Lutte autour du centre de détention de Roanne : un prisonnier victime de l’acharnement des matons

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Voici deux lettres écrites en ce début d’année 2013 autour de la situation de Nabil, détenu au centre de détention (CD) de Roanne depuis an an et demi. Sa situation est très dûre, typique des punitions exemplaires que sait infliger l’Administration Pénitentiaire (AP) aux prisonniers un peu trop remuants.
Et du remou, il y en a eu ces derniers mois autour du centre de détention de Roanne, à l’intérieur comme à l’extérieur des prisonniers et leurs soutien ont protesté contre l’enfer carcéral (on peut retrouver une petite chronologie ici). En réponse, l’AP a durci le ton, alternant les provocations (dont des
exemples sont détaillés dans les lettres ci jointes), les représailles diffuses et les mises à l’isolement des prisonniers les plus rétifs à la discipline carcéral. Aujourd’hui Nabil est dans une situation intenable. Il craint pour sa vie, les matons lui mettent une pression terrible. Ne le laissons pas seul face à l’AP !

Et Nabil est loin d’être le seul à subir des pressions de l’AP ; il est important de savoir et faire savoir ce qu’il se passe derrière les murs pour que les prisonniers ne soient pas isolés.Toute lettre de soutien est la bienvenue.
Pour obtenir son adresse : écrivez à emissionpapillon (arobase) riseup.net. _ Pour réclamer son transfert vers une autre prison (ce qu’il demande lui-même), on peut écrire à Jean-Charles TOULOUZE - Directeur interrégional des services pénitentiaires - 1 rue du Général-Mouton-Duvernet - BP 3009 - 69391 Lyon Cedex 03

Lettre de Nabil (début février) :

A l’attention du directeur de la Direction Interregionale des Services
Pénitentiaires.

Monsieur le Directeur,

Je viens à vous une nouvelle fois, pour vous donner des informations sur
mes conditions de détention et réitérer ma demande de transfert qui
devient une urgence, une question de vie ou de mort !

Il y a un an et demi que je suis arrivé au CD de Roanne, ce qui devait
m’aider dans mon projet professionnel, social et d’exécution de peine. A
mon arrivée on m’a tenu le même discours. Avant d’arriver à Roanne,
j’avais un projet professionnel et un logement, j’ai suivi les exigences
du suivi socio-judiciaire qui m’est imposé, je n’avais aucun rapport
d’incident. Il m’a fallu attendre un an avant d’avoir ma première
permission employeur de 6 heures, soit deux ans après la possibilité de
déposer une permission. Depuis je n’ai plus eu de permission et aucune
aide ne m’a été apportée. J’ai perdu l’emploi que j’avais trouvé, un
employeur ne peut pas attendre trois ans un employé.
Mes proches et moi-même, nous vous avions alerté sur ma situation dès mon
arrivée à Roanne, et depuis ce que nous craignions s’est produit et je me
retrouve à ne pouvoir mener aucun projet à bien.

De plus, dans l’étrange climat existant au sein du CD de Roanne, je subis
acharnement et pressions, qui d’ailleurs compromettent gravement ma santé.
J’ai perdu une vingtaine de kilos, je suis sujet à des insomnies qui
peuvent durer plusieurs jours, je suis sujet à des angoisses, vertiges,
malaises vagaux, migraines, douleurs dorsales violentes et incurables
selon le médecin, ma vue baisse de jour en jour et mon état psychologique
en est gravement menacé, vivant chaque jour dans la peur de vos agents qui
me semblent chercher à m’assassiner.
Lors d’un entretien après un rapport d’incident le 14 novembre 2012, pour
différentes clés USB (ndlr : la possession de clés USB est interdite en
détention) sur lesquelles on pouvait trouver de la musique et différentes
émissions de radio, dont une qui parlait d’une plainte déposée contre la
maison d’arrêt de la Talaudière concernant les conditions indignes de
détention de cette maison d’arrêt, plainte encore en cours actuellement
(ndlr : nabil a déposé plainte en mai 2011 contre la maison d’arrêt de
saint-étienne au sujet des conditions de détention), Monsieur Simon,
lieutenant du bâtiment D, en la présence de Monsieur Arnoud, major du
bâtiment D du CD de Roanne, m’a interpellé à ce sujet et m’a très
clairement fait comprendre qu’ils n’aimaient pas ces manières de faire, me
menaçant par ces termes : « Vous pouvez être un chien enragé, nous serons
des loups avec vous ! ». Sur quoi j’ai demandé si c’était des menaces, à
quoi il a répondu : « Non, une promesse ! ». Je crois que les mots sont
dits et que l’on veut me faire payer cher mon comportement vis-à-vis de ma
plainte de la Talaudière.

