La dictature des apparences

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S’est-il vraiment passé quelque chose après le référendum du 29 mai ?

Aujourd’hui, les marchands d’illusions ont de tels moyens à leur disposition qu’ils peuvent faire croire, du moins jusqu’à présent, que l’accessoire apparaisse comme l’essentiel. Le piège est grand ouvert et légions sont celles et ceux qui s’y précipitent en toute bonne foi.

La temps a passé depuis "l’ébranlement politique" du 29 mai. Un gros trimestre banal, classique, bref estival, avec ses catastrophes diverses, ses incendies de forêts, ses bouchons routiers et ses incertitudes météorologiques. Un trimestre qui a pu apparaître vide comparé à l’effervescence des mois précédent le référendum.

Le temps tourne. Les éléphants politiques, comme engourdis après une longue sieste commencent à s’agiter, secouant leur poussière et chassant les mouches. Ils entonnent leur long barrissement afin d’alerter toute la jungle qu’il s’agit de revenir aux « choses sérieuses », du moins à ce qu’il décrètent de sérieux... C’est la fonction des universités d’été.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?...

Certains peuvent trouver plus ou moins romantiques les périodes d’euphories suivies de phase de profondes dépressions rythmées par les campagnes électorales. Les « on a gagné » clamés en public les soirs de victoires électorales sont généralement suivis par des discrets et individuels « on s’est encore fait avoir ».

La lutte entre les OUI et les NON aurait pu faire croire, certains le croient encore, que (enfin !), les "bons" l’auraient emportés sur les "mauvais". Hélas, la situation est plus compliquée...

Les "leçons" des victoires électorales sont toujours tirées par les principaux intéressés aux résultats. Ces leçons ne nous apprennent rien sinon que tout reste comme avant. Elle sont comme l’entonnoir, elle conduisent toujours dans la même direction : la préparation des prochaines élections.

Or, de même que les révoltes paysannes au Moyen Age n’ont jamais remis en question le système féodal, pousser un coup de gueule, voter non quand tous les biens pensants nous poussent à voter oui, ce n’est pas, aujourd’hui, contrairement aux apparences, se réapproprier le politique. Certes, c’est faire montre d’opposition, signifier son désaccord, exprimer son existence, mais c’est tout. C’est à la fois beaucoup conjoncturellement, personnellement, et disons le narcissiquement, mais dérisoire stratégiquement. Et ça, les politiciens le savent, en jouent et en profitent. « Laissez s’exprimer la colère du peuple, ça le calmera, il aura l’impression d’avoir fait quelque chose d’essentiel... et l’on pourra ensuite reprendre nos affaires ». Bénies soient les élections ! C’est exactement ce qui est en train de se passer.

Quels changements importants ont eu lieu depuis le 29 mai ? Sent-on un changement de politique ? Une réorientation de la politique libérale ? Qu’il soit tenu compte de l’avertissement, du refus, des craintes et des angoisses ? Non. Rien. Absolument rien.

Le business européen continue comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé...

Mais que s’est-il passé au juste ? Oui je sais le non l’a emporté,... mais je veux dire quelque chose d’essentiel ? Quel déclic ?

A y réfléchir, au fond, rien ne s’est passé de fondamental. La preuve : les privatisations continuent, la politique anti sociale bat son plein, les sans papiers et les chômeurs sont traqués, les sans logis brûlent dans leurs taudis, les OGM envahissent nos campagnes... Il y a même des démagogues qui disent, osent dire, alors qu’ils ont été désavoués le 29 mai et qu’ils ont participé depuis des lustres à tous les gouvernements de leur couleur politique, qu’ils « ont compris le peuple et qu’il est temps de changer » (?!) On croit rêver devant autant de bassesse et de mauvaise foi.

La preuve encore : les partis politiques sont en train de ressortir leur traditionnelle batterie de cuisine électorale pour nous mitonner des petits plats dont ils ont le secret pour 2007... Le combat des chefs pour la possession de la "toque d’or" qui bat son plein en cuisine assure le spectacle dans les médias entre incendies de forêts et catastrophes aériennes (largement médiatisées dans leurs moindres détaisl pendant des jours)... et sur fond de fin de règne.

