DEPUIS JUIN, LES salarié-es des TCL ont
entamé une série d’actions pour
protester contre la remise en cause des
accords d’entreprise. Sous couvert d’un
« dépoussiérage » des acquis sociaux et
d’une « modernisation de l’entreprise »,
la direction cherchait clairement à flexibiliser
davantage l’activité des agents TCL :
tordre leurs horaires et leurs habitudes,
limiter les pauses et les petits aménagements
pour les faire plier encore plus,
augmenter leur rentabilité et leur soumission
aux cadences, à la discipline.
A la mi-septembre les syndicats ont posé
un préavis de 99 jours, et la grève reconductible
a démarré le jeudi 24. Elle durera 10
jours, ponctuée par des blocages de dépôts,
des manifestations sauvages, des coups
de pression et une occupation au siège de
Keolis (la société qui exploite le réseau)…
Le mouvement a été suspendu peu après
l’incendie d’un dépôt de bus vers Perrache,
mais la deuxième manche est déjà prévue
pour décembre, avant les fêtes.
« Nous maintenant, on va bloquer la ville »
Des conditions de travail merdiques et une
pression qui monte de jour en jour ; une
remise en cause des acquis arrachés précédemment
et inscrits dans les accords
d’entreprise ; des provocations répétées
des élus et de la direction avant et pendant
le mouvement… Trois jours avant le début
du conflit, le maire de Lyon déclarait : « il
est regrettable qu’un service public puisse
être paralysé par une grève ». C’est beau
comme du Sarkozy. Tous les ingrédients
étaient réunis pour que les grévistes partent
au taquet : dès le premier jour, 300
salarié-es tentent de forcer les portes de
Keolis défendues par une ligne de CRS.
Le lendemain, ça part en manif sauvage
pour bloquer le tram ou le métro sur les
lignes qui roulent encore et paralyser les
grands axes de circulation (Lafayette, Emile
Zola)… Dans les dépôts c’est le jeu du chat
et de la souris avec les huissiers appelés
par la direction : ça bloque d’un côté, de
l’autre, ça court un peu dans tous les sens.
Des grévistes commencent aussi à évoquer
des sabotages (démonter les composteurs),
des détournements (bloquer la ville avec
des bus TCL, façon opération escargot).
Les locaux de la direction sont occupés
par les syndicalistes venus négocier le 30
septembre…
La différence avec les mouvements précédents
: « cette fois-ci on est pas restés à
mourir pendant deux semaines sur nos
dépôts : on part en ville, on nous voit et
nous maintenant, on va tout bloquer en
ville. Ça fait parler de nous et surtout ça
met la pression sur les politiques. Déjà
là c’est pas mal mais attends Noël : les
commerçants ils vont directement aller
pleurer chez Collomb parce que sinon
ils sont morts, et c’est ça qui va les faire
bouger. C’est comme la boîte : c’est qu’à
partir d’aujourd’hui [le 28 septembre]
qu’ils perdent vraiment de l’argent. Il y
a le manque à gagner mais là en plus il
y a les pénalités : 150 000 euros par jour.
C’est là que ça leur fait mal, frapper au
porte-monnaie… ». Mais la direction est
prête aussi à perdre des ronds, entre le
coût de la grève, des dégradations, et les
gestes commerciaux aux abonnés : le fond
du truc c’est que son plan de « modernisation
» baptisé EDIFIS, et qui passe justement
par la remise en cause des accords
d’entreprise, doit lui rapporter 8 millions
d’euros par an (ça rapporte la « flexibilité
en fonction de la demande du public »).
Le vendredi 2 octobre, au lendemain de
l’incendie du dépôt de bus cours Suchet,
une assemblée générale vote la suspension
du mouvement pour le lundi suivant.
Sans doute que la destruction d’une trentaine
de véhicules des TCL a fait un peu
l’effet d’une douche froide.
L’opinion, ça se travaille
Dès la suspension du conflit, le Progrès
fait paraître des sondages commandés de
longue date pour savoir combien de lyonnais
sont hostiles / très hostiles / scandalisés
par cette grève. 65% de mécontents,
si on en croit le quotidien : les journalistes
en charge d’analyser ce score se montrent
presque déçus. Il faut dire qu’ils ont
déployé les grands moyens, avant même
le déclenchement du mouvement : dès
le lundi 21, le Progrès titrait : « Grève des
TCL : Lyonnais, vous allez souffrir » ; dans
le même temps les journaux gratuits nous
promettaient « l’enfer » ou « la galère ».
