Cette carte est actuelle, pour autant nous sommes les héritier.e.s du travail de veille effectué par d’autres. En nous inspirant de ce qu’a déjà fait la Horde et les Kommanches, cette cartographie propose une vision d’ensemble sur la nébuleuse nationaliste. Nous avons surtout essayé de raconter les liens qui existent entre les diffèrents courants, groupes et personnalités.
Les « Terres froides » sont en train de devenir des « Terres brunes »…
Dans le Nord-Isère, la conquête électorale du FN/RN sur les 6e, 10e et 8e circonscriptions, souligne une longue implantation, l’articulation avec plusieurs réseaux militants (catholiques intégristes, appui sur la Coordination Rurale) et des connexions avec certains groupes plus violents et agressifs.
Ces dynamiques politiques s’articulent à des logiques spatiales et sociales : l’attractivité des groupuscules d’extrême droite lyonnais, des campagnes toujours marquées par de vieux relents pétainistes, poujadistes et nostalgiques des actions violentes du CIDUNATI (Confédération Intersyndicale de Défense et d’Union Nationale des Travailleurs Indépendants) et une périurbanisation galopante.
La conquête progressive du Nord-Isère
Ce territoire est marqué par la présence d’anciens députés « droitards » : Jacques Remiller à Vienne (2002-2012) et Alain Moyne-Bressand à Crémieu (1988-2017), opposants farouches au « mariage pour tous » et proches de Civitas.
Autre notable, Gérard Dezempte, maire de Charvieu-Chavagneux depuis 1983 (RPR, UMP, LR, FN, Reconquête !), qui dès son élection faisait détruire la mosqué de la ville, s’opposait à tout mariage de couple « mixte », et multiplie les dérapages racistes depuis 40 ans.
Les nouveaux candidats du FN/RN ont ainsi trouvé un terrain favorable et un électorat disponible. Alors que Robert Arlaud enregistre 10 % des voix aux municipales à Bourgoin-Jallieu en 2014, Alain Breuil obtiendra 36 % des voix aux législatives en 2017.
Les militants locaux sont alors mis de côté et on voit apparaître des petits intrigants qui se cherchent une place au soleil.
En 2022, Alexis Jolly, le chef du RN dans le département, conseiller municipal d’Échirolles et régional, se choisit la 6e circonscription, la plus gagnable. Il est élu avec 51% des voix et se fait réélire en 2024 avec 62 % des voix.
En 2024, le nouveau chef départemental du RN, Thierry Perez, se fait catapulter et parachuter dans la 10e, et gagne la députation avec 55 % des voix. Dans la 8e, autour de Vienne, c’est Hanane Mansouri, une jeune ciottiste, qui obtient 54 % des voix.
Tous les trois ont déjà un engagement politique sur Grenoble.
(1) A. Jolly : conseiller municipal à Échirolles, conseiller régional.
(2) T. Perez : conseiller municipal à Versailles, candidat dans le Haute Loire, parachuté pour contrôler la fédération RN de l’Isère.
(3) H. Mansouri : ex-militante de l’UNI, candidate LR à Grenoble, attachée parlementaire d’une sénatrice des Pyrénées Orientales.
Tous les trois ont des positions radicales.
Jolly voulait en 2014 « tourner le dos à 70 ans de communisme qui ont fait tant de mal à la commune », alors que le mur de Berlin est tombé en 1989.
Pérez est un adepte d’« une politique nataliste réservée aux familles françaises ». Il voulait supprimer la loi Taubira (sur le mariage des couples du même sexe). Il propose que l’immigration en France soit limitée à 10 000 personnes par an et réclame aussi une loi sur le « racisme anti-blanc ».
Quant à Mansouri, persuadée qu’« il y a une menace de l’extrême gauche ultra-violente et communautariste qui met la France en danger », elle rejoint Ciotti et le RN.
Enfin, tous les trois sont entourés de nouveaux collaborateurs venant de l’agglomération grenobloise, un moyen d’éviter que les militants locaux ne versent trop souvent dans les blagues racistes sur les réseaux sociaux ou des prises de position trop complotistes. Les autres partis classés à l’extrême-droite n’arrivent pas à percer dans le Nord-Isère.
« Debout la France » (le parti de Dupont-Aignan),
« Les Patriotes » (le parti de Philippot),
l’« Union pour la République » (le parti d’Asselineau) ont des résultats électoraux minables.