Tel leader fait une déclaration et les commentaires fusent de toute part en un feu d’artifice - c’est le cas de le dire - qui auréole l’audacieux qui fait sortir la pensée politique (sic) de sa torpeur estivale, qui incite ses adversaires du même parti à faire un pas (faux-pas l’espère-t-il). Puis, sûr de son effet, il se retire provisoirement, observant la masse grouillante des commentateurs s’agiter, le louer ou le condamner. « Dites du bien, dites du mal, mais surtout parlez de moi » telle est la devise des exhibitionnistes politiciens. C’est à ces détails, ces attitudes, ces réflexes que l’on peut affirmer que « rien ne s’est passé », que « tout est comme avant » et qu’une fois de plus l’on va s’engager dans une impasse.

La vie politique c’est comme une orange, il faut la peler pour en savourer le goût, il faut la peler pour atteindre sa substance vive. La peau, ce sont les turpitudes conjugales d’un ministre toujours à la recherche de la notoriété, les préparations d’un congrès de parti politique, les petites phrases de tel ou tel, le discours officiel, la vérité officielle, les spéculations politico médicales... La peau c’est ce qui emprisonne la pensée, l’initiative, la prospective, bref l’intelligence de la vie.

L’ESSENTIEL DE LA VIE

L’essentiel n’est pas dans les élucubrations médiatico-stériles des acteurs (mauvais) du système. Il est dans le quotidien, dans la quotidienneté, dans la manière dont la vie s’organise au milieu, et du fait, des difficultés générées par le système marchand.

L’essentiel n’est pas non plus dans les défilés traditionnels toutes banderoles et drapeaux au vent, pas plus que dans la traditionnelle journée d’action censée faire trembler le gouvernement.

L’essentiel est paradoxalement ce qui n’apparaît pas, ou presque pas, dans les multiples moyens de communication dont dispose notre société. Un exemple ?

Durant le mois d’août, des paysans du Lot et Garonne saturés de promesses et victimes des systèmes de distributions ont décidé une vente directe à Paris... et ça a marché. Satisfaction du côté des consommateurs et des producteurs. Les médias en ont peu parlé, certes sur le mode sympa et estival, mais ils en ont parlé. Et alors ? Alors, au risque de surprendre je considère cela comme de l’essentiel. C’est local, c’est limité, probablement sans prétention, mais cela montre que ça peut fonctionner, cela montre qu’il peut exister autre chose que ces gigantesques, absurdes et ruineux circuits marchands qui constituent la trame de notre société. Je considère que ce genre d’initiative, sa multiplication, sa généralisation a certainement beaucoup plus d’importance, d’avenir politique et pédagogique en matière de changement que de savoir si la LCR va se pacser avec le PC ou si les luttes de tendance au sein du PS risquent de le faire éclater ou si l’UDF va divorcer de l’UMP. Pourtant, seuls ces grenouillages vont meubler la rentrée, vont faire les « choux gras » des « politologues » et autres « experts ». Et c’est sur ces grenouillages et en fonction d’eux que le bon peuple sera consulté.

L’essentiel lui restera dans l’obscurité. Ce genre de pratique alternative, de circuits courts existe un peu dans toutes les régions, mais il se fait à partir d’initiatives locales. Il n’est jamais présenté comme ce qu’il est vraiment : une possible alternative... Il ne fait jamais partie de la stratégie des partis politiques traditionnels qui voient là un simple aspect folklorique et provincial... tout juste un moyen de marketing politique quand, par hasard, une caméra est dans le coin, on se colle alors rapidement un badge sur la poitrine.

Cet essentiel, ce qui permet d’avoir une pratique sociale nouvelle, d’établir des relations nouvelles entre producteurs et consommateurs, bref de prendre conscience concrètement et non simplement par le discours, qu’un autre monde est possible, est parfaitement ignoré par les politiciens et les gestionnaires du système marchand. Les organisations politiques traditionnelles ont préfèré, dans la moiteur de leur bureau politique et de leurs universités d’été, préparer les stratégies bureaucratiques de la rentrée pour placer tel ou tel comme candidat en 2007.

Réveillons nous. Cessons de croire aux mirages de la « réalité officielle », aux stériles jeux d’acteurs des politiciens et autres scénarios imaginaires concoctés par les spécialistes en marketing politique grassement rémunérés par les partis. Montrons à tous ces prestidigitateurs que l’on ne marche plus dans leurs « trucs ». Désintéressons nous de leurs discours, ne répondons plus à leurs sollicitations, n’alimentons plus un débat qui n’est pas le nôtre. Il ne s’agit même plus de les critiquer ou de les combattre... pas même de les dénoncer. Ignorons les !

Notre avenir n’est pas dans leurs promesses, on sait ce qu’elles valent, mais dans la manière dont nous saurons concrètement repenser les rapports sociaux.

Patrick MIGNARD

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