Cette opération médiatique, diviser pour
mieux régner, est assez classique mais
toujours efficace. Il faut faire comme si
la grève était de l’ordre d’une catastrophe
climatique ou d’une invasion de sauterelles,
comme s’il n’y avait pas de rapport
entre la colère, la lutte aux TCL et les
galères qu’on vit tous et toutes au quotidien
(au taf, au Pôle Emploi, etc.). Pas de
compréhension, donc pas de ralliement
possible : éviter la contagion, le partage
d’un sentiment de solidarité. Éviter la diffusion
de cette certitude que faire reculer
les positions dominantes sur un point,
une lutte victorieuse ou même simplement
bien vénèr’ quelque part, permet
de rompre avec l’impuissance généralisée.
D’où l’insistance des pouvoirs publics,
comme de la direction des TCL, pour rappeler
que leurs salariés « ne sont pas les
plus mal lotis », qu’ils feraient mieux de se
contenter de ce qu’ils ont, qu’ils ne méritent
pas l’appui des plus malheureux… ce
qui est toujours marrant dans la bouche
d’un sénateur-maire qui touche dans les
10000 euros mensuels, d’un dirigeant du
SYTRAL bien mouillé dans des affaires de
prise illégale d’intérêts, ou de journalistes
aux ordres.
Quand même, les journaleux ont la tâche
un peu plus ardue, cette fois-ci, pour nous
refaire le coup de la prise d’otage des usagers.
L’ambiance est un peu différente
avec la crise, avec des boîtes en lutte aux
quatre coins de l’hexagone et les grands
précédents comme la lutte des Conti ou
à Caterpillar… Pour éviter les sympathies
malvenues, on a donc eu droit à une
offensive médiatique bien concertée entre
les politiques, la direction des TCL et les
organes de presse locaux. Avec de bonnes
grosses fi celles. Premier élément en juin,
au moment de la grève perlée : Keolis
achète un espace publicitaire dans Lyon
Plus pour y faire paraître une fi che de
paie fantaisiste, laissant croire que les
conducteurs toucheraient en moyenne
dans les 2000 euros par mois, avec les
primes. Il se trouve qu’en réalité un
chauffeur commence à 1300, et monte à
1600 après 10 ans de boîte, tout compris ;
mais c’est pas grave, Collomb reprend
à son compte « l’info » fin septembre :
« On embauche un salarié, un conducteur de bus à 1600 euros nets, ce qui avec
les primes donne de 1800 à 2000 euros.
Est-ce qu’il y a beaucoup de secteurs où
on embauche à ce prix ? Je pense à celui
qui habite les Minguettes et qui est privé
de transports en commun et je pense
qu’il est plus mal loti que le conducteur
TCL ». Au PS, décidément, on aime bien
parler des quartiers populaires quand
il s’agit de calmer le jeu et de culpabiliser
les salarié-es en lutte. Ceux-ci sont
ulcérés, remontés à bloc contre les élus
qui ont clairement pris parti du côté des
patrons, et qui n’hésitent pas à en rajouter
dans la désinformation. Avec toutes
leurs conneries autour des fi ches de paie,
les politiques sont allés clairement dans
le sens de la direction des TCL : dès le
départ du confl it, Rivalta et Tabary (respectivement
directeurs de Keolis et du
Sytral) laissaient entendre que les grévistes
réclamaient un quatorzième mois,
en oubliant de mentionner l’histoire des
accords d’entreprise… Commentaire d’un
gréviste : « Depuis ces déclarations même
les conducteurs qui travaillent se font
agresser verbalement : le maire et toute
la clique ont jeté de l’huile sur le feu et
tout ça alors que la grève ne porte pas sur
les salaires mais sur les conditions de travail
». Résultat : pour la suite, les actions
pourraient être plus ciblées, histoire de
rendre un peu les coups. Viser des événements
« qui emmerderont les politiques »,
au moment des illuminations du 8 décembre
ou des fêtes de fi n d’année…
« On s’en fout, on assume »
En plus des journalistes et des élus, sarkozystes
et usagers mécontents font pression
pour le retour à la normale. Les médias
locaux ont largement fait la pub pour le
groupe Facebook « fuck TCL », qui aurait
compté jusqu’à 7900 membres sur la fi n
du mouvement. Suite à un appel pour une
manif anti-grève le 3 octobre, ces milliers
d’internautes aigris se sont transformés
