Bonjour Sophie, bon, le titre fait choc, mais comme ça fait dix mois que ça dure, et que tu ne peux même pas mettre les pieds dans ta BU préférée pour y emprunter des livres depuis tout ce temps, on va prendre le temps de te poser les questions une par une, hein.
Donc commençons par les présentations : comment es-tu arrivée à Lyon 2 ?
Eh bien comme je vois que tu es en train de compter discrètement mes cheveux blancs sur mon crâne pendant qu’on cause, je précise que ce ne sont pas mes premières études : un bac+5, pour moi, c’était même pas imaginable juste après le bac !
Tout ce que je vais décrire là, d’ailleurs, je précise que ce n’est pas pour apitoyer sur « ma » vie, mais pour témoigner sur quel(s) type(s) de trajectoire(s) sociale(s) peuvent mener à être virée comme une malpropre de son université en ce moment.
Je suis partie de chez mes parents à 18 ans, courant 1994, parce que chez eux c’était très violent envers moi, mais comme ils étaient bien intégrés socialement, personne n’a rien vu ni compris … Donc j’ai du me débrouiller seule pour partir. Je n’ai pas eu droit non plus aux bourses sur critères sociaux : j’étais censée bénéficier des revenus de ces parents, bien sûr !
Je suis rentrée en cursus à Lyon 1, où j’ai obtenu, à l’époque, une licence de maths, qui a constitué mon sésame vers des boulots payés au-dessus du SMIC horaire, puis vers la réussite d’un concours de la fonction publique. Mais durant toutes ces années d’études, j’étais dans une situation matérielle très éprouvante, et sans aucun filet de sécurité (pas possible dans mon cas de « retourner chez papa maman »).
Après toutes ces années de dèche et de galère, je suis donc fonctionnaire depuis 2003. Mon rêve dans la vie, étrangement, est alors de faire des études sans avoir les pétoches du lendemain, ni devoir penser à des débouchés professionnels immédiats. J’ai donc pris à partir de 2006 un congé formation rémunéré à mi-temps pour effectuer des études en anthropologie, à Lyon 2.
C’est ainsi qu’en juin 2010, j’obtiens mon master anthropologie mention très bien, avec 18/20 à mon mémoire de recherche, ce qui était assez facile je trouve, en bénéficiant d’un mi-temps payé pour travailler sereinement mes cours, par contraste avec mes premières études où j’étais tout le temps dans des états de stress pas possibles dus à ma précarité matérielle catastrophique. Pour moi le stress des examens, pendant mes premières études, tu vois, c’était : « si je rate, je vais redoubler, et je vais avoir un an en plus à galérer, peut-être perdre mon appart et être à la rue ». Déjà, ça faisait une année de droits d’inscription en plus à financer, si je redoublais … et même si c’était moins cher que maintenant, c’était une somme énorme vu mes moyens concrets (n’étant pas boursière, je devais aussi payer mon inscription, en plus de n’avoir aucun revenu mensuel assuré - concrètement, je "vivais" alors avec bien moins que le montant du RMI).
Ces résultats de 2010 me permettent, là, de postuler à des financements de thèse, attribués sur critères de mérite.
Et c’est là que tes ennuis commencent ? Peux-tu nous expliquer (brièvement) ce qui s’est passé, et à ton avis pourquoi tu n’es pas en thèse, malgré ces résultats brillants, et, pis, pourquoi au final, tu es interdite d’accès à tous les campus de Lyon 2, avec une plainte pénale sur le dos ?
C’est là que mes ennuis commencent pour mon entrée en thèse, oui.
Je précise qu’il n’y a pas que la plainte pénale : il y a eu aussi, simultanément, fin décembre 2010, une lettre au maire de Lyon de la part du président de Lyon 2, lui suggérant d’user de ses pouvoirs pour me faire hospitaliser d’office dans un HP, après m’avoir présentée comme « dangereuse pour moi et pour les autres » ! On l’oublie souvent dans le récit de ce qui m’a été infligé, mais c’est aussi important que la plainte pénale je trouve !
