Spectacle politique

« Habitants en Colère » : comment la droite lyonnaise veut donner le « la » des municipales

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Depuis 7 mois les autoproclamés « Habitants en Colère » font la Une de la presse locale. Presqu’île, Guillotière et maintenant Gerland, toute la ville paraît être en ébullition. Mais derrière cette colère, c’est surtout une frange de la droite lyonnaise qui semble vouloir tirer les ficelles de ces collectifs pour faire du lobbying sur la campagne pour les élections municipales en profitant de la guerre des chefs.

Les origines

Selon la version officielle, tout commencerait par le raz-le-bol de deux copines, Pauline Grosjean et Sarah Bodhuin, habitantes de la Presqu’île depuis une dizaine d’années. Lassées de ne pas trouver le sommeil la nuit en raison de diverses nuisances sonores, les deux lyonnaises lancent le 6 mars 2019 un groupe Facebook : « Presqu’île en colère », assorti d’une pétition « Stop aux klaxons et incivilités en presqu’île de Lyon » et distribuent des flyers dans les boîtes aux lettres.

Trois jours seulement après la création du groupe Facebook LyonMag interviewe Pauline Grosjean qui nous indique que « 1100 personnes ont rejoint le groupe Facebook et qu’une pétition a récolté 1500 signatures. »

À ce niveau de mobilisation, et alors que tant d’autres mobilisations lyonnaises sont passées sous silence par la presse locale, on se dit qu’une vidéo interview de Gérard Angel pour si peu, c’est déjà beaucoup...

Lorsque l’on cherche à en savoir un peu plus sur ces deux « lanceuses d’alerte » sur le net, nous n’y trouvons que peu d’informations, mais sommes toutes plutôt éclairantes sur leur positionnement social et politique.

Pauline Grosjean a fait ses études à Lyon 3, où elle prenait part aux activités de la Corpo Lyon 3. Sur l’une des rares photos visibles d’elle sur le net, elle s’affiche à une soirée VIP du LOU Rugby au côté de Jérémie Garcin, lui aussi ancien membre de la Corpo Lyon 3, mais aussi scout d’Europe, et aujourd’hui patron de LCG Promotion, une boite de « conseil en stratégie immobilière »...

Peu d’informations également sur le parcours de Sarah Emir Bodhuin, elle aussi ancienne étudiante de Lyon 3, si ce n’est qu’elle aussi côtoie l’élite lyonnaise. Son mariage réalisé en 2005 dans un château de l’Ain a été annoncé sur Lyon Clubbing, site internet sur lequel elle fait diverses apparitions ces dernières années, en compagnie de divers patrons d’entreprises lyonnaises. Son mari, diplômé de l’IDRAC, est proprio d’un restau bien côté sur la Presqu’ile.

Guerre des droites

Un mois plus tard, en avril, on apprend via une nouvelle interview de Pauline Grosjean (dans LyonCap cette fois) que ce collectif a été reçu par Denis Broliquier, le maire du 2e arrondissement. Passé la surprise de voir avec quelle réactivité les politiques ont répondu aux sollicitations de ce collectif, on y lit que le maire du 2e s’est même montré « plutôt ravi que cette fois-ci, ce soit un groupe de personnes qui aborde le problème ».

Jusque-là, rien de plus banal nous dirons nous, si ce n’est que l’on assiste rarement à tant de « ravissement » pour une mobilisation de la part de la classe politique lyonnaise. Mais à y regarder de plus près, il est intéressant de replacer ces événements dans le contexte politique local.

Cette rencontre entre les deux habitantes et le maire du 2e, Denis Broliquier, a lieu le 15 avril. Il est important, à ce stade, de rappeler que ce dernier est tête de liste des centristes lyonnais (ex UDI). Or, le 10 avril, soit 5 jours avant cette rencontre, Pascal Blache (maire du 6e) et Étienne Blanc signent un accord qui fait de ce dernier la tête de liste LR qui acte officiellement l’entrée en campagne de la droite Lyonnaise. De fait, Broliquier est sous pression : face au nouveau consortium de la droite lyonnaise qui compte bien ne pas se contenter éternellement du seul 6e arrondissement, le maire du 2e doit tout faire pour exister et peser dans la balance des alliances et des positionnements électoralistes.

