Esclavage en Libye et trafic des migrant.e.s : une analyse du CRAAP

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Parce que le CRAAP (Collectif de Réflexion d’Analyse et d’Actions Post-coloniale) est un collectif anti-raciste, anti-(néo)colonial et anti-(néo)libéral et qu’il condamne toutes les formes de domination, ses membres prennent position contre les crimes inhumains qui ont lieu depuis des décennies en Libye et vous propose une analyse de la situation.

Parce que le CRAAP est un collectif anti-raciste, anti-(néo)colonial et anti-(néo)libéral et qu’il condamne toutes les formes de domination, ses membres prennent position contre les crimes inhumains qui ont lieu depuis des décennies en Libye.

Les réactions furent vives et fortes partout, surtout dans les communautés noires, en raison du buzz créé par le documentaire diffusé sur CNN, mais le problème des mauvais traitements subis par les africain.e.s noir.e.s en Afrique du Nord et au Proche-Orient était connu et dénoncé par les militant.e.s. et les associations de défense des droits de l’Homme depuis longtemps. Le buzz nous oblige à penser urgemment la question des mobilisations et des solutions à apporter…

Nous sommes conscient..e.s qu’il s’agit là d’un problème extrêmement complexe qui imbrique différents angles d’analyse :

–Il y a la question des racines profondes de la négrophobie inhérente aux sociétés du Maghreb du fait de l’histoire de la traite transsaharienne [1] et des effets du continuum raciste dans les structures politiques et mentales de ces pays. Certes, sous le régime de Kadhafi, des mesures protectrices envers les Noir.e.s et des actions violentes (condamnations à mort) à l’endroit des esclavagistes avaient été prises pour montrer l’exemple, toutefois, les Noir.e.s libyens et les subsahariens souffraient tout de même de représentations négatives, de discriminations et de violences de la part des Libyens à la peau claire.

De manière similaire, nous avons également en tête les problématiques de l’esclavage en Mauritanie (conférence-débat à venir) et celles des migrant.e.s noir.e.s travaillant au Proche-Orient (le CRAAP, vivement intéressé par ces questions, avait reçu Mira Younès pour parler du cas du Liban).

- Il y a également la question géopolitique. En effet, la déstabilisation de la Libye a créé le chaos dans la région, ciblant les Noir.e.s comme des soutiens de Kadhafi (ils sont ainsi victimes de pogroms), permettant la reprise intense de la vente des Noir.e.s et l’implantation des réseaux criminels et terroristes dans tout le Sahel et en Afrique de l’ouest. L’OTAN, qui avait pour objectif d’éliminer Kadhafi, a une part de responsabilité énorme dans ce qui se passe.

Il ne s’agit pas ici de faire l’éloge du régime de Kadhafi, qui était dictatorial et autocratique – nous ne sommes pas dupes – mais nous devons souligner que les puissances occidentales avaient un impérieux intérêt à éliminer le chef libyen, qui soutenait financièrement des projets panafricains concrets. Certes, le panafricanisme prôné par Kadhafi doit être nuancé du fait de son caractère hégémonique, de ses manœuvres passées, du pragmatisme, de l’insincérité qu’il usait et des relations de vassalité qu’il entretenait avec les autres chefs africains du continent. Cependant, il faut aussi comprendre que le panafricanisme qu’il défendait permettait à l’Union africaine de jouir d’un financement africain et donc d’un peu plus d’autonomie à l’égard des bailleurs européens.

Dans le combat des Africain.e.s contre le néocolonialisme, Kadhafi, à la fin de son régime, était devenu un acteur important du fait de sa puissance financière ; il apportait un changement, non négligeable, dans le rapport de force et cela était inacceptable pour les pouvoirs qui orchestrent la domination et l’assujettissement du continent africain.

–Il y a également la question de la faillite des États africains et la responsabilité des dirigeant.e.s corrompu.e.s, sans vision, sans conception souverainiste, incapables de construire des politiques sociales permettant aux peuples de vivre dans la dignité.

Peu de gouvernements africains sont capables de mettre en place le rapatriement de leurs ressortissant.e.s bloqué.e.s en Libye, c’est une honte ! Quid de l’Union Africaine qui s’engage vainement à rapatrier les migrant.e.s sans projet clair ? Sans dire comment elle compte traquer les filières esclavagistes et celles des passeurs dans un pays chaotique que se partagent des groupes armés !

Les peuples n’oublient pas et prennent acte de cela. Ces dirigeant.e.s (pantins ou pas de la Françafrique, des impérialismes américain, britannique ou arabo-musulman des pays du Golfe) devront répondre de leurs inerties, de leurs complicités et de leurs silences devant le tribunal des peuples.

La jeunesse africaine ne se voit offrir que des chances trop limitées de survie et, rêvant d’une vie meilleure, se jette dans les affres de l’aventure migratoire, toujours dangereuse. Nos sœurs sont capturées et finissent dans les réseaux de prostitution ; nos frères sont vendus sur les marchés d’esclaves. Nous savons parfaitement, grâce aux nombreux témoignages, que des frères nigérians et ghanéens (entre autres) participent à ces activités de marchandisation et de déshumanisation et sont les sous-traitants des Libyens. Des africains noirs tiennent une part de responsabilité dans le trafic, dans le kidnapping, dans la surveillance et la garde violentes des esclaves et dans les demandes de rançon auprès des familles. La domination de l’Homme par l’Homme est ici motivée par l’appât du gain, le manque de possibilités et d’alternatives d’une jeunesse, sans empathie ni conscience, qui n’a que trop peu retenue les leçons de l’Histoire et participent à la propre perte de la famille africaine.

- Les conséquences de la politique migratoire européenne. Ceux-là mêmes qui financent les pays du Maghreb pour être des boucliers empêchant le passage des subsaharien.ne.s vers les pays du Nord [2]
sont ceux qui organisent la faim, le déstructuration des services publics, l’instabilité, l’insécurité des sociétés africaines et le maintien des satrapes africains au pouvoir, à travers des organismes complices tels que le FMI, l’OTAN et les services secrets occidentaux.

Les Européens, à travers des accords de partenariat économique pernicieux et nuisibles, asphyxient les paysans africains déjà très fragilisés. Ces derniers, submergés par les produits venant de l’Occident du fait de l’abaissement des tarifs douaniers, sont dans l’incapacité de vendre leurs produits sur le marché africain et sont donc poussés à migrer. Le tissu agro-industriel africain est cassé ! C’est la même logique de destruction qui se cache derrière les accords miniers désavantageux que les Africain.e.s sont obligé.e.s de signer avec les grands groupes occidentaux.

Les africain.e.s du CRAAP, soutenu.e.s par leurs allié.e.s, entendent faire passer le message suivant : « Si vous ne voulez pas que l’on vienne en Europe, arrêtez donc de piller nos ressources, de nous imposer des accords libéraux et commerciaux désavantageux, de nous jeter l’aide au développement ! Prônez de manière hypocrite et condescendante les droits de l’Homme….alors que vous pratiquez le double standard en matière de respect et de droits ici et là-bas. Nous ne sommes pas dupes. La conscience est la première forme de résistance. »

Notes

[1Traite négrière pratiquée par les Arabes sur le continent africain à partir du VIIe siècle.

[2Le régime de Kadhafi collaborait avec l’Italie pour stopper les vagues de migrant.e.s vers l’Europe en usant de pratiques inhumaines basées sur la torture, l’enfermement et le spoliation.

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