Alors ce qui se passe, c’est que le jour où je soutiens mon mémoire (intitulé : « L’inceste : consistance du silence »), et pas avant, on m’apprend que les professeurs émérites « ne peuvent diriger de nouvelles thèses ». Un prof émérite, c’est un prof retraité, mais qui peut encore participer, bénévolement, aux activités d’enseignement et de recherche de son labo.
Or, c’était un prof émérite qui était pressenti pour diriger ma thèse.
En réalité, cet empêchement est une interprétation (ou une croyance ?) locale, car le texte ministériel autorise la direction « de thèses » aux professeurs émérites, sans préciser qu’elles doivent être « anciennes ».
Mais même avec le texte officiel envoyé dans un mail, le directeur de l’école doctorale n’en a pas démordu. Je n’ai donc pas pu candidater aux allocations recherche en juillet 2010. Et pendant que tous les autres interlocuteurs contactés (responsable du doctorat, du laboratoire, du département, puis président de l’université) n’ont jamais répondu à mes courriels respectifs les alarmant à ce moment-là sur ma situation, lui m’a répondu, mais pour refuser toute demande de RDV et toute réelle discussion !
Finalement, il m’a proposé un RDV pour … le lendemain des auditions des allocs recherche ! RDV auquel il ne s’est finalement même pas présenté, m’expliquant en outre, par mail bien sûr, n’avoir aucunement l’intention de revenir avant septembre sur la fac, et mettre dorénavant mes courriels dans son dossier « spam » car je n’étais désormais plus étudiante.
Ca c’est vraiment passé comme ça, de manière si abrupte ?
Oui. Et tu me demandes pourquoi on m’a fait tout ça ? Tu n’es pas le seul à me le demander. Sauf que « pourquoi », je n’en sais rien, et j’aimerais bien comprendre, moi aussi, justement…
Des bruits circulent dans les couloirs de Lyon 2 autour de ton « caractère » qui serait difficile, voire insupportable, et autour de propos menaçants que tu aurais tenus ?
S’il y avait des problèmes de « comportements » de ma part, pourquoi ne m’a-t-on pas fait passer en conseil de discipline avant la fin de mon M2, ce qui m’aurait garanti une possibilité minimale de me défendre ? Alors que là, la première personne à avoir entendu (et réellement écouté) ma version de ce qui m’est arrivé, c’est dingue, mais c’est la police, en avril 2011 !!! Pendant que dans l’université, des ragots se propageaient abondamment sur mon compte sans jamais aucune possibilité d’en revenir aux faits réels, puisque je ne pouvais même plus y mettre les pieds pour y répondre !
Personne ne t’as écoutée ? Vraiment ?
Hormis le directeur de l’école doctorale qui a au moins fait l’effort de me répondre, en résumé, « allez voir ailleurs si j’y suis » par ses mails, personne n’a pris, tout simplement, la peine de se préoccuper de ma situation, à moi postulante lambda au doctorat, en juillet 2010. C’est d’ailleurs là que j’ai commencé à envoyer « des mails », parce que je ne voyais plus que cela à faire pour protester, suite au RDV avorté par le directeur de l’école doctorale après les auditions des allocations recherche.
Cette action a permis que des gens réagissent, se solidarisent : en plein mois d’août, le président de Lyon 2 a ainsi reçu 24 courriels type lui demandant de s’occuper de ma situation, certains venant même du Québec. Il a fallu cela pour que j’obtienne un RDV avec ce président en date du 10 septembre 2010, parce que mon courriel simple en juin n’avait pas suffi à ce qu’il se préoccupe de ce qui se passait là dans son université. En clair : les problèmes d’un.e étudiant.e lambda dans Lyon 2, ne méritent ni réponse ni intérêt si il.elle ne fait pas du ramdan d’ampleur internationale ? Moi je trouve ça lamentable de traiter les usager.e.s de l’université d’une telle façon !
Oui, alors ces mails, ces « centaines de messages électroniques », dis donc, tout le monde en parle à Lyon 2, mais qu’est-ce que c’est exactement, pour leur avoir fait un tel effet ?
