Quelques éclaircissements sur ICEDA : une poubelle nucléaire bientôt près de chez vous !

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ICEDA (Installation de Conditionnement et d’Entreposage de Déchets Activés) est le nom de la poubelle nucléaire qu’EDF construit sur le site du Bugey. Un entrepôt de déchets radioactifs dits « à vie longue » (dont la période radioactive, c’est à dire le temps nécessaire à une diminution de moitié de la radioactivité, va de trente ans à plusieurs millions d’années), au pied d’une des centrales les plus vieilles et dangereuses de France.
Voir Rencontre autour du projet ICEDA avec le collectif Stop Bugey.

ICEDA a été principalement conçu pour entreposer les déchets issus du démantèlement de neuf réacteurs du parc français, pour une durée de cinquante ans minimum – le mot « temporaire » ayant une signification très relative dans la novlangue des spécialistes en com’ pronucléaire –, en attendant que le site d’enfouissement de Bure soit achevé. Car l’industrie nucléaire a déjà tout planifié. Et ce ne sont pas les débats publics actuels, simples formalités administratives, qui remettront en question des choix déjà faits à l’insu de la population.

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Projet ICEDA

La gestion des déchets radioactifs en France, symbole de l’anti-démocratisme nucléaire

Les pronucléaires ont beau dire l’inverse, il est clair que personne n’a jamais su quoi faire des déchets radioactifs. C’est l’exemple le plus emblématique de l’absurdité de la société nucléaire – disons plutôt de son arrogance aveugle et mortifère : contre quelques décennies de croissance énergétique effrénée, il faudra gérer les déchets les plus dangereux jamais créés, et ce pour les quelques millions d’années à venir. Gérer l’ingérable, pour une durée qui dépasse l’entendement humain.

Au début de l’épopée du nucléaire, adeptes des solutions expéditives, les États avaient choisi de cacher leurs fûts de déchets radioactifs dans les fonds marins. L’immersion ne fut interdite qu’en 1972 lors de la convention de Londres, suite aux nombreuses plaintes et autres scandales relayées par des associations écologistes et certaines populations côtières. L’URSS continuera cependant à larguer ses déchets en secret dans les mers de Barentz et de Kara jusqu’en 1992.

Dès les années 70, la France songe à enfouir ses déchets nucléaires pour mieux les oublier, et lance des programmes de recherche allant en ce sens. L’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs) est créée en 1979, et se penche dès sa création sur la question de l’enfouissement. Quelques années plus tard, au terme de débats internes à divers organes d’État, l’enfouissement est finalement considéré inévitable. Entre 1988 et 1989, l’ANDRA et le Bureau de Recherches Géologiques et Minières choisissent le Maine-et Loire, les Deux-Sèvres, l’Ain et l’Aisne comme étant les département les plus propices à l’installation d’un centre d’enfouissement. Sans consulter les habitants des localités concernées, des spécialistes sont envoyés en prospection... et se font rembarrer aussi sec.

En effet, face aux plans de l’ANDRA les concernant, les populations locales ne se laissent pas faire. Des comités se forment et des rassemblements ont lieu dans chacun des départements prospectés. C’est en Anjou que l’opposition est la plus virulente : occupations de terrains, confrontations avec les gendarmes mobiles et l’armée, mise à sac des locaux de l’ANDRA, barrage des routes d’accès aux sites de forage, sabotages incendiaires de chantiers, etc. Entre Novembre 1989 et Février 1990, les actions se multiplient et les habitants se radicalisent face aux méthodes totalitaires de l’ANDRA et de l’autorité publique. Les journaux soulignent le caractère populaire et local de ces soulèvement – dans plusieurs villages, les commerçants s’engagent à ne plus ravitailler les militaires et les gendarmes mobiles. Le vingt Janvier 1990, ce sont quinze mille personnes qui défilent dans les rues d’Angers en opposition aux projets d’enfouissement de l’État français [1].

Face à une telle opposition, ce dernier change de stratégie : fin 90, un moratoire sur l’enfouissement est posé, et en 1991 est votée la loi Bataille. Cette loi engage l’État à quinze ans de recherches sur trois axes qui, sur le papier, aideront à choisir une solution pour gérer les déchets radioactifs à vie longue. Ces axes sont l’enfouissement, le stockage en surface à long terme et la séparation-transmutation – procédé complexe qui permet en théorie de diminuer la radioactivité des matériaux.

