L’une des dernières publications parues à l’Atelier de Création Libertaire, ce livre intéressant de Sylvain Boulouque (fort bien préfacé par Benjamin Stora) retrace l’itinéraire des groupes anarchistes lors des processus de décolonisation de l’après-guerre.
L’intérêt majeur en est la description par l’auteur (qui tire cet ouvrage de son mémoire de maîtrise, solidement fondé sur la lecture de la presse militante de l’époque notamment) des jonctions et interférences entre la pensée anarchiste d’une part, son rejet radical des concepts d’Etat et de nation, et les luttes dites de « libération nationale », animées par différentes formes de nationalisme et revendiquant la création d’Etats modernes.
Le courant libertaire, plutôt composite, des années 50 et 60 se trouve dans une situation conflictuelle quant aux événements historiques dont traite ce livre. Outre certaines crispations, certains rejets sur lesquels je reviendrai plus loin, sa réflexion sera enrichissante dans ses domaines privilégiés : structure économique de l’impérialisme français et occidental, du capitalisme colonial...ou encore antimilitarisme virulent de ces militant-es au sortir du carnage de 39-45. Sur la base de l’attaque de l’Etat, nombre d’entre eux/elles ont soutenu de manière active insoumis, objecteurs de conscience et déserteurs.
Une partie importante du milieu libertaire condamnera rapidement et sur des positions lucides les pratiques autoritaristes et sanguinaires au sein des mouvements de libération (partisan-es de Hô-Chi-Minh en Indochine ou du F.L.N. en Algérie).
L’intérêt du soutien qu’offrent les anarchistes à ces formes émergentes de luttes porte cependant quelques bémols :
Une partie non négligeable des militant-es (Fédération Communiste Libertaire en particulier), par enthousiasme aveugle pour tout type de soulèvement populaire et par adhésion irréfléchie à la liturgie révolutionnaire, exprime peu ou pas de réserves par rapport aux prises de pouvoir de factions des mouvements indépendantistes, par voie de manipulations, évictions, jusqu’aux assassinats politiques internes.
A l’opposé mais par le même messianisme révolutionnaire et par manie ouvriériste, certain-es opèrent un dénigrement total des convictions qui alimentent ces luttes qui ne
correspondent pas à l’idéal-type anarchiste : elles s’éloigneraient du seul objectif véritable, la chute de l’Etat et du Capital.
A la suite de ces deux critiques, ce mode de réflexion des anarchistes révèle (outre un décalage de préoccupations entre courants anti-colonialistes en métropole et outre-mer) un profond ethnocentrisme. Qu’elle soit soutenue, avec un semblant de condescendance, comme une étape vers l’instauration d’une société libertaire, ou que sa valeur soit niée car elle défend l’apparition d’un Etat et un certain nationalisme, la lutte de « libération nationale » n’est jamais envisagée sous son angle le plus intéressant ; angle d’analyse qui manque d’ailleurs cruellement aux anarchistes : une réflexion sur l’identité culturelle des populations et sa protection, une réflexion sur les structures sociales, économiques, politiques et intellectuelles du racisme et de l’ethnocentrisme de l’Occident (particulièrement en situation coloniale).
Aujourd’hui c’est à propos de la Palestine, de la Tchétchénie, du Sahara occidental... qu’il nous faut poser les rapports entre lutte anticolonialiste, indépendantiste, et mouvements anti-autoritaires.
Ouaich
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