Eh bien le lendemain des auditions pour les allocs, de rage, j’ai envoyé un premier mail, aux membres du jury. Ce mail s’intitulait « trouvé dans les oubliettes de l’histoire », et comportait mon CV, mon projet de thèse, et le résumé de mon mémoire de master. Comme je n’ai eu aucun retour, j’en ai envoyé un autre le lendemain avec l’intervention orale que j’avais préparée. Mais toujours rien…alors j’ai commencé à envoyer mes travaux de recherche, par petits bouts, sous forme de feuilleton, à ces personnes. Et à chaque fois que je citais les travaux d’un.e chercheur.euse dans l’extrait utilisé de mon mémoire, j’ajoutais ce chercheur/cette chercheuse à la liste de mes destinataires, après l’avoir présenté.e aux destinataires déjà présent.e.s.
J’ai finalement fait ça tout l’été.
Au fil du temps, se sont ajoutés des commentaires et prises de position sur l’actualité du moment (je n’ai pas pu m’en empêcher), mais à chaque fois que c’était possible, en faisant le lien avec une partie de mon travail de recherche.
Euh … comment ça ?
Eh bien exemple : le discours de Grenoble du président de la République, le 30 juillet 2010. J’ai fait alors toute une analyse sur notre rapport à l’exercice du pouvoir, en France, dans un courriel que j’ai intitulé « le président peut-il être indigne ? », et qui faisait le lien entre la forme politique de l’Etat, et la forme d’autorité dans la sphère privée, via des textes de Vivienne Wee et Christine Delphy. Puis comme j’ai aussi une partie sur la stigmatisation des victimes d’inceste, où j’utilise Goffman, j’ai également évoqué la stigmatisation et ses effets en montant en généralité, etc… bon, à la rentrée, ma liste mail m’a servi à informer de la manif de soutien aux roms, puis à faire passer des infos sur les retraites. J’ai aussi pris position sur ce qui s’est passé à Lyon fin octobre. D’ailleurs, c’est à ce moment-là que j’ai ajouté plusieurs sociologues parmi mes destinataires, en leur renvoyant ce que je pensais de leur prose sur les « casseurs » dans les journaux … apparemment, ça a eu un impact sur eux, ça les a rendus plus pondérés ensuite. C’était visible quand j’ai vu certains d’entre eux en conférence, au printemps, hors de Lyon 2.
Je suis aussi revenue sur les différentes formes d’exercice violentes du pouvoir dans Lyon 2 depuis 2007, en passant et commentant des vidéos sur l’arrivée des CRS, les mensonges des équipes présidentielles successives, etc. Bien sûr je n’ai pu m’empêcher d’évoquer aussi le sort de Persée et des femmes de ménage de Lyon 2.
Bref, ma « newsletter » est devenue, avec le temps, un média probablement de plus en plus désagréable pour certain.e.s, tout en me servant toujours à faire circuler des extraits de mes travaux sur un sujet manifestement « indésirable » : l’inceste.
Est-ce que tu penses que c’est ton choix de sujet de recherche qui est à l’origine de tes ennuis ? Il n’a pourtant rien de subversif, de dérangeant pour le pouvoir en place, non ?
Je pense que mon sujet de recherche n’est pas pour rien dans ce qui m’est arrivé. Déjà, t’as qu’à voir les tronches des profs quand je leur parle de mon thème de recherche. On dirait que c’est trop horriiiiiiiible pour qu’ils.elles supportent. Pourtant, ça fait partie du monde social aussi. Tiens, tu vois, même à l’entrée en master 1, j’ai eu du mal à trouver quelqu’un pour me diriger. Par exemple, le prof spécialisé en anthropologie de la parenté, lorsque j’ai été le voir, m’a suggéré, d’un ton angoissé : « v…vous ne voudriez pas plutôt étudier le viol dans l’espace public ? ». Genre pour que ce ne soit pas dans son domaine d’étude à lui (= la famille) ?
C’était à tel point, toutes ces réactions, que j’en ai fait un chapitre à part entière dans mon mémoire de master 1 (pages 16-17 ici - noté 18/20 également) !
