Feyzin : tout s’arrête, tout commence

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Le 12 octobre, les salariés de la raffinerie de Feyzin stoppent la production. Un geste fort, et pas simplement un arrêt de l’activité : bloquer une raffinerie est une opération compliquée, assez dangereuse, qui réclame du monde (pareil quand il s’agit de relancer la machine). Sur le site, plus des trois quarts des
ouvriers suivent le mouvement, et c’est la même chose dans toutes les raffineries de l’hexagone.

ASSEZ VITE, L’EFFET se fait sentir à la pompe. On commence à voir des queues se former aux stations-services, des affichettes fleurissent pour limiter la consommation des automobilistes, un bon quart des stations sont carrément fermées à cause de la pénurie d’essence. Il n’y a pas vraiment de panique pour autant, et même plutôt un genre de curiosité, mêlée à la vieille tentation du blocage : pouvoir enfin rater l’école ou le boulot parce que ça ne roule plus... Et de plus en plus de gens payent pour voir en envoyant des chèques ou du liquide aux raffineurs en grève.

Évidemment, c’est là que ça se passe : le pétrole c’est le nerf de la bataille en cours. Bloquer les raffineries et les dépôts pétroliers, bloquer la production et l’acheminement de tout ce qui permet à l’économie de fonctionner et de tous nous faire courir... Enfin sortir des revendications symboliques et taper là où ça fait mal.

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Sur le piquet de Feyzin, de plus en plus de gens se pointent. Un travailleur en bâtiment fait un crochet pour balancer cinquante euros dans la caisse de grève. Une autre fois, c’est une délégation d’instituteurs de l’Ain, ou le syndicat Sud PTT du Jura qui apportent de la thune. Des dizaines de lettres de soutien se retrouvent scotchées à l’arrière de la tente en plastique qui abrite le barbecue. Au bout d’une semaine il n’y a plus assez de place pour les afficher.

Le 22 octobre, l’AG se prononce pour un « arrêt de travail illimité, jusqu’au retrait de la réforme ». Il n’est plus question de revoter la grève tous les jours ; il faut tenir, coûte que coûte. Pour ça, la caisse de grève est un outil sacrément efficace : de base, elle permet de soutenir matériellement les gens qui ne perçoivent plus de salaire ; elle constitue en plus une sorte de caisse de résonance pour tout le soutien diffus qui se marque aussi au gré des coups de klaxons joyeux émis par les routiers ou les automobilistes filant sous le pont de
la raffinerie. « Sans compter qu’ils brûlent le pétrole encore disponible »... Et hors mouvement la caisse de solidarité cimente déjà quelque chose entre les ouvriers : tout le monde y cotise un peu et ça permet de payer les factures si quelqu’un se retrouve dans la merde à un moment.

Sur les piquets, des gens issus de différents foyers de lutte se croisent, se trouvent. Les agents communaux en grève à Vaulx-en-Velin apportent des légumes collectés sur les marchés du coin « en soutien au mouvement ». Une autre fois, ils arrivent avec de la chorba. Des actions s’organisent avec les salariés de la chimie (Arkhema, Bluestar, Rhodia, IFP), avec des cheminots et des étudiants (action péage gratuit le vendredi 22 qui a permis de recueillir plus de 5000 euros tout en coûtant 70 000 et quelques à la société d’autoroute qui gère le péage de Vienne ; manifestation devant les locaux de l’UMP le 26). Une cantine commence à s’improviser sur le piquet à partir du 26 octobre ; le même jour, des jeunes du coin organisent un concert sauvage et improbable sur le parking de la raffinerie, au pied des bureaux de la direction.

Malgré tout ce brassage, de plus en plus de grévistes ont le sentiment d’être isolés. La grève risque de ne pas durer à la SNCF, les salariés d’EDF-GDF ne se lancent pas massivement dans la bagarre et surtout, en dépit des effets d’annonce, les camionneurs n’ont pas bloqué véritablement, en tout cas dans la région. « S’ils s’y étaient mis avec nous, en une semaine on mettait l’économie à genoux, on les mettait tous à genoux... ». Mais deux semaines après le début du mouvement, on voit encore des camions citernes alimenter les stations. Les transporteurs se ravitaillent encore un peu sur Feyzin ; le dépôt de Saint-Priest est rapidement à sec mais pas le port Edouard Herriot (qui au final n’aura été bloqué symboliquement qu’une demi-journée, alors qu’il abrite une des fameuses réserves stratégiques dont parlaient tant le gouvernement et les médias). À partir de la deuxième semaine de conflit, la grande distribution est allée quant à elle directement se fournir en Italie.

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Alors peu à peu la résolution faiblit. La journée d’action du 28 octobre a valeur de test. « Bon, il y a du monde dans la rue mais un peu moins que la dernière et qu’est-ce que ça change ? ». De toute façon la décision est prise de s’aligner sur le vote des autres sites. À Feyzin, comme dans la plupart des raffineries du groupe Total, le mouvement de grève est suspendu le vendredi 29 octobre.

En dépit des déclarations rassurantes du MEDEF ou du gouvernement, la grève laisse des traces. Dès le dixième jour, Total avait donné pour instruction de réserver l’intégralité des stocks propres pour ses stations d’autoroute uniquement ; et rien que pour la raffinerie de Feyzin, la direction avouait perdre un million d’euros par jour de grève. Il y a donc fort à parier que des dispositions soient prises pour limiter l’effet d’un nouveau conflit dans les temps qui viennent (plan d’acheminement, constitution de stocks, etc.) : « nous on sait bien qu’on a tiré nos dernières cartouches. On a déjà arrêté la raffinerie deux fois cette année, y aura pas de troisième... ».

Mais il y a bien eu des gestes, des manières de faire qu’on sent encore là, à portée, en suspension. Comme à Donges, quand le site a été débloqué par la force et les ouvriers réquisitionnés, les grévistes ont répliqué en occupant les abords de la raffinerie jour et nuit. Avec des profs, des cheminots, des postiers, des étudiants, des précaires... Jour et nuit : un mouvement en continu qui assume sa capacité de nuisance et d’invention, en bloquant plus loin, en dégonflant les pneus de camions citernes, en transformant les points de blocage en bivouac et en lieu de palabre.

Il reste des possibilités à saisir pour tout arrêter à nouveau, et tout commencer.

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