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Amateurisme ou coup de génie ?

Sans trop spéculer, il y a fort à penser que c’est cette pression qui va conduire le maire du 2e à interdire la circulation de 22h à 4h, les vendredis et samedis dans la rue Édouard Herriot. Il agit ainsi comme un baron de village en répondant directement à la demande particulière de quelques-uns de manière rapide et concrète, dans une manœuvre électoraliste manquant fortement de subtilité.

N’étant pas dans ses petits papiers, on ne saura pas si les conseillers du 2e sont machiavéliques ou tout bonnement stupides, mais toujours est-il qu’ils vont littéralement ouvrir la boite de pandore. En effet, bloquer une grande rue qui attire uniquement par son positionnement géographique ne pouvait que déplacer le problème dans la rue d’à côté...

L’engrenage enclenché, en juin, c’est une opération « Draps blancs aux fenêtres » qui relance la machine pour demander non seulement à ce que l’interdiction de circulation soit étendue à d’autres rues, mais également que l’interdiction soit prolongée après 4h du matin et que les caméras soient utilisées pour verbaliser les voitures...

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On apprend à cette occasion que le groupe Facebook compte désormais 1800 personnes, soit une augmentation finalement minime depuis la création, mais surtout que les riverains ne s’adressent désormais plus à leur maire d’arrondissement - acquis à leur cause -, mais directement à la Mairie centrale, la Métropole et la Préfecture qui ne donnaient jusque là pas signe de vie. Pauline Grosjean menace ainsi sans sourciller dans les colonnes de LyonCap "C’est pour ça que l’on aimerait bien une réponse avant que ça se finisse en lancer de boules de pétanque”.

Gégé entre dans la danse

Du côté de Gégé, ces plaintes de voisinage ne semblent en effet pas vraiment le concerner, car il s’apprête à sortir l’un de ses derniers Jokers avant les municipales : "La végétalisation de la Presqu’ile". Là encore, difficile de savoir si ce sont là les idées de conseillers aux dents longues ou son égo démesuré qui le guide... Mais ne pas répondre aux riverains d’Herriot en lançant une consultation publique sur la végétalisation de cette même rue, est, soit une ruse de vieux brigand pour ne pas s’engager sur le terrain de la sécurité où la droite dure aura toujours l’avantage, soit un nouvel épisode de sa guéguerre avec Kimelfeld pour prouver que le vieux croquemort a encore une "vision" pour Lyon. Ou, plus probablement, un beau mélange des deux. Toujours est-il que sa stratégie va conduire le gentil collectif citoyen en plein dans les bras de la droite lyonnaise...

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Droite come back

Le 23 juin, Pauline Grosjean et Sarah Bodhuin sont invitées par Étienne Blanc à prendre part à une table ronde intitulée « L’engagement citoyen a-t-il encore du sens ? Échanges avec de jeunes actifs pour ouvrir notre atelier sur la démocratie locale ». Cette table ronde est la 3e en son genre organisée par Blanc qu’il intitule « #objectif #topdépart #lyon2020 ».

Impossible de se tromper donc : quand on se rend à cet événement, la couleur est annoncée et les citoyen·nes en colère semblent choisir leur camp... Blanc doit exulter, il tient là un bel axe de campagne et pourra dire dans 9 mois qu’il était le premier à s’être emparé de la question...

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Des menaces aux actes

Comme l’avait annoncé les fondatrices de « Presqu’île en colère » et comme on pouvait le lire depuis de nombreuses semaines sur le groupe Facebook, mais aussi de manière publique sur de nombreux tweets utilisant leurs hashtags, les riverains de la presqu’île ont fini par mettre leurs menaces à exécution. Le 16 septembre, un riverain « excédé » balance de sa fenêtre un projectile qui fait éclater le pare-brise des jeunes stationnant en dessous. Les jeunes forcent la porte de l’allée et montent dans l’immeuble chercher le riverain. Les flics arrivent et le lendemain l’incident fait la Une des journaux (qui se gardent bien de rappeler les menaces des riverains du collectif au mois de juin).