La tentative de Reconquête de s’implanter a fait flop, malgré la complicité de Gérard Dezempte.
En 2022, Amélie Jullien, (6e circo), Stéphane Blanchon, (10e circo ), Thibaut Monnier (8e circo) n’ont pas dépassé les 5 %.
Au bilan, Reconquête est en crise : pas de candidat en 2024.
Certains suivent Marion Maréchal dans son nouveau parti, d’autres se remettent à lorgner sur le RN.
L’influence discrète des milieux catholiques conservateurs
La mobilisation autour de « La Manif Pour Tous » a largement touché les villes du Nord-Isère et a stimulé un nouvel engagement des catholiques conservateurs sur les questions dites « de société ». Par la suite, on les retrouve dans les mobilisations contre la loi sur la PMA (Procréation Médicale Assistée) en 2021, ou sur la loi en discussion sur la fin de vie (2024). Ces réseaux se mobilisent grâce à l’action des AFC (Associations Familiales Catholiques)(4), celle de Bourgoin-Jallieu (AFC Bas-Dauphiné) et de Vienne (AFC Vienne). Ils peuvent compter sur l’appui de la maison-mère des Petites Sœurs à Bourgoin-Jallieu, qui encourage la « maternité », Petites Sœurs(5) d’ailleurs invitées par l’Alliance Vita lors de leur dernières journées nationales en 2024. Ces réseaux restent de farouches opposants à la loiVeil sur l’avortement qu’ils verraient bien abroger. Stéphane Chauzon, membre de l’AFC Bas-Dauphiné critiquait en 2016 le projet du gouvernement « de créer un délit d’entrave numérique à l’IVG contre les sites d’informations à tendance pro-vie ».
Une association départementale, Cycloshow-XY, soutenue par les AFC locales intervient auprès des scolaires et des groupes de jeunes. L’objectif est de « détourner » les filles d’un éventuel recours à l’avortement.
L’encadrement de la jeunesse est donc l’une de leurs priorités que ce soit avec Les Scouts d’Europe(6) présents à Bourgoin-Jallieu, Vienne, Chabons et Saint-Chef ou l’inscription des enfants dans des écoles catholiques qui pullulent dans le Nord-Isère. Outre la recherche d’une ségrégation sociale (on ne se mélange pas avec la plèbe !), on perçoit la volonté d’une éducation rigoriste.
L’une des particularités des catholiques intégristes est par exemple de confier leurs enfants à des écoles hors contrat (7), comme Sainte Philomène à St-Marcel-Bel-Accueil où les enfants portent un uniforme, à l’école Tom Morel à Saint Chef où on lève le drapeau français tous les matins.
Ces milieux ont bien sûr des interférences avec les politiques. Une militante de l’AFC Bas-Dauphiné, Dominique Cadi, pharmacienne retraitée, est aussi conseillère municipale de Bourgoin-Jallieu sur la liste Chriqui (Les Républicains). Une personne qui avait écouté ses interventions à la radio commente ses positions : « Elle est clairement très très très à droite ! Des propos très limites ! Honte d’avoir une personne clivante de ce genre sur votre liste ».
Enfin la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (8) s’est offerte l’église Saint-Barthélémy à Saint-Chef en 2001. On y célèbre régulièrement des messes en latin.
L’influence pas discrète de la Coordination Rurale
La Coordination Rurale, un syndicat agricole, est fréquemment classée très à droite ou à l’extrême-droite. Dans de nombreux départements, elle a des accointances avec le FN/RN, même si elle veut se présenter comme « apolitique ». Activiste, elle combat toutes mesures écologiques et refuse tout contrôle administratif dans le monde agricole.
Pour rappel, en 2004, la Coordination Rurale de Dordogne apporte son soutien à un agriculteur qui vient d’abattre deux inspecteurs du travail enquêtant sur les conditions de travail de ses saisonniers migrants. Le syndicat placarde localement des affiches sur les bords de route : « Non à l’inquisition ! » Plus récemment, ils se sont manifestés par desmenaces et une présence agressive contre les militant.e.s anti-bassines dans le Sud-Ouest.