Comme prévu, un rapport est émis en 2006 pour conclure ces quinze années de recherches. La séparation-transmutation y est d’emblée discréditée, décrite comme « un espoir qui repose sur des machines qui n’existent pas à ce jour » – ce qui n’empêche pas certains spécialistes du nucléaire de nous la ressortir régulièrement comme solution réaliste au problème des déchets.
Le volet sur l’enfouissement, quant à lui, montre que les recherches sur le sujet n’ont été que très superficielles. L’ANDRA ne sait presque rien sur l’impact environnemental d’une telle installation et parle d’une « faisabilité de principe », ce qui ne signifie pas grand chose. Certains n’en furent pas surpris, vu qu’en 2005, soit un an avant la parution du rapport, le laboratoire de Bure chargé des recherches sur l’enfouissement n’était même pas achevé... Quand aux deux autres laboratoires prévus par la loi, qui auraient permis une analyse sur différents types de terrains, ils ne verront jamais le jour.

Reste donc le stockage en surface, qui aux yeux de certains opposants semble être la solution la moins pire, et pour laquelle l’industrie possède déjà une certaine expérience [2]. Rappelons juste que le stockage des déchets nucléaires, qu’il soit souterrain, sous-marin ou en surface, entraîne inexorablement des rejets et des risques d’accidents graves. Le taux important de leucémies infantiles autour du centre de la Hague en est la preuve, tout comme les rejets massifs du centre de stockage souterrain de Hanford au États-Unis, dont un tiers des citernes présentent des fuites (rejets d’environ 4000 m^3 de boues radioactives, soit l’équivalent de plus de 110 grands camions citernes) [3]. Il n’y a pas de solution « propre » pour le stockage des déchets nucléaires. L’urgence n’est pas de débattre sur ce qu’on en fera, mais plutôt d’arrêter d’en produire.

Mais ce n’est pas le point de vue de l’ANDRA : suite au rapport de 2006 et malgré ses conclusions lacunaires, elle s’entête et décide qu’enfouir est la « solution de référence ». Une loi est votée dans la foulée, décrétant que même si les recherches sur les trois axes continueront jusqu’en 2015, la France ouvrira son site d’enfouissement en 2025. Et vu qu’un laboratoire d’étude souterrain est déjà construit à Bure, petit village de la Meuse dont la dépopulation devrait limiter les risques d’opposition locale, pourquoi ne pas continuer et y construire CIGEO, ce fameux complexe d’enfouissement qui nous pend au nez depuis longtemps ? Car on peut se permettre d’avancer que la loi Bataille n’aura existé que pour donner un vernis de légitimité démocratique aux décisions de l’industrie nucléaire. La preuve en est de l’actuel « débat » public soi-disant participatif sur l’enfouissement, simple formalité administrative qui, de l’aveu même de Christian Bataille, rapporteur « socialiste » de la loi du même nom, ne remet pas en cause la décision d’enfouir [4]. Tout cela n’est qu’apparence car dans la réalité des faits, la décision prise dans les années 80 de cacher sous terre les déchets radioactifs n’a jamais été réellement remise en question.

ICEDA, condition indispensable à la politique de démantèlement

La décision de construire un site d’enfouissement contente bien nos gestionnaires de l’ingérable, qui pourront ainsi oublier leurs déchets radioactifs et laisser les générations futures gérer le désastre. Mais un nouveau facteur s’ajoute à l’équation : considérant l’age vénérable de certaines centrales de son parc nucléaire, l’État français décide d’en démanteler une dizaine, ce qui générera à court terme une grande quantité de déchets.

Il faut dire que la situation est compliquée : en 2005, la cour des comptes sort un rapport qui souligne les difficultés financières d’EDF. Les temps sont durs, et l’électricien français déjà lourdement endetté se sort mal de la crise. L’État, en tant qu’actionnaire majoritaire, fait un cauchemar : si EDF n’arrive pas à redresser sa situation financière, ce sera à lui – l’État, et par extension les contribuables – de payer le démantèlement des vieilles centrales. EDF est donc sommée de se dépêcher de trouver l’argent nécessaire, et d’entamer le démantèlement de ses vieilles passoires atomiques. Le plus vite possible.

Arrêtons nous cinq minutes sur le démantèlement des centrales, opération qui n’est pas sans risques. Pour les ingénieurs d’EDF, c’est même un vrai casse-tête : s’ils étaient conscients de la durée de vie limitée de leurs centrales, les concepteurs ont « oublié » d’inscrire le démantèlement dans leurs cahiers des charges. La conséquence est que personne ne sait comment démonter « correctement » une centrale : l’opération implique des risques importants, dénoncés par nombre d’opposants au nucléaires. Chaque exploitant y va de sa méthode et de ses suppositions, avec plus ou moins d’attention pour les impacts environnementaux. Ainsi, l’exploitant américain de Maine Yankee n’y est pas allé par quatre chemins, et a choisi en 2005 de démanteler son bâtiment réacteur à l’explosif. En France, certains se demandent si EDF a raison de confier cette tache risquée à des sous-traitants qui connaissent à peine les centrales qu’ils doivent défaire. Et quand bien même les conditions de démantèlement seraient améliorées (ce dont on ne peut que douter), il faut garder en tête que cette opération ne réduit en rien la radioactivité des installations : au prix de risques énormes, tout au plus permet-elle de déplacer des morceaux de centrales, qui sont et resteront longtemps hautement radioactifs et s’ajouteront au large stock de déchets déjà existant.

