Guadeloupe : s’engouffrer par la porte défoncée et élargir les revendications

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On voudrait nous faire oublier la lutte menée par les Guadeloupéens. On voudrait nous faire oublier ce qu’ils revendiquent et ce qu’ils obtiennent en luttant, qui sont les acteurs de la lutte, sa chronologie, les outils et les moyens du combat qui est mené, les détails des revendications et des accords signés, ceux qui ont été oubliés par les accords, ce qu’il a été possible de gagner et ce sur quoi il faut insister pour ne pas le perdre.

Les médias ne disent rien

Bien sur les médias ne disent rien des revendications des Guadeloupéens, rien des manipulations de l’Etat et des patrons, rien de ce que représente 44 jours de grève générale et rien de ce qui a été obtenu par la lutte solidaire, légitime et déterminée. Aujourd’hui le spectacle du feu terminé, ils ne pensent plus qu’à salir et discréditer le LKP, le collectif qui a signé les Accords, comme bons toutous de l’Etat et du grand patronat.

On voudrait nous faire oublier la lutte qui est menée par les Guadeloupéens. On voudrait nous faire oublier ce qu’ils revendiquent et ce qu’ils obtiennent en luttant, les acteurs de la lutte, sa chronologie, les outils et les moyens du combat qui est mené, les détails des revendications et des accords signés, ceux qui ont été oubliés par les accords, ce qui a été perdu et ce qui a été gagné.

Un bras de fer

La lutte dure depuis plus de 3 mois et n’est toujours pas finie. Elle a mobilisée les guadeloupéens et le collectif LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon - collectif contre la profitation) qui rassemble 48 organisations : associations culturelles très populaires, agriculteurs, syndicats de pêcheurs, de transporteurs, de travailleurs, des petits commerçants, aussi des partis politiques et des collectifs. Dans le camp adverse, le grand patronat et l’Etat. C’est un véritable bras de fer qui a commencé pendant les mois de décembre et janvier par des grèves dans différents secteurs, suivi de 44 jours de grève générale et illimitée à partir du 29 janvier 2009 ; et qui dure encore.

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Barrage en centre ville

Le grand patronat et l’Etat ont freiné des 4 fers du début jusqu’à la fin du conflit, en utilisant toutes les stratégies possibles pour refuser de négocier :

- dédain et mépris quand l’Etat envoie pour négocier un secrétaire d’Etat à l’Outre Mer, alors que des secteurs sont en grève depuis un mois 1/2 et que c’est la grève générale et illimitée sur toute l’île depuis 15 jours. Quand il laisse pourrir la situation jusqu’à ce qu’il y ait mort d’homme. Ou encore quand le président de la république Sarko, après plus de 26 jours de grève générale illimitée, n’a toujours pas dit un mot sur la situation (voir ici sur Fr3)
- menaces quand le gouvernement double le nombre de gendarmes sur l’ïle.
- mensonges et manipulations quand le préfet propose une table ronde alors que les grévistes veulent l’ouverture de négociations le 22 janvier, quand le préfet n’invite pas les maires à la table des négociations le 23 janvier, quand le préfet rompt les négociations suite au message d’Yves Jego le 28 janvier, quand Yves Jego rompt les négociations après l’entretien avec Fillon le 10 février (voir ici).
- violences : témoignage du syndicaliste Alex Lollia, tabassé par des forces de l’ordre fasciste en Guadeloupe le 16 février 2009

Il faut lire la chronologie de la lutte et tous les coups bas que l’Etat et les grands patrons ont portés aux grévistes, racontés sur le site du LKP.

Quant aux Guadeloupéens, ils font tout pour que leurs revendications deviennent réalité. Pour cela ils se sont organisés au fur et à mesure de la grève pour lutter le plus longtemps possible, pour se faire entendre et gagner la lutte [1].