Et ça a continué tout le long : à la BU, lorsqu’un étudiant de ma promo engage la conversation avec moi en me demandant « c’est quoi, le bouquin que tu lis, là ? », je le vois blêmir légèrement à la vue du titre, puis me dire « ce … c’est un peu glauque, comme bouquin !?! ». Et faire demi-tour fissa : fin de l’interaction. Ben oui, mais « maltraitance des enfants », c’est un peu mon thème de recherche, à la base, quoi…
Les profs, eux, c’était les « pannes de bibliographie » : bizarrement, mon sujet de recherche ne donnait, aux habitué.e.s des conseils biblio, aucune idée de livre à me suggérer. Silence. J’ai eu beaucoup de silence, autour de moi, tout ce temps, finalement. Si bien que j’ai compris que mon sujet de recherche lui-même m’isolait… bon, j’ai intitulé mon mémoire de master 2 « l’inceste : consistance du silence », ça doit pas être un hasard, tu vois.
Et si j’ai pu faire cette recherche sur ce thème en master, c’est uniquement parce qu’un prof a surmonté sa réaction de recul initiale par rapport au sujet, et a accepté de me diriger là-dessus. C’est ce prof, qui est émérite maintenant.
Dernière chose, je dois dire que pendant tout mon master 1, j’ai soigneusement tu ma condition d’ex-victime d’abus incestueux, parce que j’avais remarqué que ça faisait croître encore les réactions d’angoisse et d’évitement à mon égard. Alors que jusque là, ma position depuis quelques années, c’était de ne pas laisser ces faits dans le secret, d’abord pour moi parce que ce secret me démolissait, puis ensuite pour des raisons politiques féministes, parce que j’ai rapidement constaté que ma parole là dessus, permettait à d’autres de venir en parler, parfois pour la première fois, à quelqu’un.
Alors maintenant, est-ce que c’est un sujet dérangeant pour le pouvoir en place, subversif ? En plus des réactions qui montrent à quel point en effet il dérange, moi je commence à penser à tout ce discours sécuritaire démago sur les « violeurs d’enfants », et au contraste avec les mauvais traitements que subissent les victimes d’abus sexuels, incestueux ou non d’ailleurs, par le système judiciaire notamment. Le taux de sanctions prises vis à vis des agresseurs est très faible, quoiqu’on pense par ailleurs de leur nature (prison) en tant qu’anars. Ils bénéficient très souvent d’une impunité de fait, finalement. Et on nous parle de bracelet électronique. Le fichage ADN, au départ, c’était pour les « délinquants sexuels », etc, etc, etc. Tout le sécuritaire s’appuie là-dessus, et paradoxalement, les victimes d’abus sexuels durant l’enfance restent le parent pauvre au final, un simple prétexte !
Je ne me suis pas encore attaquée à gratter ce qu’il y a dans ce paradoxe, mais avoir vu le dossier avec marqué « ADN » sur le bureau du flic qui m’a interrogée, ça a contribué à me poser question sur le chapitre… Il faut savoir par exemple que 80% des mineur.e.s victimes d’abus sexuels répétés durant l’enfance, ne sont même pas repéré.e.s comme « en danger » par les services sociaux. Et entre une et deux femmes sur cent a pourtant subi, en France métropolitaine, au moins un abus sexuel par un apparenté (chiffres non dispo pour les hommes). Alors la justice… !
Ce qui m’emmène sur un autre aspect dérangeant dans mon sujet : c’est ce que j’ai expliqué autour de notre « imaginaire du mal » en occident, que j’ai décrit dans mon mémoire de master 2 (chapitre " La mise à distance ébranlée : inquiétante proximité, effroyable réalité" et suivants). « Le mal », la démolition, c’est pensable pour nous quand c’est loin, je l’ai constaté auprès de mes interlocuteurs.trices non victimes (pour les victimes, cet imaginaire est devenu différent, « le mal » proche est pensé, et pour cause) : les conduites de destruction intentionnelles de personnes humaines comme l’inceste, c’est présenté comme se situant dans les DOM ou en Afrique, dans les campagnes et les montagnes (par un urbain), ou encore chez des gens de bas niveau social (par des membres de professions exigeant un bac + +).