Depuis je subis des fouilles régulières, tous les quinze jours en moyenne,
mes courriers me parviennent avec un retard pouvant aller jusqu’à un mois,
de nombreux de mes courriers sont censurés sans raison valable et sans que
l’on m’en donne connaissance.

Le 15 janvier 2013, une fouille de cellule est organisée par Monsieur
Simon, lieutenant du bâtiment D, mes courriers sont fouillés, certains me
sont confisqués. Le 16 janvier 2013 à 15h30, je suis placé à l’isolement
pour une durée de 3 mois, pour des raisons confuses et obscures. Le soir
même à 18h45, voyant que les surveillants ne m’ont pas remis mes affaires,
surtout de quoi écrire et de quoi fumer, j’appelle à l’interphone. Un
agent me répond d’un ton menaçant et me disant que j’attendrai demain, ne
voulant pas attendre et à bout d’une journée difficile, je m’entaille le
poignet à deux reprises, le surveillant intervient, reste derrière la
porte et me dit de lui montrer mon poignet, ce que j’exécute. Sa réponse
est que je peux attendre demain. (Après avoir vu le médecin, ça
sollicitera trois points de suture). Voyant que le surveillant ne veut
rien entendre à ma détresse, je m’ouvre le torse à deux reprises, ce qui
sollicitera l’intervention du brigadier qui décidera de me donner mon
tabac et de me faire voir à un médecin, médecin que je verrai à 20h45.
Soit deux heures après m’être entaillé de 15 points de suture. Je ne
récupérerai mes affaires que deux jours plus tard.

Le 30 janvier 2013, je passe en commission de discipline pour les clés USB
et de la résine de cannabis. Je suis placée suite à cette commission de
discipline pour six jours au quartier disciplinaire (mitard).

Le 2 février 2013, j’avais parloir à 14h avec Melle... Parloir auquel
j’avais droit, et accordé par Madame Petit, directrice adjointe du CD de
roanne. A la grande surprise de mon amie et moi-même, ce parloir a été
supprimé. Mon amie, qui s’était déplacée d’une centaine de kilomètres,
s’est vu refuser le parloir à son arrivée. Voyant que l’heure tournait et
que je n’avais toujours pas mon parloir, j’ai appelé le surveillant, qui
m’a répondu que je n’avais pas de parloir aujourd’hui. Il a fallu que je
menace de foutre le feu à la cellule ou que je me suicide pour voir un
brigadier, après lui avoir expliqué la situation et avoir insisté
longuement sur mon droit. Après s’être renseigné et après vérification de
prise de parloir, le parloir a été accordé au deuxième tour (15h45). C’est
l’une des nombreuses attaques portées contre mes proches et moi.

Le 4 février 2013, je sors de cellule disciplinaire. À mon arrivée en
cellule au QI, je découvre ma cellule en désordre, preuve d’une fouille
survenue en mon absence, du café et divers produits dont j’ignore
l’origine ont été déversés sur le sol et mes serpillières m’ont été
retirées de la cellule, il m’a fallu en réclamer une que l’on m’a prêté
jusqu’à midi ! Je n’ai répondu à aucune attaque sur ma personne.

Le 5 février 2013 on me restitue ma chaîne hi-fi après vérification de cet
objet. Cette chaîne hi-fi est constituée de 3 enceintes, deux seulement me
sont rendues et en présence du surveillant qui me le remet le fait
constater et fait constater le fonctionnement, hors le fonctionnement
n’est pas bon et la chaîne hi-fi ne fonctionne que partiellement. Je la
fais renvoyer par le surveillant l’ayant amenée afin d’avoir réparation.

