas se rabaisser à ça, lui est juste là pour encaisser les loyers. Il enchaine sur une langue de bois un peu fébrile à base de chiffres et de novlangue immobilière. Les habitantes lui pointent un certain « manque de respect » dont elles s’estiment victimes, là le responsable de la régie monte sur ses grands chevaux et prend un ton moralisateur et menaçant en répondant « attention aux termes que vous employez : manque de respect, vous ne pouvez pas ». La discussion se termine dans le brouhaha, le Môssieur de la Solar rejoint sa classe de notable un peu plus loin.
Les habitantes continuent d’échanger sur leur problèmes sous le barnum « quand mon voisin du dessus prend une douche, c’est les deux étages du dessous qui se lavent ». « Moi mes tuyaux d’évacuation sont bouchés toute l’année » . Une autre « moi ça fait plusieurs années que j’attends une réponse de mutation, on vit à 10 dans un F4 » et O. promet une nouvelle mobilisation à la rentrée.
A la fin du cocktail, on recroise S., une maman déjà rencontrée dans des précédents reportages, il s’agit d’une des mamans qui avait manifesté contre les violences policières récurentes à Vaulx [2]. Elle nous raconte un nouvel abus policier datant de début juillet et termine, amère « c’est toujours pareil, c’est toujours les mêmes histoires ».
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