AUX ARMES ! Slogan phare des manifs grenobloises

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Ça remue dans les bahuts. Et il ne s’agit pas que d’une mode
printemps-été. Cet hiver déjà, pendant le mouvement étudiant contre
la LRU, ça partait dans les lycées. À Lyon, des lycéen.ne.s de Fays et
Récamier notamment, participaient à quelques manifs, débrayaient
joyeusement… Et déjà, se faisaient emmerder par les flics.

C’EST QUE LA LRU annonçait autre chose et on le savait déjà : la réforme du Bac Pro, pour préparer encore mieux les lycéens à un avenir docile, dans la précarité ou la soumission au patron. Ce printemps les mots d’ordre concernent les suppressions de postes. Mais il serait naïf de croire que les lycéen.ne.s défi - lent pour mieux se faire fliquer en cours, uniquement pour avoir plus de profs… Parce que de manifs sauvages en occupations, de blocages en péages gratuits, ça vit intensément aussi. De la joie à passer le printemps à faire autre chose que réviser des exams ou se faire chier en cours à regarder le soleil dehors : se rencontrer, agir, reprendre la rue, arrêter de se taire quand on sent bien qu’on se fout de notre gueule à longueur de temps.

C’est d’abord à Paris, ou plutôt en banlieue parisienne, que le mouvement prend vraiment. Début avril, dans l’académie de Créteil, puis dans les Hauts-de-Seine, et dans l’Essonne, des bahuts commencent à être bloqués. Parfois ils sont même occupés de nuit. Dans le Val d’Oise, ça s’affronte à coups de pavés contre les flics, une voiture brûle, des barricades sont montées à l’arrache. Nostalgiques de mai 68, levez le nez de vos archives poussièreuses. À Versailles c’est un Monoprix qui est pillé. En Seine-et-Marne, une voiture bélier est lancée sur les grilles d’un lycée. Des blocages de voies ferrées ou routières sont organisés un peu partout. Les affrontements avec la police prennent une dimension quasi quotidienne. Même les parents se mettent à bloquer, voire à occuper des établissements, des profs boycottent des conseils de classe.

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Enfin, tout ce petit monde, qui se bouge en banlieue, profite des journées d’action nationale pour monter aux « grandes » manifestations parisiennes. On sait à quel point les flics et leurs relais – les services d’ordre – craignent les jeunes de banlieue descendant sur Paris. Après deux manifs « débordées » (affrontements avec la police et pillages de magasins), police et syndicats ont fait en sorte de systématiquement isoler et stigmatiser ceux que l’on désigne habilement comme « casseurs », mais dont l’identification est surtout alimentée par des relents de racisme. Les 1000 à 2000 énervé.es, venus généralement en bande, sont refoulé.es à l’avant du cortège, quadrillé par les gardes mobiles, infiltré par les BACs. Plus loin, à une distance convenable, pour bien marquer que « l’on a rien à voir avec eux », le reste de la manif’ est encerclée, et protégée, à coup de gazeuses, par les gros bras de la CGT et les flics de la FIDL. Déjà pendant le CPE, ils avaient livré des camarades à la police. Même lors des dernières manif’s sur les retraites, la CGT, qui n’apprécie pas l’occupation de la Bourse du Travail par des sans-papiers, s’en est prise violemment à eux. Le 5 avril dernier, c’est le SO de la LCR qui tombait sur des camarades sans drapeaux ni banderoles, hormis celle-là : « Destruction des centres de rétention ».

La scission entre les « bons » et les « mauvais » manifestants est de plus en plus assumée. Face à un ennemi désigné – ici le casseur-dépouilleur venu des bas fonds – la majorité des lycéen.ne.s, s’est solidarisée dans le parti de l’ordre et de la police, quelque soit par ailleurs leurs pratiques, ou leur discours politique (socialistes, libertaires, ou trotskistes, tous avaient leur place au sein du cortège sécurisé). Mais à jouer ainsi sur la peur, sur le spectre de la grande dépouille des Invalides (durant le CPE), les syndicats ne font que rendre possible à nouveau sa réalisation. Quiconque se trouve banni du cortège est ainsi livré à la police nourrit son ressentiment à l’égard du reste de la manifestation. Un ressentiment qui, immanquablement, si cette scission continue d’être ainsi alimentée, finira par se retourner contre les manifestants « officiels », et ce qu’ils représentent.