Comprenez Monsieur Le Directeur que je ne pourrai tenir longtemps dans des
conditions de détention dignes de la torture. J’ai peur que vos agents
m’assassinent, un jour où ils auront été trop loin dans leur torture et
que j’aurais réagi. Car je vous préviens aussi que pour l’instant je n’ai
pas réagi, à aucune provocation de vos agents. Mais lorsque je me serai
décidé à réagir se sera par la plus grande violence, je préfère mourir en
me défendant, plutôt que de subir plus longtemps de telles tortures.

Dans l’immédiat je vous demande mon transfert dans les plus brefs délais,
surtout avant que la situation n’échappe à tout le monde. Ma mère a de
gros problèmes de santé (cardiaques), je vous prie de prendre en
considération cet élément dans votre affectation de transfert me
concernant.

Dans l’attente d’une réponse rapide de votre part, veuillez agréer mes
salutations.

Nabil CHAKIK

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Une lettre ouverte de la part de proches de Nabil :

Le 12 février 2013,

Nous avons écrit à de multiples reprises l’administration pénitentiaire au
sujet de la situation de notre ami Nabil. Sans jamais aucune réponse ni
réaction. Alors, nous adressons cette lettre à toute personne qui voudra
bien la lire et la relayer, en espérant que cela permettra de faire savoir
comment l’AP s’acharne sur lui et de faire évoluer sa situation. Nous
avons bien conscience que son cas n’est pas unique et souhaitons bon
courage à tous les détenus subissant ce genre de choses, et à celles et
ceux qui les aiment !

Depuis des années, nous avons pu observer à quel point l’incarcération est
destructrice. Nabil avait pourtant un parcours carcéral qui semblait
plutôt « normal ». Après d’autres incarcérations qui avaient été plus
« tumultueuses », il faisait tout pour éviter les soucis avec l’AP (et
pourtant c’est parfois difficile !). Il faisait des projets de sortie dans
lesquels nous le soutenions : il souhaitait demander une libération
conditionnelle pour mener à bien un projet de maraîchage. Ensemble, nous
lui avions trouvé un logement et un employeur. Il n’a jamais été soutenu
par les juges, SPIP, etc. et n’a obtenu que des refus. Ce qui est
profondément déprimant et révoltant.

Depuis des mois, il subit ce qui nous semble être un acharnement
particulier, une situation de plus en plus hardcore. Certains surveillants
lui mettent régulièrement la pression, voire le menacent. Il subit des
fouilles répétées que nous qualifions de harcèlement. Quelques objets
trouvés lors de ces fouilles (Lettres ? Clés USB ? Une machine à tatouer
bricolée ??? ...) semblent avoir finalement fourni le prétexte d’un
placement à l’isolement. Notre ami est au fond d’un couloir dont on a
l’impression qu’on n’atteindra jamais le bout, on nous éloigne de plus en
plus, de jour en jour. C’est intenable.

Au quartier d’isolement, il est enfermé en cellule toute la journée, seul,
sans voir personne, sauf les surveillants, quelques fois dans la journée.
Il voit de temps en temps le personnel médical. Qui ne semble d’ailleurs
« pas inquiet » quand une personne qui pèse aujourd’hui 51 kilos en a
perdu 15 au cours des derniers mois, quand une personne en est venue à sa
taillader le torse pour qu’un surveillant lui restitue ses affaires alors
que c’était son dû.
Il est en isolement strict, il n’a le droit de parler à personne, de voir
personne. Il a accès quelques heures par jour à une « salle
d’activité »... où il n’y a pas d’activités pour une personne seule ! Il y
a un babyfoot, histoire de lui rappeler à quel point il est seul !
L’accès à un livre de bibliothèque est compliqué par des procédures
extrêmement complexes puisqu’il n’a pas le droit de voir le
bibliothécaire. La « cour de promenade » semble être une farce : un
minuscule carré de quelques mètres aux murs très hauts et plafonné de
grillages. Il refuse d’y aller. Quoi de plus compréhensible ? Ce n’est pas
un endroit pour prendre l’air.
Il ne peut pas se procurer le minimum vital : les mandats que nous lui
envoyons mettent dix jours à lui parvenir. Comme la plupart de nos
lettres.