Ping-Pong

À partir de là, tout s’emballe, et tout le monde se renvoie la balle.

Côté Mairie, on se décharge rapidos sur la Métro et la Pref. Collomb envoie au front Jean-Yves Sécheresse, son adjoint chargé de la Sécurité, qui explique que les flics municipaux sont payés en heures sup’ depuis plusieurs mois pour rester jusqu’à 4h du matin (combien cela représente sur le budget de la mairie, impossible de savoir...), mais qu’ensuite la Préfecture ne prend pas le relais et n’envoie pas les flics nationaux continuer le taf. Il nous dit qu’il voudrait bien agir en installant des bornes rétractables, mais que le méchant Kimelfeld ne veut pas les financer et que ce n’est donc dans tous les cas pas la faute du gentil Gégé.

Courroucé par de telles accusations, le Préfet à la sécurité va réagir directement pour rappeler que les embrouilles entre riverains, ça ne le concerne pas, et qu’à Vénissieux, la municipale bosse 24h/24H, que la mumu lyonnaise n’a donc qu’à faire pareil...

Du côté de la Métro aussi on réagit : Kimelfeld lui, dit qu’il a tout fait bien comme il faut, mais qu’il faudra 18 mois pour mettre en place ces fameuses bornes rétractables...

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Lyon en état de Guerre

3 jours plus tard, sentant que la situation est en train de lui échapper, alors que Kimelfeld vient d’annoncer sans concertation des journées de piétonisation de la Presqu’île - avec en vue une piétonisation définitive qui réglerait de fait les problèmes de voiture -, Gégé tente de reprendre la main et frappe fort. Il explique que des barrages amovibles prévus pour de l’antiterrorisme vont être déployés dans la rue et qu’il a obtenu de la Pref (donc de Macron) que la police nationale prenne finalement bien le relais à 4h du mat...

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D’autre part et encore plus grave, on apprend que la « vidéo verbalisation » a été actée à Lyon lors du Conseil Municipal du 23 septembre. Il s’agit d’un vieux serpent de mer que Collomb voulait faire voter depuis de nombreuses années. Car on le sait, la vidéosurveillance n’est absolument pas rentable, et il faut leur trouver une utilité autre que la potentielle (et très rare) résolution d’enquête de police. Gégé profite de la confusion générale pour faire passer cela en force par une délibération expresse du Conseil Municipal.

En quelques semaines, ce sont toutes les luttes contre le fichage et la surveillance généralisée qui s’écroulent...

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L’effet ruissellement

De manière trop bien huilée pour être un hasard, mi-septembre, la semaine où Collomb reçoit enfin le collectif « Presqu’île en colère », un nouveau collectif, constitué d’une quinzaine de personnes apparaît : « Guillotière en Colère ».

<https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/lyon-la-multiplication-des-nuisances-est-due-a-un-laisser>

Là encore, malgré une pétition rassemblant à peine 1000 signatures, on a le droit à une dizaine d’articles de presse et une petite semaine plus tard, à une « opération coup de poing » où une cinquantaine de flics et douaniers encerclent la place du pont et contrôlent à tout va. Puis rebelote la semaine suivante...

Le 30 septembre, c’est le collectif « Gerland en colère » qui rentre dans la danse. Pour l’instant pas encore de réponse sur le terrain, mais si l’on s’en tient à ce qui s’est fait auparavant, les contrôles de flics sur Yves Farge risquent d’être massifs en octobre.

À la manœuvre du collectif « Guillotière en Colère » une dénommée Nathalie Balmat Poirieux « Responsable communication et marketing » mais surtout Présidente d’un Conseil Syndical de la Guillotière qui se bat depuis plusieurs années Étendre la lutte pour la fermeture d’une place à tout un quartier il y a tout de même un pas assez grand mais Nathalie et ses copains ont l’air de croire qu’ils représentent à eux seuls 80 000 personnes...