Ça continue…

En Province, la mobilisation lycéenne prend réellement forme autour des vacances de Pâques. Comme si la nécessité de continuer et de reprendre la lutte pendant que Paris était en vacances s’était faite sentir. Tout cela aboutit à un mouvement éclaté et diffus, depuis la LRU (premières AG propres au lycéen. ne.s) jusqu’au mois de mai (voire plus si affinités).

À Lyon, par exemple, le mouvement est assez dispersé et étalé dans le temps. Des premiers débrayages de lycées fi n novembre dernier à la dernière manif sauvage du 22 mai, du temps a passé… et la difficulté à se coordonner s’est imposée comme une des faiblesses importantes du mouvement. Les lycéen.ne.s ne sont pas très nombreux et nombreuses en manif, malgré les blocages de différents lycées et une vraie énergie, une envie de faire des choses, même à peu. Ça donne un blocage de la gare Perrache le 15 mai, une manif sauvage durement réprimée le 22. Il faut dire qu’à Lyon, la police cadenasse la situation et que la tradition n’est pas vraiment aux débordements. La BAC est omniprésente, et les manifs sortent rarement du parcours consciencieusement déposé en préfecture. Lyon, c’est aussi le siège d’Alix Nicolet, présidente de la FIDL. Des gros bras de Paris viendront même parader à Lyon, tapant lors d’une manif un lycéen qui ressemblait un peu trop à un casseur à leur goût. Conséquence : lors d’une AG de lycéen.ne.s qui se tient à la fac des quais après une manif, ça s’engueule avec la FIDL, et les lycéen.ne.s décident de sortir dans la cour faire une AG tranquille sans ces flics médiatiques. La FIDL est prévenue…

Toujours les mêmes ennemis

La FIDL et l’UNL, invisibles au début du mouvement, tentent donc de s’y glisser au fur et à mesure, de gérer les manifestations, de s’imposer comme porte-paroles, pour mieux discuter raisonnablement de l’avenir des jeunes et de l’éducation avec Darcos. Ils vont négocier, comme d’hab’, avec le gouvernement ; et alors que ces discussions entre « partenaires » ne donnent évidemment rien (aucun retour sur l’annonce du nombre de suppressions de postes par exemple), Alix Nicolet, FIDL à son maître, se permet le 9 mai de décréter la fi n de la mobilisation, se félicitant encore des avancées obtenues (lesquelles ? !).

Évidemment, la FIDL ne dirigeant quasiment rien sur le terrain des luttes, les manifs continuent, voire s’intensifient par endroits. À Lyon par exemple, les manifestant.e.s sont de plus en plus nombreuses au cours du mois de mai. Les lycéen.ne.s participent aux mornes journées pour la défense de la fonction publique, ou de l’éducation. Ils et elles y mettent de la vie, à côté des sonos pourries de la CGT.

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Et l’UNL dans tout ça ? Elle passe à la vitesse supérieure, ma ptite dame, et ça rigole pas : « nous exigeons d’être intégrés à ces négociations » (communiqué du 22 mai).

Problème : les médias s’intéressent plus au moindre communiqué de l’UNL (déclarant le 22 mai : « les lycéens veulent un dialogue constructif » ) qu’aux cris de manifestants sauvages : « Sarko, fripouille, le peuple aura tes couilles » (le 20 mars à Lyon). Et pourtant la lutte continue, souvent en s’en prenant plein la gueule (arrestations, passages à tabac, gazages et tirs de flashballs) dans l’indifférence générale. La répression est d’ailleurs d’autant plus forte qu’elle se fait dans le silence médiatique…

Le début d’autre chose

La trahison (attendue) des syndicats, la pression des profs (même ceux et celles qui ont fait grève et soutiennent, en théorie, le mouvement) à l’approche des examens, les sanctions administratives (interdiction de se réunir dans les bahuts, exclusions…), la répression (des dizaines d’interpellations seulement à Paris, des procès avec amendes considérables qui commencent à tomber à Grenoble, la situation à Lyon…), l’annonce un peu partout dans les médias que le mouvement est terminé ; tout semble conduire à l’extinction des feux de révolte allumés un peu partout en France.

