Décroissance : difficultés à convaincre

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À l’énoncé des mesures à prendre pour entrer dans la décroissance, la majorité
de nos concitoyens semble présenter de fortes résistances. À l’évidence, ces
préceptes passent mal. Ils suscitent souvent le déni, voire la violence. Pourquoi cette
animosité à l’égard de l’idée même de décroissance alors que, selon ses partisans,
tout nous pousse à l’adopter ? Essayons d’explorer certains traits pouvant être à
l’origine de ce refus a priori.

Matraquage d’un modèle

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Il semble difficile de se remettre en cause lorsqu’on a été élevé au biberon médiatico-
publicitaire de la société de surco n s o m m a t i o n . Chaque jour, sur toute la surface du
globe, les médias assènent des images qui présentent le mode de vie du consommateur total
comme étant l’idéal, dénigrant subrepticement les traditions locales et les modes de vie agraires. Le message sous-jacent distille des représentations du mode de vie urbain comme
avancé, opposé à une existence agraire arriérée. Il diffuse l’idée que les importations
valent mieux que ce qui est produit localement, que consommer les mêmes produits que
telle ou telle célébrité mène à une distinction sociale avantageuse et, à terme, au bonheur.

Il est intéressant de constater que les régions dont il est question dans la littérature sur le développement sont présentées comme retirées, pauvres et primitives, alors que les
brochures touristiques les présentent comme idylliques, paisibles et belles. Des millions de citadins vont dépenser une bonne partie de leur salaire pour aller passer une semaine
ou deux dans ces “trous perdus primitifs”. Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que les problèmes ne se posent pas en ces termes pour la majorité des habitants de notre planète :
80% des humains vivent en effet sans automobile, sans réfrigérateur, ni téléphone. Or, si c’était le cas, la planète serait dans un état encore bien plus critique. Notre mode de vie est intenable.
Nous devons donc abandonner notre mentalité d’habitants de pays riches, notre propension à vouloir diffuser notre modèle partout, sous couvert d’humanisme. Même si
les médias et les politiciens, surfant sur la “tendance”, nous parlent de plus en plus d’écologie
et de développement durable, le niveau de consommation qu’ils soutiennent par leurs
discours et par leurs politiques de “croissance pour la croissance” reste la cause principale de
la dégradation environnementale et psychique. On croit généralement que l’époque
colonialiste fait partie du passé. En réalité, le “développement”, “l’ajustement structurel” et
le “libre-échange” ne sont rien d’autre que des déguisements de plus, pour le même procédé
d’exploitation. Le système industriel s’efforce de réduire toute économie locale, régionale et nationale à une seule et unique économie mondiale, à direction unique et basée sur le développement croissant du commerce.

La marchandisation du monde apprend a occulter les “biens” non économiques, ceux dont on ne peut jouir isolément, comme les services d’assistance et de soins aux personnes “non productives”, mais aussi les services culturels, artistiques et spirituels. Cette dynamique stigmatise ainsi tout groupe cherchant à échapper à sa logique unilatérale. En outre, la recherche spatiale a ouvert le chemin au fantasme de coloniser une autre planète. Une objectivation de notre planète, telle une gigantesque poubelle, s’en suit fatalement.

Libéralisme existentiel

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Le système capitaliste a réalisé le tour de force d’être parvenu à créer une solidarité forte entre développement économique et développement personnel. On admet désormais
comme naturel un rapport au monde fondé sur l’idée que chacun a sa vie, que celle-ci consiste en une série de choix, que chacun se définit par un ensemble de qualités qui font de soi un être unique et irremplaçable, que chacun est un moi-je parmi d’autres moi-je. Les
ouvrages si populaires qui nous promettent de s’épanouir, de se développer, de se retrouver soi-même, de garder la ligne, grâce à telle ou telle méthode, font sans doute beaucoup plus pour l’enracinement des catégories mentales nécessaires au capitalisme que les ouvrages de théoriciens néo-libéraux. Les magazines féminins font fureur, le “coach” est un métier
d’avenir, les dopants légaux ou non sont un marché porteur.

L’individu se vit de plus en plus, comme un capital à valoriser, un entrepreneur de soi, un propriétaire de facultés à investir. L’individu moyen ne se construit pas, ne se cultive pas mais
il ajoute, il croît, il augmente. L’individu consommateur est avant tout un consommateur de soi demandant un retour sur investissement. Ses expériences doivent être utiles, orientées et contrôlées. Proposer à cet individu la décroissance peut dès lors être vécu comme une
amputation de soi, un pavé dans la mare de Narcisse, une privation d’être.

Problèmes de vocabulaire

Le choix du vocabulaire est capital pour être entendu. Il a beaucoup été reproché au mot décroissance d’être connoté négativement. Dans une culture marchande obligeant à
la positivité constante, ce “mot-obtus” destiné à décoloniser l’imaginaire ne peut qu’être vécu comme une régression. Le slogan “avec Carrefour je positive” faisant écho à la “positive attitude” de Lorie constituent des illustrations cinglantes de ceci. Les partisans de la
décroissance sont dès lors bien vite qualifiés d’alarmistes, d’oiseaux de malheur, de déclinologues, face à la représentation “positive” d’un culte de la toute-puissance et de la foi en un monde sans limite.