Ca explique qu’il est possible de parler et de faire des recherches sur l’excision, car c’est chez les africain.e.s, de mariages forcés, car c’est chez les arabes notamment, mais l’inceste … à l’extrême, on a le discours du Front National, qui s’appuie sur cet imaginaire du mal dominant : « regardez comme ces bougnoules et ces négros sont barbares, avec leurs mariages arrangés et leur excision ». Qu’est-ce qu’on peut répondre à ça ? C’est vrai que l’excision c’est horrible, et les mariages forcés aussi.
Ben étudier les abus sexuels incestueux en France métropolitaine, qui s’avèrent concerner directement entre une et deux femmes sur cent dans la population mine de rien (cf enquête CSF INED-INSERM de 2006), pour moi, c’est aussi une réponse concrète à ça, et avec la légitimité discursive que confère un travail scientifique reconnu comme d’excellente qualité par ses évaluateurs.trices institutionnel.le.s. On peut discuter cette stratégie de passer par l’évaluation via une institution, étatique qui plus est (l’université), mais c’est la mienne et j’en assume le choix, que j’estime pertinent et utile, pas uniquement pour mon CV (je suis déjà fonctionnaire, ça va, merci), mais pour contribuer à influer sur les débats sociaux en cours et à en apporter d’autres (la vie des ex-victimes, personne ne s’en préoccupe, par exemple, cependant que des gens qui n’y connaissent rien en biologie sont obnubilés par l’idée de « castrer chimiquement » les agresseurs pour protéger les enfants du bon citoyen contre ces prédateurs forcément étrangers, ou encore prétendent qu’il existe un « gène de la pédophilie » !).
OK. Donc un sujet difficile à faire accepter comme thème de recherche par l’institution. Un accès en thèse interdit parce que tu as été coupée du seul directeur de thèse potentiel qui soutenait ton projet alors, mais comment en viens-tu à être interdite d’accès à l’ensemble des campus, sans qu’aucune réaction collective forte n’ait lieu, depuis 10 mois !? C’est quand même incroyable non ?
Eh bien en fait, ça a été la suite logique de mon éviction : d’abord, j’ai été empêchée de candidater aux allocs doctorales en juillet 2010. Ensuite, j’ai eu le RDV le 10 septembre 2010 avec le président de Lyon 2, sauf que le 2 septembre, mon directeur de thèse m’a désavouée, publiquement, par un mail, en prétendant, en gros, n’avoir jamais voulu me diriger à cause de mes « comportements de ces dernières semaines » ! Cherchez l’erreur. Drôle de paradoxe temporel…
Une prof hors Lyon 2 qui m’avait soutenue, m’a expliqué qu’il avait probablement subi des pressions. D’autres m’ont dit que c’était un lâche. D’autres ont pensé que c’était un prof qui n’avait pas su me dire qu’il ne voulait pas me diriger… moi, je n’ai affaire, depuis, qu’à une carpe muette, donc je ne sais pas, là non plus, le « pourquoi » réel.
L’entretien du 10 septembre, dans cette nouvelle configuration, a été un échec : il ne s’agissait plus de discuter autour du problème de l’éméritat, peut-être bien embarrassant, mais de me répondre tout simplement « vous n’avez pas de directeur de thèse, vous êtes donc libre d’en chercher un France entière. L’entretien est terminé, je vais donc vous demander de sortir, mademoiselle ».
Puis le 22 septembre, mes adresses mails ont été lock-outées, sans préavis ni rien, sur le serveur mail de l’université Lyon 2 : j’ai du créer d’autres adresses pour pouvoir passer ce barrage de mauvais augure, et qui déjà, n’a suscité alors aucune réaction. Pourtant, c’était déjà un acte grave, en plus d’être un acte illégal.
Mais depuis 2007, il y a eu de manière globale une banalisation des abus de pouvoir dans l’Université, pas qu’à Lyon 2 j’ai l’impression. Donc c’était aussi un acte déjà banalisé je crois, dans ce contexte.
