Le retour des prisons pour mineurs.
En 2007 et 2008, le gouvernement prévoit l’inauguration de 7 Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM). Ces prisons enfermeront des mineurs de 13 à 18 ans et fourniront 420 nouvelles places d’incarcération qui s’ajouteront aux 850 déjà existantes des quartiers pour mineurs. Et comme le montre l’histoire des constructions de prisons, les nouvelles places ne désengorgent pas les anciens établissements, mais permettent d’enfermer toujours plus de gens.
Le coût d’un EPM est de 12 millions d ’euros pour 60 places, garçons et filles de 13 à 18 ans ; et le coût total du programme : 90 millions d’euros, avec de beaux bénéfices pour l’entreprise de construction de trois d’entre eux : Léon Grosse. Ces établissements s’inscrivent dans des modes de surveillance et de contrôle toujours plus poussés : mur d’enceinte de 7 mètres de haut, greffe (tribunal interne), « l’emploi du temps des détenus sera volontairement dense ». Le ministère de la Justice demande aux architectes de penser un dispositif qui permette « le regard constant d’un adulte sur les mineurs et qui facilite les vues les plus larges possibles ».
Enfermer pour éduquer ?
L’enfermement des mineurs, depuis ses débuts, a toujours été assorti d’une visée éducative. Mais quelle éducation ? Les seules valeurs que l’on peut imaginer être transmises en prison sont celles qui y président : la brutalité, la discipline, la punition, la soumission.
Dans les EPM, l’ État fusionne les secteurs « éducatif » et carcéral par l’enrôlement des éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) dans les prisons ; jusqu’alors il s’agissait de deux secteurs bien distincts, les éducateurs ayant le moins possible à intervenir en prison. De la même manière, l’éducation nationale s’intègre à l’administration pénitentiaire puisque des postes d’enseignants sont mis à disposition, à raison de 20H par semaine.
Comment pouvons-nous nous réjouir de la création d’une école dans une prison ? Rappelez-vous, enfant, comme vous avez pu vous sentir coincé-e dans une salle de classe, à regarder désespérément par la fenêtre comme si vous pouviez la traverser et vous retrouver à l’air libre… et imaginez-la avec des barreaux. Imaginez le couloir, la cantine, la salle de sport, la cour, votre chambre avec des barreaux. Imaginez-vous, coupé-e de tous vos liens.On trouve là à son apogée l’éducatif comme prétexte à un durcissement répressif. Les EPM sont des prisons, pas plus dorées que n’importe quelle autre. C’est bien sur l’enfermement que repose tout le dispositif. Et c’est ce qui constitue le caractère inacceptable à la base, de ces établissements. Vous avez dit réinsertion ? Une peine, assortie d’un fichage – aujourd’hui à vie grâce aux prélèvements ADN – ne sera pas sans conséquences sur ce qui est appelé une « réinsertion sociale » (recherche d’emploi, de logement).
Notre présent est amnésique !
En 1993, les premiers Contrats Locaux de Sécurité (CLS) sont créés, ayant comme objectif de coordonner les actions de la justice, la police, la municipalité et les institutions éducatives après avoir établi un diagnostic de la « délinquance locale ». Puis, sous « l’autorité » des procureurs de la République sont créés les Groupes Locaux de Traitement de la Délinquance (GLTD).Ces groupes affinent le contrôle sur les territoires où, selon eux, le niveau d’insécurité mettrait en péril la « cohésion sociale ».
Au début des années 2000, les technologies de discipline alliant l’éducatif, le médical (via la psychologie et la psychiatrie) et le carcéral se renforcent avec la création de nouveaux établissements. Les premiers Centres Éducatifs Renforcés (CER) ouvrent en 1998, on en dénombre 57 en 2002 quand sont créés les Centres Éducatifs Fermés (CEF) avec comme objectif : un CEF par département. Toujours en 2002, le ministère de la Justice programme la construction de nouvelles prisons dont 7 Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM). Les mineur-e-s sont depuis longtemps incarcéré-e-s dans les quartiers qui leurs sont « réservés » dans les taules, mais avec ces EPM, c’est la première fois dans toute l’histoire moderne que l’État associe le terme « prison » à la gestion des mineurs et leur enfermement. Cela participe au processus de banalisation des prisons.
Ces formes d’ enfermement des mineurs qui reviennent en force aujourd’hui étaient devenues plus rares depuis 30 ans, des luttes avaient été menées pour démontrer que l’enfermement ne faisaient que démolir moralement les mineurs qui les subissaient. La dernière « maison de correction » ouverte en 1970, et fortement contestée, avait coûté une fortune. Elle fut fermée quelques années plus tard. Des jeunes s’en sont évadés en courant des risques des plus grands de jour comme de nuit, alors que tout avait été fait pour que ce soit impossible. Et ils avaient de justes raisons de vouloir fuir l’avenir qu’on leur préparait : 80 % des jeunes se retrouvaient en prison , presque immédiatement après leur sortie.
Qui est-ce qu’on enferme ?
« Les mineurs de 1945 n’ont rien à voir avec les géants noirs des banlieues d’aujourd’hui »
(N. Sarkozy, conseil des ministres, 28 juin 2006)
Le pire dans cette phrase ce n’est pas qu’elle reflète l’opinion raciste de Sarkozy, c’est plutôt que l’on voit très bien ce qu’il veut dire :
pour définir un mineur délinquant, le meilleur critère n’est pas de savoir quel acte il a commis, mais la couleur de la peau et les zones d’habitation. Le vrai crime c’est d’être noir et banlieusard (y’a qu’à voir le nombre hallucinant de contrôles d’identité au faciès). Ce sont toujours les mêmes qu’on enferme ! D’ailleurs, les lois dites de « la prévention de la délinquance » vont dans le même sens afin de repérer le plus tôt possible le futur délinquant grâce à la collaboration active des profs. Là où les bien pensants républicains voient une responsabilité individuelle, Sarkozy sous-entend involontairement que le facteur déterminant à l’incarcération est une situation sociale.
La volonté est claire : surveiller et contenir toute une partie de la population reléguée géographiquement, socialement et économiquement.
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