6 accidents mortels dans le Rhône en 2019 : le fait divers ne fait plus diversion
Le compte twitter @DuAccident recense les accidents du travail répertoriés par la presse quotidienne régionale. La liste suivante ne comptabilise que les personnes décédées et est malheureusement a priori incomplète, puisque tous les décès liés au travail (notamment les accidents de la route et les suicides) ne font pas l’objet d’une couverture par la presse et qu’on ignore souvent le fait que certains accidents graves (très courants chez les ouvriers) ont été suivis d’un décès. Même incomplète, cette liste est trop longue et révoltante :
- 11 mars, Neuville-sur-Saône : un ouvrier de 45 ans est mort écrasé par un arbre lors d’un élagage ;
- 2 avril, entre Charly et Sagonne : un chauffeur routier de 62 ans a perdu la vie dans un accident de camion ;
- Mai, Lyon : un maçon a fait une chute mortelle sur un chantier ;
- 4 juillet, entre Saint-Forgeux et Montrottier : un agriculteur de 31 ans est décédé des suites de ses blessures liées à un accident de tracteur survenu le 28 juin ;
- 17 octobre, Corbas : un ouvrier travaillant sur le montage d’une structure métallique a été écrasé par un engin de chantier ;
- 4 novembre, Saint-Bonnet-de-Mure : un gérant de centre équestre de 33 ans a été écrasé par le hayon d’une camionnette.
@DuAccident relève aussi que le 3 mai, à Lyon, une interne en médecine aux Hospices civils s’est suicidée et que ses conditions de travail auraient joué dans cette décision tragique.
Classées dans la rubrique « faits divers », les annonces de ces décès ne révèlent pas qu’un cruel hasard qui toucherait aléatoirement des personnes malchanceuses. La mort au travail est un fait quotidien et un phénomène social qu’il convient d’interpréter comme tel.
En France, au moins 1200 décès liés au travail chaque année
Dramatique, cette liste vient nous rappeler une réalité quotidienne : le travail tue. En France, selon la direction des risques professionnels (DRP), 545 personnes sont décédées suite à un accident du travail en 2015. La même année, 36 046 personnes ont subi des accidents entraînant une incapacité permanente. Ce chiffre est constant lors des dernières années, avec environ 500 accidents du travail mortels chaque année.
Mais les décès suite à un accident ne sont pas les seuls décès liés au travail, loin de là. Il faut y ajouter les travailleuses et travailleurs qui meurent des suites d’une maladie professionnelle, souvent un cancer, ainsi que celles qui décèdent dans un trajet lié au travail. Si on comptabilise aussi ces victimes, on arrive selon Bastamag, à un total de plus de 1 200 décès annuels. Et ce macabre décombre ne prend pas en compte les suicides sur le lieu de travail ou directement causés par le travail, qui sont aussi légions.
Accidents au travail ou sur le chemin du travail, maladies professionnelles : 112 décès en Rhône-Alpes en 2018
Le rapport que produit chaque année la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) de Rhône-Alpes permet d’en savoir davantage sur les accidents du travail, les maladies professionnelles et les accidents survenus sur le trajet du boulot. Le dernier publié, accessible en ligne, s’appuie sur les données de 2018.
Accidents du travail : 70 000 accidents, 56 décès
En Rhône-Alpes, depuis 2018, il se produit chaque année plus de 70 000 accidents du travail [1] déclarés comme tels. Un salarié sur 26 en est victime.
En moyenne, un accident du travail a provoqué 1,7 journées d’incapacité temporaire. Souvent, ils sont beaucoup plus graves. Les accidents du travail ont provoqué 56 décès en Rhône-Alpes en 2018 et 4 842 personnes ont été si gravement touchées qu’elles subiront des incapacités permanentes.
Les accidents sont le plus souvent liés à des efforts de manutention manuelle (56% des cas), à des chutes (25%) ou à des problèmes d’outillage à main (7%). Les accidents de la route dans le cadre de l’activité professionnelle (et non sur le trajet domicile-travail, voir ci-après) comptent pour 3% du total.
Maladies professionnelles : 24 personnes tuées par l’amiante
Les accidents ne sont pas les seules causes de décès liés au travail. Les maladies professionnelles [2] tuent aussi. En 2018, 29 travailleuses et travailleurs de Rhône-Alpes sont morts des suites d’une maladie professionnelle, pour 24 d’entre-eux c’est l’exposition à l’amiante qui était en cause. La même année, les maladies professionnelles ont donné lieu 4 677 fois à un arrêt de travail ou à une incapacité permanente. Dans 2 838 cas, ce sont de nouvelles incapacités permanentes qui se sont déclarées (c’est-à-dire qu’elles ont donné lieu à un premier versement de prestation en 2018).
