Été 1982 dans la région lyonnaise : l’État tente de mater les banlieues

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Dans l’agglomération lyonnaise, l’été 1981 est chaud, comme disent les journalistes de l’époque. Ce sont les premières émeutes urbaines à faire la une de la presse nationale. Tout au long de l’année, la répression va s’abattre sur l’agglomération et, à l’été suivant, l’ambiance est une nouvelle fois particulièrement tendue. C’est dans ce contexte que le groupe Os cangaceros publie l’affiche que nous avons retranscrite ici et qui résume les événements à la mi-82. Une affiche qui, a chaque émeute urbaine depuis 25 ans, aurait pu refleurir sur les murs des quartiers, sans vraiment perdre de son actualité.

A l’été 1981 un certain nombre d’affrontements entre policiers et des jeunes du quartier ont lieu aux Minguettes (Vénissieux). Ces événements qui se déroulent au long de l’été, connaissent un pic et s’étendent à d’autres quartiers de l’agglomération. Le quartier est frappé de plein fouet par la crise. Trois ans auparavant, Renault-RVI, principal employeur du coin, a supprimé 5000 emplois. Entre 1978 et 1982 la ville avait déjà perdu 10 000 habitants, principalement parmi les plus aisés partant vers les communes voisines.

Pendant ces quelques années d’existence (85-92) l’organisation Os cangaceiros prend part à différents conflits, tente de nouer des complicités, de rendre compte de situations, cherchant à créer par leur action des liens entre les luttes isolées les unes des autres. Leurs modes d’actions furent multiples : publications de revues, livres et tracts, sabotages, vie en commun, refus du travail, système D pour trouver de la thune... Rien de bien exceptionnel pour un groupe de quelques individus se considérant comme une association de délinquants, de chômeurs-à -vie - certes bavards - mettant à profit leur temps libre pour imaginer des formes de destruction du vieux monde, sans pour autant verser dans l’activisme gauchiste ou le militantisme armé qu’ils critiquent même sévèrement. Ils se refusaient à se qualifier de « politiques » et cherchaient par leurs pratiques à remettre en cause le principe même de politique comme activité séparée. Tout comme ils s’opposaient à la distinction entre prisonniers « politiques » et « droits communs ».
Introduction à la réédition de l’incendie millénariste,

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L’incendie millénariste


Aux Minguettes, où la solidarité entre habitants est une réalité importante, la situation est particulièrement critique. Le développement du chômage et de la ségrégation sociale, auquel s’ajoute le racisme, minent le moral des habitants. C’est dans cette atmosphère que certains, par ennui ou par goût du jeu, organisent des rodéos en voitures volées dans le bloc d’immeuble de Monmousseau. En réaction la police renforce immédiatement son contrôle sur toute la zone. La tension monte lentement et finalement : « La colère prend le dessus ». Plusieurs nuits durant, les rodéos de voitures volées se multiplient. Elles sont ensuite brûlées. On en comptabilisera, à la fin du mois de septembre 1981, plus de 200. Jeunes et CRS s’affrontent, souvent dans une violence inconnue jusqu’alors, le tout sous les yeux de la presse nationale [1].

Au final des check-points sont dressés partout autour des Minguettes et la police entre en force dans le quartier. L’ordre revient, en façade tout du moins.
Tout au long de l’année suit une répression continue s’abattant sur l’agglomération et quand arrive l’été suivant, l’ambiance est une nouvelle fois particulièrement tendue. C’est dans ce contexte que le groupe Os Cangaceros publie l’affiche que nous avons retranscrite ici qui résume les événements à la mi-1982

Ça va saigner !
Été 81 [2], les gens de l’est lyonnais ont montré comment gagner : ils ont fait exemple la dimension collective du jeu avec les voitures volées donne l’ampleur du scandale. Hors course les flics ! Combien de fois l’excitation publique a tenu la rue quand les rodéos se terminaient en incendies à la barbe des flics : désormais, la police ne peut plus y intervenir sans que le public se lève contre elle.

En ce début d’été 82, l’état est décidé à étouffer ce scandale. Il a lancé une opération d’extermination massive contre les jeunes prolétaires de l’Est lyonnais ! Tous les moyens, CRS et Trigano, sont conjugués pour que plus rien n’apparaisse.

Toute une population est mise au secret afin d’être anéantie. Dans la masse anonyme des prolétaires sans banderoles ni chefs, les flics arrêtent ce qu’ils peuvent : des otages, pris au hasard des occasions et des prétextes (créés sur mesure, tortures à l’appui). La justice fait le reste : mettre le maximum de gens hors circulation pour cet été.

Pendant ce temps, les menteurs spécialisés nous annoncent que tout est calme sur place. Ils l’ont en effet mis au calme, le mec qui faisait un rodéo voici un mois, et qui s’est écrasé contre un poteau après que les porcs-batards lui aient logé une balle dans la nuque – et qui est toujours à l’hosto. Comme ils ont mis au calme plusieurs jeunes de la Zup des Minguettes emprisonnés plusieurs mois pour des affaires d’auto-défense anti-flics.

L’intensité de la répression et du quadrillage nous contraint à mettre toujours plus de méthode dans notre furie. De toutes façons, le goût du rodéo est entré dans les mœurs d’une époque ; comme celui des incendies. Chaque nuit, dans l’est lyonnais, on voit des flammes. Dans la Zup de Vénissieux, les flics sont toujours aussi bien reçus … tous les espoirs sont permis.

Parmi les beaux excès qui agitent les nuits de l’Est lyonnais, il nous plaît de signaler celui-ci : dans la nuit du 25 au 26 juin ; 10 voitures ont été incendiées sur le parking d’une résidence pour cadres de Villeurbanne, à proximité du domicile de Charles Hernu. Sur les murs de la surface commerciale en france, des phrases pleines d’esprit : « Aux rodéos-boys emprisonnés », « Les flics nous exterminent en banlieue, soyons cruels », « Ça va saigner », « Un bon flic est un flic mort », « Feu ! Contre la rouille » et sur les murs d’une ANPE voisine : « Nous ne travaillerons jamais ».

Pendant ce temps, Mauroy veut mettre au travail obligatoire tous les jeunes de 16 à 18 ans. Cette belle jeunesse n’attend plus l’usine pour foutre le feu aux voiture de contremaîtres. Defferre [3] demande à Trigano de nous préparer des petits divertissements pour l’été ! Et ces limaces d’éducateurs qui veulent nous animer ! Saviez vous, à propos, que des moniteurs de la police veulent donner des cours de conduite aux jeunes des Zup cet été…

Tout ce qui rampe sur la terre est gouverné par les coups.
A nous de les donner.

Os Cangaceros.

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P.-S.

« Minguette blues » : aux origines de l’antiracisme moral

Le texte qui suit a été écrit en octobre 1984 et publié dans le premier numéro de la revue Os Cangaceiros paru en janvier 1985. Il parle des événements qui, à partir des émeutes de 1981 jusqu’à la « Marche contre le racisme et pour l’égalité des droits » fin 1983, marquent le début des (...)

23 mars 2021

Notes

[1Les Minguettes, un marqueur national de la politique de la Ville : retour sur les années 1980 et zoom sur la Marche pour l’égalité ouvrage collectif

[3Gaston de son petit nom est le ministre de l’intérieur de F. Mitterand de 81 à 84

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