Pendant la grève générale des manifestations de plus en plus grosses ont été organisées (de 15000 à 100 000 personnes) ainsi que des réquisitions pour les produits de première nécessité ; des grandes surfaces ont été occupé et parfois pillé, des barrages ont eu lieu sur le seul aéroport de l’ïle, sur les voies rapides, aux entrées des villes et dans les centres, des réquisitions ont eu lieu dans les grande surfaces. Il a été composé des chansons militantes, et des associations culturelles ont toujours animé le mouvement.
Il s’est aussi créé des solidarités et des réseaux d’aide avant et pendant la grève pour que tout le monde mange et subvienne à ses besoins, certains patrons soutenaient les grévistes et fournissaient des denrées alimentaires, des barrages étaient levés à certains moments pour faire circuler des marchandises. C’est facile quand les salariés grévistes sont présent dans toutes les entreprises.
Des réseaux d’information et de réunion ont été tissé pour que le plus de monde connaisse l’avancée de la lutte et s’organise ; des grandes fêtes populaires ont eu lieu tout au long de la lutte pour souder les liens, se donner du courage et pour s’amuser. Certaines radios populaires ont soutenu le mouvement et laissé parler les guadeloupéens à l’antenne [2].
Pour des détails, visionner Elie Domota, le porte parole du LKP, faire le bilan du mouvement.

Un réveil

Bref tout un tas de trucs qui se mettent en place quand les gens se réveillent, se prennent en main, s’unissent et luttent pour obtenir ce qu’ils veulent. Je dis « se réveillent », parce que les guadeloupéens ont été endormis, comme ici, par les médias menteurs, les mots d’ordre du patronat dans la bouche des partis politiques et l’idéologie dominante, pour aller voter grosso modo à 50% pour Sarko et à 50% pour Sarkosette en 2007.

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La manif et la fête, dans la bonne humeur

Les (plutôt radicales) revendications

C’est le LKP, le collectif contre l’exploitation outrancière (ou contre la profitation, c’est comme on veut), qui a élaboré les revendications pour la grève générale. Même s’il manque un pan énorme de revendications légitimes dans ses revendications, le LKP est bien remonté concernant la répartition des richesses. Même si c’est pas la révolution, la plate forme des revendications du LKP est un pas qui est fait en avant et un sacré coup de pied qui a volé dans le ventre du patronat et de l’Etat.
Par exemple :
- la fin de la discrimination raciale à l’embauche et à l’entreprise
- Un plan quinquennal pour résorber l’habitat insalubre
- l’arrêt de toutes les spéculations immobilières,
- l’arrêt de l’implantation et de l’extension des grandes surfaces,
- l’arrêt d’une partie des expulsions (logement),
- le gel des loyers pour une période indéterminée,
- l’arrêt des saisies immobilières des propriétés des guadeloupéens et restitution des biens,
- la construction d’un hôpital (CHU)
- la mise en place dans l’immédiat d’un moratoire de 4 ans en ce qui concerne la réforme du recrutement des enseignants,
- la titularisation des personnels contractuels et des contrats aidés
- la participation des représentants des salariés dans les instances dirigeantes des entreprises avec voix délibératives,
- la mise en place de délégué du personnel dans toutes les entreprises d’au moins 5 salariés,
- la représentation des syndicats de Guadeloupe dans les entreprises et les organismes paritaires, (ASSEDIC-Sécurité Sociale-CAFAGEFOS-PME-FONGECIF…),
- la reconnaissance du 27 Mé [3], jour férié, chômé et payé,
- des poursuites contre les responsables des massacres de mai 67 à Pointe à Pitre et réparation des préjudices aux victimes et ayant-droits.
- la création et préservation de véritables services publics dans les secteurs stratégiques (eau, transport, énergie électrique et fossiles, traitement des déchets, prévention et sécurité civile, crédit...) au service de la population et des besoins économiques du pays, comprenant au sein des instances dirigeantes des représentants des usagers et des travailleurs,
- le remboursement par les entreprise des aides publiques perçues en cas de licenciement économique,
- des poursuites pénales pour les infractions relevant d’abus de position dominante, d’entente illicite et de publicité mensongère,

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Les manifestants sont déterminés

Gageons qu’ici, avec des revendications comme celles-ci, la plupart des syndicats auraient l’air moins constipé. Et qu’il serait possible pour un plus grand nombre de structures indépendantes d’avoir des revendications communes avec eux.