L’interdiction d’accès aux campus, elle arrive de la même manière : sans préavis. Elle a été rédigée fin novembre, donc quand le mouvement sur les retraites était en voie d’extinction claire et devenu incapable de me défendre comme participante active.
Je l’ai reçue en main propre des vigiles venus m’expulser le 3 décembre, alors que je venais simplement participer à un atelier de mon laboratoire … dont l’annulation ne m’avait pas été communiquée, car j’avais, en sus, été ôtée de la liste mail du labo, toujours sans en être avertie, entre mi-octobre et ce moment-là.
Et comment c’est possible d’exclure quelqu’un comme ça, si longtemps, sans aucun motif et sans que ça suscite aucune réaction d’envergure pour l’empêcher ?
Eh bien en termes légaux, c’est possible d’interdire l’accès des locaux universitaires à quelqu’un si une plainte est déposée contre lui, et ce pour toute la durée de traitement de la plainte, jusqu’au verdict définitif. Autant dire que ça peut durer longtemps… donc le 3 décembre, en lisant le papier, j’ai appris qu’une plainte était en train d’être posée contre moi.
Sur le papier, était écrit un motif, très vague, de plainte : « injure, harcèlement, menaces, par l’envoi de centaines de messages électroniques à des membres de la communauté universitaire ». Or, il n’y avait ni injure, ni menaces, dans mes messages électroniques envoyés alors sous forme de feuilleton quotidien à ma vaste liste de destinataires. Quant au harcèlement, c’est un mot lui-même vague : le Code Pénal, lui, réprime une infraction très précise qui s’appelle « harcèlement moral », et non « harcèlement » tout court !
Donc leur plainte était bidon ?
En fait, j’ai compris fin février ce qu’ils ont fait, parce que j’en ai reçu un échantillon dans un courrier du président : ils ont utilisé notamment des messages envoyés à titre privé à une personne, en l’occurrence mon ex-directeur de thèse pressenti, où je lui exprimais ma colère et ma rage par rapport à sa trahison de début septembre. Ils les ont tronqués de manière tendancieuse, si bien que moi-même, quand je lis le tout assorti des commentaires du président, ben au final, j’y crois, que la personne dont il parle (moi) est une horrible et dangereuse personne folle et délinquante venue pour détruire ses professeurs ! C’est des procédés de déformation du réel similaires à ceux employés dans les communiqués de début novembre 2010 par la même présidence, concernant le mouvement étudiant sur les retraites, si ça peut t’aider à comprendre la méthode.
Et dans le dossier des flics, ces messages étaient intercalés au milieu de mails que j’ai envoyés à la liste mail, ils avaient des phrases bien choisies surlignées au marqueur, et parfois commentées de manière manuscrite dans la marge parce que surligner ne suffisait probablement pas non plus à transformer mes mails en mails « harcelants, injurieux, menaçants »…
Voilà comment on peut transformer une étudiante brillante en « vilaine racaille incivile, coupable d’être insolente ce qui est extrêmement grave, et venue là pour détruire bien sûr ». C’est le même type de procédé qui a été utilisé, en novembre 2010, pour transformer les étudiant.e.s, brillant.e.s ou pas peu importe, défendant nos retraites à tou.te.s, en « minorités totalitaires et fascistes » et en « éléments extérieurs encagoulés venus pour détruire ». Ca en dit long sur une forme de perception sans doute un peu parano de « l’extérieur » dans cette université actuellement. Mais aussi dans l’ensemble de la société, puisque un de mes motifs d’inculpation au pénal, au final, est issu d’une loi de 2010 qui réprime l’entrée « non autorisée » de personnes extérieures (donc dangereuses parce que extérieures ?) dans les établissements scolaires !
Et le problème, c’est que cette transformation n’a pas été faite que pour le dossier des flics : des ragots ont été propagés sur moi en mon absence forcée, auprès semble-t-il de l’ensemble des enseignant.e.s d’anthropologie et de sociologie à Lyon 2, plus peut-être d’autres. Donc il paraît que je suis par exemple une personne très dangereuse qui attend la naissance du bébé d’une enseignante d’anthropologie enceinte depuis quelques mois, pour le tuer cruellement ! On n’arrête pas le délire !