Ceci dit, il y a peut-être un endroit où les coups redoublés des flics, des syndicats et de la presse n’ont pas eu l’effet escompté : à Grenoble. La police a eu beau frapper, gazer et interpeller, elle a reçu une réponse à la hauteur ; et les lycéen.ne.s sont de plus en plus nombreux et nombreuses à s’équiper pour un affrontement désormais incontournable. La presse régionale a eu beau, là encore, alimenter le fantasme de casseurs infiltrés, ça n’aura, ici, guère suffi à fabriquer une scission au sein des manifestant.e.s. Et c’est à partir du retrait de la FIDL du mouvement (le 9 mai), qu’ont eu lieu les manifestations les plus massives, les plus jouissives et les plus sauvages.

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Cette moindre vulnérabilité du mouvement grenoblois aux coups de ses ennemis a certainement ses explications. On notera au minimum que, là-bas, les lycéen.ne.s ont su se coordonner de manière autonome, pour pouvoir mener et poursuivre la lutte avec ou sans les syndicats. De même, face à la police, les pratiques d’autodéfense se trouvent relayées à une vitesse fulgurante. Le travail de l’antirepression, qui distribue conseils et matériel défensif en manif, semble porter ses fruits. Qui viendrait sans un masque et un citron ? C’est un minimum. Cette organisation matérielle, et surtout, l’acceptation du rapport de force avec les flics et des possibilités de peser dessus, permettent de sortir du cadre traditionnel des manifs-randonnées qui ne dérangent personne et d’affirmer une force réelle. Bien sûr, certains argueront que tout cela n’est qu’un jeu puéril, que nous sommes face à des adolescents qui jouent au chat et à la souris, au gendarme et au voleur. Ceux-là tentent de se rassurer. Car des jeunes, âgés de 16 ou 18 ans, qui, pour leurs premières manifestations, déploient un tel niveau d’organisation, et font preuve d’une telle détermination à mettre en échec la police, méritent plus d’être craints que d’être ainsi moqués.

Le summum de cette particularité grenobloise a certainement été atteint le 22 mai, journée pendant laquelle les contradictions qui ont miné le mouvement partout ailleurs (police-manifestants, casseurs-SO, prof-lycéens, syndiqués-non-syndiqués) ont commencé, enfin, à être dépassées.

Jeudi 22 mai à Grenoble

C’est la grande kermesse syndicale autour de la question des retraites. Les lycéen.ne.s en lutte depuis près de deux mois se sont invité.e.s. Tout est sous contrôle, on les place, bien encadrés, au milieu du cortège. On finira parc Mistral, où l’on déballera les merguez.

On a préalablement communiqué sur les manipulateurs-casseurs, « bien connus des services de police » (la FSU). Tout est sous contrôle. Sauf que. Une partie du cortège a décidé de ne pas aller là où on leur disait d’aller. Ils, elles, ont préféré quitter le défilé pour partir là où ça se passe toujours, là où irrémédiablement on se confronte avec la police, avant de partir en manif’ sauvage.

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Affrontements place Verdun. Affrontements place Félix Poulat. « Quand les manifestations tournent à l’émeute », le Dauphiné Libéré dénonce à nouveau les « militants armés » (aussi qualifiés d’anarchistes), ainsi que les « casseurs » (sous-entendu des jeunes venus de banlieue) qui agressent les policiers à l’acide.

Quiconque était là, en face des flics et des journalistes, sait tout de ce mensonge. Il, elle, sait l’hétérogénéité qui s’est exprimée face aux forces de l’ordre. Il, elle, sait que lycéens, casseurs, anarchistes, trentenaires, profs, syndiqués, autonomes, toutes ces catégories, toutes ces oppositions alimentées allègrement par certains, ne voulaient plus dire grand chose au milieu des gazs lacrymogènes.