en 150 manifestants éparpillés sur la
place Bellecour, et pas vraiment à l’aise :
on pouvait trouver pêle-mêle un élu du
MPF (parti de De Villiers) venu « défendre
les braves gens et les enfants qui ne
peuvent plus aller à l’école » ; une cinquantaine
de jeunes UMP ou de membres
de l’UNI gueulant pour un service
minimum obligatoire ; des étudiants en
école de commerce et des bourges décomplexés
fustigeant les « nantis des TCL qui
veulent empêcher ceux qui ont su garder
leur travail pendant la crise d’aller travailler
»… Une employée de maison, un
peu égarée parmi ce beau linge et tous
ces fafs, se lamente : « C’est dommage
que cela soit toujours noyauté. Quand
est-ce qu’on arrivera à se débrouiller vraiment
seuls en tant que citoyens ? » Vaste
problème, puisque le propre du citoyen
c’est d’être absolument incapable de se
débrouiller indépendamment des pouvoirs
publics, auxquels il délègue justement sa
capacité d’agir et sa souveraineté, comme
on dit. Le plus drôle c’est que ces « bons
citoyens » ont encore trouvé le moyen de
se faire embrouiller et chourrer leur banderole
par une cinquantaine de militants
anti-anti grèves, qui se sont invités « pour
voir » à ce non-événement.
Si les anti-bloqueurs ont peu mobilisé
ce samedi-là, c’est aussi parce que la
grève touchait à sa fi n. L’exaspération par
contre était bien palpable, tout au long de
la semaine précédente, parmi les gens
qui faisaient le pied de grue aux arrêts
de bus ou de tram. Au-delà du commentaire
assassin et des simples râleries, il
est arrivé que les voyageurs contrariés
versent à leur tour dans l’agitation. Et
quand les « usagers-en-colère-et-prisen-
otage » n’organisent pas des manifs
foireuses, ça donne des initiatives assez
pittoresques : bagarres avec les employés
des TCL, blocages et détournements de
tram… Ce qu’il y a de marrant alors c’est
que ce sont les jaunes, ou en tout cas les
employés qui travaillent qui s’en sont
pris plein la gueule. En plus ce type d’action,
au fi nal, désorganise encore plus
le trafi c.
Alors oui, les grèves et les luttes sociales
ne sont pas vraiment de mode, mais
même quand cette opinion un peu fl ottante
et réputée hostile prend corps (sous
les traits d’un rassemblement bidon, d’un
usager excédé, d’un employé zélé au bord
de la crise de nerf qui débarque sur un
piquet pour exiger la reprise du travail),
les grévistes l’envoient balader, parfois
avec une volée d’oeufs ou d’injures. Les
« usagers pris en otage », « on s’en fout,
on assume ». Parce qu’il y en a gros sur le
bide. Les revendications, c’est pas que du
papier, c’est même pas une vision de l’entreprise
contre une autre, un plan contre
un autre : derrière ce sont des vies qu’on
tord, qu’on cherche à étouffer encore plus
et qui se raidissent.
- San Francisco, cimetière de tramways dans les années 40
La direction de son côté a commencé à
anticiper en vue d’une reprise des hostilités
: elle s’est lancée dans des grandes
manoeuvres d’intimidation en préparant
78 dossiers de procédures disciplinaires,
à partir des rapports transmis par les
huissiers qu’elle avait dépêchés sur les
piquets et au sein même des cortèges sauvages.
Les personnes mises en cause sont
ainsi poursuivies pour « entrave », pour
des « jets d’oeufs sur des usagers », pour
avoir « tenu un-tel par la cravate » ou avoir
forcé l’entrée du siège de Keolis… Tabary
a prévenu, « nous allons agir avec discernement
et fermeté » : plusieurs salariés,
plutôt les fortes têtes et en particulier des
membres du syndicat Sud-TCL, se retrouvent
mis à pied et sous la menace d’un
licenciement pour faute.
Voilà un nouvel enjeu pour le mouvement
à venir : la levée des sanctions. Défendre
la possibilité même de la lutte aux TCL
et ailleurs… Et en guise de prologue une
manifestation de salarié-es et de soutiens
est prévue le 6 novembre à 14h, devant
le nouveau palais de justice de Lyon, histoire
de mettre la pression au moment du
procès d’un syndicaliste poursuivi pour
avoir bloqué à lui tout seul le trafic des
trams, au moment de la grève perlée de
juin.
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