C’est comme ça qu’en juin 2011, un prof de socio d’extrême gauche croisé hors de Lyon 2 m’explique que mes courriels ont été « hyperviolents, notamment en novembre », tout en m’informant qu’il ne les lit pas puisqu’il les considère comme du spam, et en conséquence, a fait une règle dans sa boite mail pour les ranger à leur « juste » place… Il trouvait que mon exclusion des campus était, en conséquence, saine et juste. On peut se demander comment il connaît si bien le contenu de ma newsletter, puisqu’il ne la lit pas !
Cet exemple de réaction peut aider à comprendre comment côté syndicats enseignants, par exemple, il n’y a eu aucun soutien ou simplement questionnement de la version dominante, par rapport à ma situation. Et à chaque stade, jusqu’au Procureur inclus, cette version s’est auto-renforcée en force et légitimité, à force d’être répétée par de plus en plus d’autorités reconnues comme légitimes.
Ensuite, côté syndicats et collectifs étudiants, il y a eu aussi ceux dont la direction a fait le choix de croire les ragots propagés notamment par l’administration (cas à l’UNEF). Quant à ceux qui ont fait le choix de questionner cette version, voire de me soutenir, ils ont été dépassés parce que, passé le communiqué réactionnel rédigé fin décembre au début de mon exclusion des campus, ils n’ont d’abord plus su quoi faire. Il a donc fallu le temps de reprendre contact, d’où encore plusieurs mois de retard dans les réactions.
Puis un autre problème s’ajoute, plus global : l’isolement de chaque soutien. Ceux.celles qui me soutiennent, dans et hors de Lyon 2, ne sont pas habitués à travailler ensemble, et ne sont pas forcément les soutiens « classiques face à la répression par la présidence et la police ». Ce qui est logique, puisqu’ici, la répression n’a commencé ni par la présidence, ni par la police, mais par des chercheurs.euses de l’UFR où j’étais étudiante (cas du directeur de l’école doctorale notamment).
Dans Lyon 2, la délégation auprès de la présidence en avril 2011 par exemple, a été unitaire CE – FSE. Hors de Lyon 2, des associations d’aide aux ex-victimes d’inceste ont relayé la pétition concernant ma situation auprès de leurs membres, d’où quelques signatures qui font tiquer mes camarades d’extrême gauche ou anars, comme ce flic belge… ben oui mais des flics, spécialisés dans le recueil des plaintes des victimes d’agression sexuelle, il y en a dans ces asso. Quant aux camarades d’extrême gauche ou anars, certain.e.s, même parmi mes soutiens, osent enfin me demander, au détour d’une conversation : « c’est vrai, cette histoire comme quoi tu as fait des menaces de mort envers des enseignant.e.s chercheurs.euses ? ». Je comprends mieux pourquoi le soutien se faisait parfois hésitant, lorsqu’il parvenait à se faire un peu.
En outre, chaque soutien potentiel, groupe ou individu, me demande de son côté de lui expliquer l’histoire (ce qui est épuisant à répéter, pour moi), puis ce qu’il peut faire, tout en se sentant impuissant seul… et moi, je me sens seule et impuissante face à ces forces de soutien qui ne parviennent pas à se transformer en forces collectives.
A cela, dernier facteur et non des moindres, s’ajoute la peur. Par exemple, les étudiant.e.s d’anthropologie ont refusé, pour la plupart, de signer la pétition sur ma situation, sur les tables FSE, expliquant qu’ils.elles craignaient de ne pas pouvoir faire leur doctorat en anthropologie à Lyon 2 s’ils.elles la signaient ! Le précédent qui est en train d’être créé là, c’est pas rien.