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Alors que les quelques 2000 personnes parties en manif’ sauvage, refluaient une seconde fois place Verdun, après un gazage d’ampleur, est arrivé le reste du cortège « officiel ». Ces militants, avec leurs drapeaux, n’étaient pas venus là pour faire tampon avec les forces de l’ordre. Ils étaient là pour que les flics ne puissent pas tout se permettre. Les flics se sont tout permis, ils ont gazé, et regazé… mais les drapeaux ne se sont pas enfuis. De par leur présence active ils rompaient avec l’attitude de dissociation de la FSU, offrant leur cortège comme refuge, renvoyant des lacrymos, donnant des fumigènes, proposant du citron. Ils ont eu l’honnêteté de ne pas rejoindre le parti de l’ordre.

Alors les flics ont reçu la réponse qu’ils méritaient. Ça reculait de moins en moins, et les pierres ont volé sur les gardes mobiles et sur les BACs, qui visaient la tête à coups de flashballs. ça s’organisait pour récupérer des projectiles, pour déplacer des barrières, pour soigner les yeux, pour informer sur le positionnement des flics, pour ne plus être humiliés. Deux heures plus tard ça s’est dispersé, jusqu’à la prochaine.

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  • Le 24 janvier 2010 à 09:59, par colporteur

    Dans l’ordre démocratique-policier qui est le nôtre, les communautés humaines sont rassemblées sous le commandement de ceux qui ont des titres à commander, titres prouvés par le fait qu’ils commandent. La politique est précisément la rupture de cet ordre-là. L’Instant d’après survient sur les traces immédiates de cette rupture.

    C’est l’instant décisif où se décide si, une fois de plus, elle va aboutir au désaccord entre le dire et le faire, à l’élargissement de la distance entre le fantasme et le réel, ou si au contraire elle va permettre l’émergence de nouvelles formes de vie.

    Il ne s’agit pas de proposer de nouvelles théories politiques, encore moins des systèmes d’organisation. Il s’agit plutôt de montrer comment sortir des oasis, de ces refuges dans notre fuite, que sont aussi bien la création d’une œuvre, la « réalisation de soi », l’action militante ou la vie d’une collectivité autonome. Car « beaucoup de ceux qui ont regardé les événements de novembre 2005 ont d’abord éprouvé l’absence d’un espace politique à la hauteur de ces événements. Ceux-là avaient déjà l’habitude de ne rien attendre du militantisme et s’étaient sans doute pour la plupart éloignés de l’étouffement radicaliste... C’est à eux, justement, les êtres les plus quelconques, plus ou moins perdus dans leurs études et leurs métiers, plus ou moins empêtrés dans les restes d’un État-providence qui tournent en hypercontrôle sélectif, c’est à eux qu’il revient de faire en sorte que de l’imprévisible, et donc du réellement menaçant, ait lieu ».

    En donnant un sens nouveau à des notions anciennes - l’éthique, le messianisme, le jeu - en convoquant là ou elles sont peu attendues de grandes figures philosophiques - Kierkegaard, Wittgenstein - Bernard Aspe explore le sable du désert autour des oasis où nous attendons l’instant d’après. « Sur le sable, il y a aussi des marques laissées par d’autres. Ambivalence des empreintes : elles peuvent nous livrer à la police, mais elles sont aussi la preuve que nous ne sommes pas seuls. »

    Sommaire :
    Le sable du désert
    
Jeux(I)

    Élément éthique

    Véridictions
    
Jeux(II)
    
Empreintes
    
Notes

    L’instant d’après. Projectiles pour une politique à l’état naissant, de Bernard Aspe, est paru en 2006 aux éditions La fabrique.

    Une rencontre avec Bernard Aspe aura lieu lors de l’université ouverte 2009-2010, à la coordination des intermittents et précaires (idf)

  • Le 23 janvier 2010 à 19:25

    Une brochure, « Aux armes ! » - Le mouvement lycéen en guerre contre l’État (Grenoble - Printemps 2008), a été éditée en mai 2009 par Zanzara athée.

    Elle revient de manière assez complète (récits de manifs et d’occups de lycées, tracts, analyses, photos, etc.) sur le mouvement grenoblois du printemps 2008.

    Brochure à découvrir dans sa totalité, notamment en PDF téléchargeable, ici :
    http://infokiosques.net/spip.php?article700

    Bonne lecture à tou-te-s !

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