Lors de la mobilisation de 2024, Alexis Jolly a organisé un petit cortège de cinq tracteurs pour sillonner la circonscription et appeler à voter pour le RN. La tentative a fait flop mais elle est révélatrice de certaines connexions dans le milieu paysan.
A Seyssuel (9), un ancien président de la CR38, Jean-Louis Ogier, invitait en 2017 Marion Maréchal à visiter son exploitation. Et, pas très loin, dans la 4e circo de la Drôme, Thierry Sénéclauze, le suppléant du député Thibault Monnier ( ancien candidat Reconquête ! de l’Isère ), est membre du FN/RN mais aussi de la Coordination Rurale.
Des mouvances plus violentes
À côté de ces organisations et associations existe aussi dans le Nord-Isère une mouvance beaucoup plus violente.
En 2008, un groupuscule néonazi « Nomad 88 » qui sévit dans la région parisienne cherche à recruter des adhérents à (10) La Tour du Pin. Le 8 correspond à la lettre H, et le 88 signifie bien évidemment « Heil Hitler ! ». Le leader local est un jeune de Ruy-Monceau qui se fait appeler l’ « Ange noir ». Il est fasciné par la tuerie de Columbine aux USA. Le groupe envisage de procéder à un massacre dans un supermarché de la région.
En 2016, Florian-Christophe Chagnon tente de faire brûler la mosquée de (11) La Tour du Pin avec ses amis du groupuscule « Lorraine Nationaliste ». Il est condamné à 18 mois de prison. Pour l’anecdote, il était aussi à l’époque conseiller municipal d’Échirolles, élu sur la liste d’A. Jolly qui refusa systématiquement de commenter cette situation.
En 2008, un premier concert néonazi est organisé dans le département. Renaud Mannheim, un hooligan lyonnais, dupe le maire de Chozeau.
Membre de Lyon Dissident (dissout en 2011), de Troisième Voie (dissout en 2013), de Blood & Honour (dissout en 2019), Mannheim est le chanteur de Match Retour, un groupe de « Rock Against Communism ». Un style de musique qui mélange du rock et de l’anti-communisme, l’apologie du IIIe Reich, des paroles antisémites et/ou du suprémacisme blanc.
Entre 2008 et 2024, il organise des concerts nazis qui rassemblent de 150 à 400 personnes : Chozeau (2008 et 2009), La Flachères (2013), Succieu (2014), Torchefelon (2016), St Quentin-Fallavier (2023), Vézeronce-Curtin (2024).(12)
La presse a rendu compte de ces concerts, mais la police semble ignorer qu’il existe un article 431-22 du Code pénal qui érige en délit et sanctionne d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende le fait de proposer à la vente un uniforme, un insigne ou un emblème lié au nazisme ou à d’autres auteurs de crimes contre l’humanité.
Alors que commence le procès des assistants d’eurodéputés du Rassemblement national le lundi 30/09/2024, Jean-Marie Le Pen a été filmé, (28/09/2024) à son domicile de Rueil-Malmaison en compagnie de musiciens (du groupe de rock néonazi Match retour dont R. Mannheim) qui lui ont rendu un hommage musical biographique.
Encore lui !
En 2017, un groupe néonazi basé à Bourgoin-Jallieu, « Bergusia Fascist Crew », tente de s’implanter. Il gravite essentiellement autour du Bastion Social de Lyon dissout en 2019. En 2024, un nouveau groupe « Bourgoin Defenders » essaie de réunir hooligans et néonazis.
Enfin, l’influence lyonnaise est bien réelle.
Damien Rieu (FNJ, Ex-Génération Identitaire, SOS Chrétiens d’Orient, attaché parlementaire FN/RN, Reconquête !), plusieurs fois condamné utilise les réseaux sociaux pourmenacer ses adversaires. Il pratique le cyber-harcèlement à grande échelle, contre un coiffeur de Bourgoin-Jallieu qui avait nommé son local Hair’Dogan, ou contre les manifestants qui s’opposent à H. Mansouri à Vienne.
En conclusion,
pas de fascistes dans nos quartiers,
pas de fascistes dans nos campagnes !
JLAG - Observatoire de lutte contre l’extrême droite.
"Inspiré par l’exploit nous recherchons et nous passons à l’action" JLAG, 2022.
Implanté à Grenoble et alentours, de l’Ardèche à la Haute Savoie, de l’Auvergne aux Hautes Alpes.
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