La plate-forme complète des revendications du collectif contre la profitation.

Les accords

Des accords ont été signés entre le collectif LKP, les collectivités territoriales, l’Etat et une grande partie des patrons après 1 mois 1/2 de grève de différents secteurs, des émeutes et une grève générale et illimitée de 44 jours, le 4 mars 2009. Contrairement à ce qu’ont bavé les médias, les accords ne portent pas seulement sur l’augmentation de 200 € des salaires les plus bas (jusqu’à 1,4 fois le Smic) du privé. D’autres avancées ont été faites (et certains retour en arrière ne seront plus possibles) dans plusieurs domaines, notamment :

- la nationalisation et la fusion des structures de production et de distribution de l’eau potable,
- le gel des loyers jusqu’en 2014,
- du fric durablement pour les anciens, les handicapés, les très jeunes et les familles,
- un peu de fric ponctuellement pour les plus pauvres,
- des aides au logement, la construction de 3000 logements sociaux, des sous pour l’amélioration de l’habitat des quartiers populaires,
- parmi toutes les baisses garanties, il y a celle de la taxe d’habitation, celle du prix de 150 produits de première nécessité ainsi que celui de l’eau, des télécommunications et des transports en commun,
- la disparition de certaines taxes, la taxe foncière pour les agriculteurs par exemple ou encore l’octroi de mer,
- des titularisations dans l’éducation,
- 40 000 billets d’avion pour un trajet aller /retour Paris-Guadeloupe au tarif de 340 euros pour les familles les plus modestes de guadeloupe, pour l’année 2009,
- la présence des syndicats guadeloupéens dans les organismes paritaires,
- beaucoup de fric pour les hôpitaux (500 millions d’euros),
- du fric pour les pêcheurs et les agriculteurs,
- le double fléchage créole / français dans tous les bâtiments publics,
- des tentatives pour diminuer la discrimination raciale à l’emploi et à l’entreprise.

Et plein de fric encore pour une myriade de petits projets, vraisemblablement portés par des structures internes au LKP, notamment les transporteurs, qui ont eu droit à leur accord particulier, mais aussi certains bâtiments de quartier populaire.

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Barrage à l’entrée d’une commune

Pour tous les détails, il faut lire l’accord Bino [4] sur les salaires et le protocole complet-signé par toutes les parties ([Protocole d’accord du 4 mars>http://lkp.e3b.org/dotclear/public/Copies_de_documents/protocolle_4mars.pdf] ).

Il est aussi possible de visionner :
- Rosan MOUNIEN, membre du LKP, faire le bilan sur les points du protocole d’accord le 06 mars 2009
- Alain Félix Flemin, membre du LKP, analyser le mouvement « Liyannaj Kont Pwofitasyon »
- Rosan MOUNIEN, membre du LKP, faire le point sur l’accord salarial passé entre le LKP, l’Etat, les Collectivités locales et une partie du Patronat Guadeloupéen. Il revient aussi sur les raisons qui ont empêché la signature hier du protocole de suspension de conflit (4 mars 2009)
- Jean pierre Sainton intellectualiser sur le mouvement

Analyse

La plate forme de revendication manque cruellement d’aborder la justice, la prison, les banques, les pauvres, la représentation démocratique, la libre circulation des personnes, les quartiers populaires d’une manière générale et tant d’autres sujets légitimement révoltants. Les accords signés sont un peu décevants au vu des revendications. Dans le protocole d’accord du 4 mars l’Etat a fait beaucoup de « promesses d’engagement », ce qui signifie « à peu près rien ». Rien n’a été signé pour les chômeurs et les précaires (alors que 60% des moins de 25 ans sont au chômage et que Elie Domota est directeur adjoint d’une agence ANPE), ni pour les très pauvres, que dalle sur l’environnement, et puis des mesures qui enferment dans la valeur travail et le salariat. On peut aussi faire le reproche aux accords de porter essentiellement sur le fric ; la faim d’un côté et les manipulations de l’autre a surement fait tourner beaucoup de revendications en question « fric ».