Not in My Backyard

Avec toute cette agitation médiatique et politique, on a réellement l’impression que l’ensemble des Lyonnais sont au bord du craquage nerveux et qu’une véritable guerre va éclater entre les trentenaires/quadra blancs du centre-ville et des hordes de jeunes de banlieue qui déferleraient tous les week-ends dans toutes les rues de Lyon.

Pourtant, regardons sérieusement les chiffres :

La pétition Presqu’ile en colère regroupe 1200 signataires Guillotière en Colère 1200 signataires et Gerland en Colère 700 signataires.

À titre de comparaison, une pétition pour une transformation du règlement Optibus (navette TCL pour les usagers handicapés), jugé discriminant, récolte 1700 signataires. Mais surtout la pétition ayant remporté le plus grand succès actuellement à Lyon est celle du collectif « Plein la vue », avec 14000 signataires, qui demande à ce que la Métropole réduise le nombre de panneaux de pub... On pourrait aussi rappeler que le groupe « Gilets Jaune Lyon centre » regroupe plus de 4000 personnes.

Rappelons enfin que selon les derniers chiffres INSEE, Lyon c’est : 1er arrondissement (29 575 habitants) / 2e arrondissement (30 435 habitants) / 3e arrondissement (101 992 habitants) / 4e arrondissement (36 080 habitants) / 5e arrondissement (48 929 habitants) / 6e arrondissement (51 416 habitants / 7e arrondissement (82 045 habitants) / 8e arrondissement (84 517 habitants) / 9e arrondissement (50 607 habitants)

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Jour de colère ?

Sans nier la réalité des nuisances nocturnes de ces quartiers, on voit donc que derrière ces collectifs d’habitants en colère, l’on ne retrouve pas « Monsieur et Madame Tous le monde » mais bien une frange extrêmement réduite de la population lyonnaise qui semble vouloir tirer les ficelles de ces collectifs pour faire du lobbying sur la municipalité. Il est réellement hallucinant quand on y pense que tous ces élus sautent dans le piège tendu par la droite. Et plus encore, combien a déjà couté cette petite mascarade ? Entre les heures sup des policiers municipaux, le déploiement de matériel quasi militaire, la surveillance de masse du centre-ville alors que l’on ne cesse de nous demander de « serrer la ceinture ».

La ficelle est grosse, mais semble bien fonctionner, mais une com aussi bien rodée nous interroge de plus en plus sur la réelle « sincérité » de ces « lanceurs d’alerte ». Plus on y pense, plus ces « habitants en colère » nous rappellent par leur organisation et leur profil social les mêmes personnes que celles et ceux qui ont lancé le « jour de colère » contre le mariage pour tous... ils étaient eux aussi extrêmement minoritaires, mais leur organisation et leur tactique de com étaient très efficaces... Comme le FN, le but n’est pas tant de prendre le pouvoir, mais de faire ruisseler ses idées vers le pouvoir.

Ainsi, si Blanc et ses potes ont peu de chance de prendre la Mairie, les propos de Kimelfeld dans les colonnes du Progrès du samedi 5 octobre qui nous dit « je ne suis pas le candidat écolo, je ne suis ni vert, ni décroissant » nous montre bien que quoi qu’il arrive, Blanc, Broquier, Collomb et Kimelfeld défendent tous la même ligne pro libérale et pro police qui est d’ores et déjà assurée de gagner les municipales... reste à choisir l’enrobage... ou pas...

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P.-S.


Retour vers le futur, Édouard Herriot comme une prédiction de l’avenir ?
En 1905, Jean-Victor Augagneur, socialiste indépendant, est maire de Lyon depuis cinq ans. Il parvient à se faire réélire, mais est néanmoins nommé gouverneur de la colonie de Madagascar. Il laisse alors sa place de maire de Lyon à Édouard Herriot, espérant pouvoir la reprendre une fois sa mission terminée, mais Herriot changea la ligne politique de la municipalité et ne laissera ensuite plus Augagneur reprendre sont siège... toute cette tension autour de la rue qui porte son nom semble être une prédiction du futur lyonnais

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