Et le plus ridicule, c’est que non seulement les étudiant.e.s ont peur, mais aussi la plupart des profs en anthropologie parmi celles.ceux qui ne sont pas lobotomisés par les ragots-propagande ! Ils.elles ont peur les un.e.s des autres ! Peur du prof plus influent qu’eux.elles ! Et finalement, par cette peur, chacun.e est tenu.e à laisser faire, voire à participer à entériner, renforcer et construire la situation qui m’est faite. C’est un peu comme les poissons du symbole de la CNT, mais ça en devient tragique…
Et ça, le pire, c’est que ça peut arriver à n’importe quel.le candidat.e au doctorat, sans aucune raison, alors qu’il.elle n’avait pourtant rien à se reprocher : le système universitaire aujourd’hui, du moins en France, est fait de telle sorte que, dans de pareils cas, il n’y a aucun recours réel pour l’étudiant.e. C’est comme si dans le monde du travail, on en était encore à l’époque où le Code du Travail n’existait pas. C’est le pouvoir des mandarins dans toute son ampleur. Et moi, pendant que depuis un an maintenant, je ne reçois quasiment que des « mais pourquoi tu ne cherche pas à faire ta thèse ailleurs ? », puis des « tu as un avocat ? », je voudrais qu’on re-politise ce qui s’est passé autour de mon accès en thèse : ce n’est pas « Sophie Perrin », c’est « une étudiante ». Ca aurait pu, et ça peut, en être un.e autre. Tant qu’on n’aura pas de réels contre-pouvoirs au sein de l’université, des mandarins pourront continuer à régner sur une université qui n’a à ce jour plus rien de subversif, puisqu’elle forme ici à la servilité, à nous taire et à subir (le plan licence va nous apprendre, à cet égard, encore plus car les stages gratuits, c’est bon pour notre CV n’est-ce pas ?).
C’est le simple envoi de morceaux de mon travail de recherche en protestation contre mon éviction de l’accès en thèse et aux possibilités de la financer, qui a abouti à ma convocation au tribunal correctionnel pour un procès où je suis la « coupable présumée », le 24 octobre 2011, à la place des coupables des calomnies à mon encontre et de mon éviction de Lyon 2 … et le pire, c’est que de nombreuses personnes à Lyon 2 y croient, que je suis ce que disent ces calomnies, et les propagent à leur tour, sans avoir pris la peine de vérifier la véracité de ce qu’on leur disait.
Voilà, tout simplement, comment on en arrive à dix mois d’interdiction d’accès aux campus, et à un procès où l’accusée est la victime. Le procédé ressemble comme deux gouttes d’eau à celui où tu te retrouves avec une plainte pour outrage, après que le méchant flic de tes cauchemars t’ait fait monter en pression exprès jusqu’à ce que tu craques et lui envoie l’outrage qu’il voulait de toi pour te lapider. Sauf que là, c’est pas un flic qui a fait ça. C’est des chercheurs.euses de Lyon 2, ces gens qui sont « nos potes dans les mouvements », mais aussi nos recruteurs en master 2 puis doctorat … et dont je n’ai même pas encore tous les noms parce que je ne saurai qui exactement a porté plainte contre moi, que quand j’aurai enfin accès au dossier à charge entier.
Pour moi, tout cela montre de manière criante le désert syndical, et ses ravages, au niveau doctorant.e.s, dans l’université aujourd’hui.
Il y a du boulot à faire pour sortir le doctorat du moyen âge, et moi, j’aimerais bien que non seulement, il y ait une mobilisation autour de mon cas, mais que ce cas, qui est rendu caricatural du fait de mes résultats universitaires « brillants » comme on dit, puisse servir de levier à une mobilisation plus vaste sur le doctorat et ses conditions (matérielles et universitaires) d’accès. Mais ça, il faut d’abord que les étudiant.e.s et doctorant.e.s reprennent du terrain sur leur peur, à Lyon 2, pour l’ébaucher… Chiche ?
Rappel : signez la pétition de soutien à Sophie ici ( http://9846.lapetition.be/), et n’oubliez pas de venir à son audience au tribunal le 24 octobre à 14h, si vous le pouvez. Pour toute demande d’info supplémentaire, question ... laisser un commentaire ici même ou envoyer un message privé directement à Sophie (adresse mail visible sur son site internet là).
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