Un autre point de vocabulaire important est l’opposition réifiée entre “discours rationnels” et “fictions utopiques”. Ceux qui plaident pour une consommation moins matérialiste sont souvent présentés comme des doux rêveurs, des ascètes hors réel qui essayent de
donner une orientation plus spirituelle à la vie quotidienne. Mais cette vision est à différents égards trompeuse car le discours de la décroissance ne s’oppose pas tant à des propos “rationnels”, mais bien à des fictions, à des fantasmes. Il y a toute une religiosité du Marché,
avec sa liturgie publicitaire, ses prêtres économistes, ses temples de la consommation que sont les centres commerciaux etc. Prôner la décroissance constitue dès lors une
véritable hérésie.

Le concept de décroissance est un contre-pied destiné, dans un premier temps, à briser "l’idéologie de croissance”, à penser à rebours. Ce mot contient la charge symbolique
nécessaire pour décloisonner l’enfermement psychique construit par une société de consommation asphyxiante. Non qu’il faille revenir à un passé injustement idéalisé,
tenter de déconstruire les thèses adverses, afin de laisser de la place à d’autres. On ne peut combattre des mythes qu’avec d’autres mythes. Tous les mouvements d’idées ont eu besoin de rompre avec le discours des autres, quitte à apparaître comme seulement négatifs.
Car comment penser avec la logique de celui que l’on veut combattre ?

Nicolas Zurstrassen

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  • Le 19 décembre 2007 à 01:31, par Mat

    A l’auteur de l’article :
    Je trouve que tes arguments sont basés sur des stéréotypes. C’est un discours binaire. D’un côté, il y’aurait les gens comme toi et de l’autre les narcissiques, consommateurs qui passe leurs journées dans les « temples de la consommation ».
    La majorité des gens sont intérieurement beaucoup plus riche que ça !

    J’ai l’impression que tu ne perçois ton fanstasme du monde en devenir qu’à une échelle très restreinte. Est-ce que cela n’est pas un peu égoiste, et donc en contradiction avec toi-même ?

    Enfin, bref, tu écris très bien, mais tu ne fais que servir un discours totalement bateau qui n’apporte rien d’intéressant et surtout rien de constructif. C’est ça le problème avec les « rebelles ».

  • Le 14 octobre 2007 à 10:08, par robert

    certes , tu dis beaucoup de chose qui contribue à la méfiance vis à vis de la decroissance, et les réponse que vous recevez montre les limites de ton argumentations.
    Mais il me semble que le principale reproche que l’on peut faire à la decroissance, outre qu’elle risque d’étre une tarte à la créme comme la mondialisation,c"est de pas avoir un projet politique global. La simplicité volontaire, et d’autres pratiques individuels ne suffisent pas.Il doit passer par une redistribution des richesses entre riche et pauvre, entre pays riche et pauvre, une réduction massive de l’activité humaine , donc du temps de travail, un controle stict de la démographie, et bien d’autres choses.
    Finalement une société alternative, qu’on appelera comme on veut communiste, socialiste, ou autre, ou les travailleurs décideront de produire eux même pour qui , comment , pourquoi.
    Dans la decroissance, et ailleurs, il y a des groupes qui on une vision trop nostalgique de la société, une vision religieuse, baba cool, néo ruraux....il ne sont pas tourner vers l’avenir, il ne propose pas vraiment de projet politique transformateur.Robert

  • Le 1er octobre 2007 à 03:07

    bien sur la réflexion est importante mais...
    ouf ton message fait du bien

    quand on est un bleu, par où on commence ?

  • Le 27 septembre 2007 à 23:23

    Plutôt que de penser en consom’acteur simple négatif du consommateur fonctionnant sur la même échelle, ce que sont les décroissants, il semble plus offensif de croître en autogestion de productions alimentant des circuits de distribution gratuite. Contre la croissance du capitalisme et sa décroissance misérabiliste, une autre croissance est possible. Quitter le monde du salariat, se regrouper autour de projets de production, surtout pas de militantisme de lutte, ni d’activisme guerrier, ça ne fait qu’user nos forces dans des actions inutiles. Se regrouper, produire, se redistribuer nos productions, prospérer hors du système marchand. Se cultiver, ouvrir des écoles autogérées, des universités populaires, des centres d’autodidactie, améliorer qualitativement nos conditions de vie, sortir de la survie présentée souvent par les limitantEs organiséEs ou non comme réponse au système marchand, réaliser immédiatement la vie.

    PS : d’autres ont développé à propos de l’altercroissance, pour ma part celle-ci semble passer nécessairement par des pratiques anti-hiérarchistes et anti-chaos.

  • Le 26 septembre 2007 à 12:38

    Je ne trouve pas...Pour ma part, je considère que critique et construction vont de pair. Il nous faut déceler les mécanismes qui nous asservissent sans pour auton que l’ON nous foute au pied du mur avec un classique « mais qu’est-ce que vous proposez »

  • Le 25 septembre 2007 à 11:58

    Cet article ne m’a pas convaincu... Il s’agit d’un pamphlet contre les modes de fonctionnements actuels, mais il n’y absolument aucune argumentation en faveur du changement.

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