Heureusement, les parloirs sont maintenus (même s’ils se déroulent dans
des cabines spéciales, minuscules, avec dispositif de séparation et avec
toute une mise en scène ultra sécuritaire quand il y est amené,
heureusement qu’on en rit !).
Quand il arrive au parloir, il a du mal à parler car il ne parle plus de
la journée, avec personne. (Sauf quelques surveillants, trois fois par
jour.) Ces moments sont extrêmement précieux pour lui et pour nous.
A trois reprises des surveillants ont posé des soucis pour l’entrée au
parloir. Ils lui ont dit, ou ont dit à la personne venue le visiter, qu’il
n’avait pas de parloir, que le rendez-vous n’était pas inscrit, ou annulé.
Ce qui était faux. Nabil a du insister à chaque fois, étant persuadé qu’il
avait bel et bien un rendez-vous et qu’il y avait droit.
Nous n’avons pas compris pourquoi cela s’était produit. Mais ce que nous
savons, c’est que ces parloirs sont les seules choses qui le rattachent au
monde, ils sont vitaux pour lui, mais aussi pour ceux et celles qui
l’aiment. Le priver de cela, c’est vraiment tenter de lui faire péter les
plombs.

Notre ami nous a dit pour la première fois qu’il avait peur des
surveillants, nous prenons ça très au sérieux. Certains l’ont provoqué,
menacé, essaient de le pousser à bout. Ils profitent de sa situation :
complètement isolé face à eux, comment se défendre et être soutenu ?

Il nous semble que certains surveillants cherchent des personnes à punir,
coûte que coûte, suite aux évènements survenus dans cette prison. Est-ce
que Nabil est une cible idéale parce qu’il a porté plainte contre la
maison d’arrêt de La Talaudière ? Parce qu’il a parfois écrit publiquement
au sujet de la prison et de ce qu’il en pensait ? Parce qu’il exprime
parfois ce qu’il pense un peu fort en détention ? Nous partageons ses
positions et avons compris à quel point c’était dangereux, mais vital,
d’exprimer son avis en prison, de ne pas toujours se laisser faire.

Pour l’instant, Nabil a réagi avec les mots et exigé que les droits lui
soient appliqués « normalement ». Quand il s’est senti poussé à bout, il
s’en est parfois pris à lui-même pour exprimer sa protestation, ce qui est
inquiétant. Mais c’était un moyen de ne pas réagir directement aux
provocations pénitentiaires.

Nous nous sentons parfois bien seules et impuissantes face à cette
situation, alors nous pensons à tous ceux et toutes celles qui subissent
pareil, voire bien pire. Nous ne baisserons pas les bras. Nous espérons
que d’autres (amis ou inconnus, de dedans ou de dehors...) seront
solidaires.

Son avocat a déposé un recours au tribunal administratif afin de le faire
sortir de l’isolement.

Des proches de Nabil.

P.-S.

Pour avoir un récpitulatif (non-exhaustif) de ce qui s’est passé là-bas et suivre la lutte qui s’y mène : http://luttes-au-centre-de-detention-de-roanne.overblog.com

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  • Le 27 février 2013 à 20:57, par C-dric

    Il ne fait aucun doute que la situation de Nabil Chakik relève du harcèlement moral.
    Dans le monde du travail il est déjà difficile de se protéger face aux pratiques de harcèlement, alors derrière les murs...

    Un lien vers wiki qu’il faut interprété en fonction du monde carcérale. Grosso modo, remplacer le mot travail par prison.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Harc%C3%A8lement_moral

  • Le 23 février 2013 à 19:07, par T.

    Sur la question carcérale, deux lectures qui m’ont marqué ces derniers temps :

    - Le blog Bruno des Baumettes, journal quotidien tenu pendant 3 mois et 19 jours par un détenu de la prison des Baumettes à Marseille.

    - Comme un chien enragé, Lettre anonyme d’un détenu de la prison de la Santé sur les conditions de détention et sur la prison en général, Mars-Avril 2011.

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