Dans la majorité des cas (88%), la maladie professionnelle contractée est liée aux troubles musculo-squelettiques [3]. Dans 5% des cas, c’est l’amiante qui est la cause de la maladie, dans 2% le bruit.
Accidents de la route : 27 personnes tuées sur le chemin du boulot
Le travaille tue ou rend malade en lui-même mais aussi tout simplement parce qu’il faut s’y rendre. C’est que la Carsat nomme les « accidents de trajet », survenu sur le chemin entre le domicile et le travail. En 2018, un salarié rhône-alpin sur 200 en a été victime, soit plus de 10 000 personnes sur l’ensemble du territoire. Ces accidents ont entraîné 784 nouvelles incapacités permanentes et 27 décès.
De grands variations sectorielles : les ouvrier·es et les femmes surexposé·es
Les secteurs ne sont pas tous touchés de la même manière. Si l’indice de fréquence moyen est de 38 accidents pour 1 000 salariés, il monte à 57,2 dans le BTP. Il explose carrément dans les travaux de charpente (126,2), dans l’hébergement médical pour personnes âgées (130,7) ou dans l’aide à domicile (115). On notera que les quatre secteurs cités ici sont ceux où travaillent de nombreux ouvriers et ouvrières et que les deux derniers concentrent plus spécifiquement des emplois occupés par des femmes. Les maladies professionnelles touchent elles aussi davantage certaines industries, comme le BTP et la grande distribution. Là aussi ce sont les ouvriers et ouvrières qui morflent avant tout. Les maladies professionnelles sont aussi surreprésentées chez les personnes qui travaillent comme intérimaires. En ce qui concerne les accidents de trajet, les aides à domicile et les personnels du nettoyage, deux populations largement féminines et qui passent beaucoup de temps sur la route pour relier des lieux de travail multiples, sont les plus touchées.
Les rapports détaillés par industrie permettent aussi de mieux connaître des métiers les plus exposés. Dans le secteur de la propreté par exemple, ce n’est pas moins d’un salarié sur 18 qui a été victime d’un accident du travail en 2018. Les accidents dans ce secteur sont aussi particulièrement graves puisqu’ils entraînent en moyenne 4,5 jours d’incapacité temporaire, soit 3 fois plus que la moyenne tous secteurs confondus, et que 161 personnes ont subi un accident entraînant un incapacité permanente (donnant lieu au versement d’une prestation). Les maladies professionnelles liées à des troubles musculo-squelettiques y sont aussi particulièrement courantes et la fréquence des accidents sur le trajet de ces boulots aux horaires hachés est aussi 2 fois supérieure à celle de tous les secteurs confondus.
Vivre plus, vivre mieux, travailler moins
Qu’ils soient liés à des accidents, à des maladies professionnelles ou à des suicides, les décès liés au turbin tracent une véritable frontière entre classes sociales. Davantage victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, les ouvriers et les ouvrières meurent bien plus souvent à cause du travail que les cadres (même si ceux-ci se suicident aussi à cause du boulot). Plus profondément encore, les inégalités sociales influencent nos qualités de vie mais aussi nos espérances de vie. L’espérance de vie à la naissance atteint 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes en 2018 en France métropolitaine. Selon l’Insee, l’écart entre l’espérance de vie des cadres et celle des ouvriers est de 6,4 ans pour les hommes et 3,2 ans pour les femmes.
En France, l’espérance de vie en bonne santé [4] était de 64,5 ans pour les femmes et de 63,4 ans pour les hommes en 2018. C’est évidemment beaucoup moins que l’espérance de vie totale. C’est surtout à peine plus que l’âge légal actuel de départ à la retraite (62 ans). Là encore, les différences entre ouvriers et cadres sont énormes. À 35 ans, un homme a 34 ans « d’espérance de vie sans problème sensoriels et physiques » s’il est cadre, et 10 ans de moins (24) s’il est ouvrier ! Pour « l’espérance de vie sans incapacité dans les activités en général », la différence est de 8 ans (40 contre 32), toujours en faveur des cadres.
Le gouvernement essaie actuellement de nous imposer une réforme des retraites en utilisant notamment l’argument idiot « nous vivons plus longtemps, nous devons travailler plus longtemps ». Le travail est usant physiquement et ce « nous » généraliste n’a aucune valeur puisque le boulot ne nous use pas tous et toutes de la même façon. Par souci d’égalité et de protection de la santé, il est donc urgent de lutter pour de meilleures conditions de travail et d’exiger la retraite la plus précoce et la plus lucrative possible.
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