A ce sujet, il faut noter que les coffres des entreprises sont à peine effleurés par ces mesures, c’est l’Etat qui raque à peu prés pour tout. D’un autre côté, on on a vu que les caisses de l’Etat, qui étaient sensées être vides, débordent en réalité de centaines de milliards d’euros, autant se servir.

D’autre part le LKP n’a pas réussi a empêcher, dans les accords, les condamnations judiciaires des grévistes pour leurs actions pendant le mouvement, ni les retenues sur salaire pour les jours de grève.

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Manif monstre (plus de 100 000 guadeloupéens dans les rues) le 09 février 2009

Par contre c’est un pas qui est fait, et parfois de manière irréversible, dans le sens d’une amélioration plutôt générale des conditions de vie, comme la hausse des salaires bien sur mais aussi la nationalisation (guadeloupisation ?) de la gestion de l’eau par exemple, la présence des travailleurs dans les conseils d’administration d’entreprises, des syndicats dans les organismes paritaires, la tentative de mettre fin à la discrimination raciale et encore la mise en lumière de la culture créole (notamment l’usage de la langue). C’est vraisemblablement un pas qui est fait dans les esprits.

C’est aussi une démonstration de force sociale impressionnante, une sérieuse attaque contre la domination économique et la réalisation d’une union de différentes structures qui est à méditer pour ici.

Un combat encourageant

La lutte qui est menée en Guadeloupe est encourageante ; les hommes et les femmes se sont réveillés et ont montré une puissance capable de changer le rapport de force qui nous semble tellement disproportionné aujourd’hui et ici. L’unité qui a été réalisée par le collectif LKP est intéressante à observer, parfois surprenante. Par exemple la lutte contre les exploiteurs s’est très bien accommodée de la présence et des revendications des petits commerçants ou des agriculteurs pour se liguer ensemble contre les grandes surfaces.

Pour que cette unité ait lieu, il a fallu des hommes et des femmes déterminé(e)s, aux revendications (plutôt) radicales et avec la volonté de se battre pour les obtenir. On est à des années lumières des hommes et des femmes qui sont à la tête de la plupart des syndicats européens qui organisent les manifestations ici.

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Occupation d’un carrouf

Pour terminer, le message d’Elie Domota adressé aux békés du Medef « la Guadeloupe, soit tu appliques l’accord, soit tu la quittes ; nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir l’esclavage » est très bien. Les exploiteurs du Medef peuvent aller couler au milieu des océans, on n’en veut ni là-bas ni ici ; ça sera une crampe de moins pour l’humanité.

Et enfin, les accords signés ne sont pas encore appliqués, notamment à cause des pleurnicheries du Medef : la lutte n’est donc pas finie dans les Caraïbes.

A suivre...

Des liens pour creuser le sujet :
LKP - Mobilisation des contrats aidés et de tous les précaires ! (17 mars 2009)
Le gouvernement veut minimiser les succès de la Guadeloupe (13 mars 2009- Hns info)
Les manifestations et les grèves contre la vie chère et les bas salaires se poursuivent dans les possessions françaises de Guadeloupe et de Martinique (10 mars 2009 - Mondialisation.ca)
Le site officiel du LKP
Le blog officiel du collectif d’organisations syndicales, associatives, politiques & culturelles de Guadeloupe
Le site Yenkinou infos qui contient de nombreuses vidéos/interviews d’acteurs du mouvement et des analyses
Un portrait d’Elie Domota (14 février 2009 - Le Monde)
1er avril 1802 : Napoléon envoie des troupes militaires en Guadeloupe pour mater les vélléités autochtones...
En mars 1685 est promulguée le « Code noir » par le roi de France Louis XIV

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« Quand y’a une grève plus personne la voit ! » et là, tu nous vois, pauv’con

Notes

[2Il y’a surement d’autres médias populaires qui ont soutenu et aidé le mouvement

[3Le 27 et 28 mai 1967, au cours de ces deux journées portées disparues de l’histoire, les services d’ordre français ont massacré une centaine d’ouvriers du bâtiment en grève. Pour plus d’infos à ce sujet, voir ici.

[4du nom du syndicaliste (UGTG) guadeloupéen, Jacques Bino tué le 17 février 2009 pendant la grève

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