Le cadre de l’exposition est « le dernier foyer dortoir à fermer ses portes dans l’agglomération », « site (…) d’un hommage aux migrants qui ont résidé ici presque 40 ans au travers d’un parcours sur les 5 sens ». Premièrement, la réussite de cette manifestation révèle le gouffre qui sépare population immigrée récente et population française « de souche » (songez à la vitalité d’une souche) : mis à part les nombreuses personnes ayant un lien direct avec ces foyers qui sont venues voir le lieu réhabilité, comment a t’on rendu possible le fait qu’il soit nécessaire d’y organiser un événement culturel pour que le public « blanc » prenne connaissance de ces lieux ? Si nous fréquentions les camarades migrant-e-s au quotidien, comme chacun-e de nos semblables, plutôt que de les croiser en tournant pudiquement la tête de l’autre côté, il nous paraîtrait nettement moins exotique de visiter les foyers qui les abritent. Pourquoi le public de Traces n’est-il jamais allé bouffer un soir chez son pote travailleur maghrébin, qui par ailleurs a bâti ton immeuble et construit ta bagnole (ce qui est par ailleurs très bien souligné Rue Rhin et Danube) ? Ainsi l’ampleur de la ségrégation est-elle soulignée par le besoin même que nous avons de ce genre d’initiatives. Avec ces foyers, ce sont les cités, les ateliers des usines, les chantiers, les lieux de production agricole, etc… que nous visiterons demain sans plus côtoyer leurs actrices et acteurs.
Paradoxalement, la qualité même de l’installation et de l’accueil confère une dimension ludique à la visite qui neutralise parfois la part de douleur et de mépris de cette histoire des migrations post-coloniales. Sans que cela vienne pourtant d’une erreur de la part des organisateurs/rices. Là aussi nous touchons à une contradiction irréductible de ce type de démarches. Cette distance émotionnelle entre les membres du public ne partageant pas cette expérience (puisque pour beaucoup d’entre elles et eux la seule migration vécue s’appelle « tourisme ») et les usagers du foyer représenté, est à la fois regrettable et inévitable. Elle caractérise le problème de l’objectivation, dans toute mise en scène patrimoniale ou muséographique (même vivante et dynamique dans ce cas là). Il existe un mécanisme très problématique dans l’esprit des visiteurs et visiteuses qui tend à rendre passé l’objet d’une telle mise en scène, alors même que cette histoire et ses suites continue de se dérouler sous nos yeux, et dans l’indifférence à peu près complète. Bizarrement et malheureusement, l’objet d’histoire, indispensable à la sensibilité et à la connaissance, exclu le sujet politique, contemporain, immédiat, brûlant (comme la préfecture un soir de fête)… Processus qui, dans le pire des cas, peut faire office de dédouanement, d’excuse, de prétexte à une bonne conscience salvatrice : on visite d’anciens foyers d’immigrés, d’ancien camps de concentration aussi… alors que la chasse aux personnes sans-papiers, au surnuméraires, elle, continue… alors que l’Etat et Bouygues construisent les camps de demain au bout de votre rue…
Dans cette perspective, il devient franchement révoltant d’imaginer monsieur le préfet, dont l’une des charges administratives n’est autre que le contrôle et la répression des migrant-e-s, ou monsieur le maire, docteur ès barbelé caméras à l’appui, et d’autres personnalités publiques, inaugurer le 17 novembre cette exposition, qui demeure d’un grand intérêt en tant que telle. Ou de constater le sponsor accordé par la république française au Forum Traces, celle-là même qui a soumis plus de 5000 jeunes révoltés, dont nombre de fils de ces travailleurs et travailleuses immigré-e-s, à des procès iniques récemment. Si le cynisme des institutions de l’Etat tuait leurs serviteurs, m’est avis que ça s’rait l’anarchie depuis belle lurette…
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