Le démantèlement de dix centrales nucléaires va donc produire des déchets radioactifs en quantités importantes. Où les mettre ? A Bure, CIGEO n’est pas près d’être opérationnel ; stocker les déchets sur les lieux de démantèlement nécessiterait la création de dix sites différents, avec autant d’enquêtes d’impact et d’études publiques, sans compter la gestion de ces entrepôts une fois en activité. Trop cher et trop lourd pour EDF, qui en plus redoute la confrontation avec plusieurs mouvements d’opposition locaux. En 2005, l’entreprise dépose une demande d’autorisation pour la création d’un site unique de stockage temporaire, en attendant que Bure soit prêt à recevoir les déchets du démantèlement. Ce site se nommera ICEDA, et sa construction débutera au Bugey dès 2010.

Le choix du Bugey n’est pas un hasard : située dans la vallée la plus industrialisée et nucléaire de France, une telle installation devrait passer relativement inaperçue. Les villages alentours croulent déjà sous le fric de l’industrie nucléaire : Saint Vulbas, petit village au pied de la centrale du Bugey, met à disposition de ses neuf cent et quelques habitants un centre aquatique grand luxe, un boulodrome digne d’une métropole et des courts de tennis flambants neufs. Autant dire que la population, employée en grande partie par la centrale, est acquise aux intérêts d’EDF et AREVA. Les antinucléaires locaux, regroupés depuis 2011 au sein de l’association SDN Bugey (membre du réseau Sortir Du Nucléaire), font souvent face à l’hostilité de ceux qui vivent de la centrale nucléaire locale.

Initialement prévu pour 2007, ICEDA a rencontré de nombreux retards et n’est toujours pas en service. Le programme de démantèlement d’EDF est lui même reporté, puisqu’il dépend directement de la mise en activité d’ICEDA. Début 2012, un horticulteur local réussit à faire annuler le permis de construction d’EDF pour sa poubelle nucléaire ; EDF n’apprécie pas, et demande à son tour l’annulation d’un permis de construire de l’horticulteur qui veut agrandir ses serres. Fin 2012, le conseil municipal de Saint-Vulbas modifie son plan d’urbanisme pour légaliser ICEDA, malgré certaines irrégularités dans la procédure [5]. Dans la foulée, EDF pose une demande pour un nouveau permis de construire. Le 28 Juin marquera la fin de l’enquête publique qui délivrera ou non le permis à EDF. D’ici là, Stop Bugey encourage les anti-nucléaires à envoyer une lettre au commissaire enquêteur pour faire part de leur opposition à ICEDA.

Les motifs d’opposition à ICEDA sont nombreux. Les risques locaux qu’engendrera la création de cette poubelle nucléaire sont déjà très importants : avec sa situation en bordure du Rhône et juste au dessus d’une nappe phréatique, les rejets radioactifs pourraient avoir des conséquences graves. Stop Bugey souligne aussi les risques sismiques de la région. Quand aux risques réels d’inondation, EDF est allé jusqu’à publier une carte de simulation dans laquelle les eaux seraient stoppées miraculeusement par la route départementale qui borde la centrale [6]. Les nostalgiques du nuage radioactif qui s’arrête aux frontières apprécieront. Parmi la liste des dangers, rajoutons les nombreuses installations industrielles à haut risque de la région (dont quatre entreprises classées « SEVESO niveau haut »).

Mais il faut surtout se rappeler qu’ICEDA se trouve à l’embranchement de deux programmes aberrants de l’industrie nucléaire française : l’enfouissement des déchets radioactifs et le démantèlement des centrales. Le sujet de l’enfouissement est particulièrement d’actualité, l’État animant ces mois-ci une série de débats publiques sur le sujet. De nombreuses associations antinucléaires ont lancé un appel au boycott de ces débats, pour la simple raison que l’État ne compte pas remettre en question l’enfouissement des déchets nucléaires. Quand au démantèlement, l’enjeu est simple : il n’aura pas lieu tant qu’ICEDA ne sera pas en activité.

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