Interview de Trijas, groupe de rap lyonnais

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A l’occasion de la sortie de « Second Rôle », l’album solo de Cyrz, et pour le plus grand plaisir de notre lectorat et du fan-club du hip hop indépendant lyonnais, voici un entretien accordé par deux des membres de Trijas, groupe à qui l’on doit déjà le très bon album « Quelques Valeurs ». On peut trouver les albums de Trijas à la Librairie La Gryffe, 5 rue Sébastien Gryphe dans le septième arrondissement (métro Saxe Gambetta).

Pouvez-vous faire un petit rappel de l’histoire et des influences de Trijas, groupe déjà mythique dans le monde entier, mais surtout à Lyon ?

Tonns & Cyrz : On était pas au courant que Trijas était mythique dans le monde entier mais c’est sympa de ta part de nous l’apprendre. L’histoire de Trijas a commencé en 1997 avec comme membres fondateurs Cyrz (rappeur et producteur) et DJ Saroumane qui aujourd’hui ne fait plus partie du groupe. C’est DJ Supa Jay du « Scratchs Bandits Crew » qui à présent est aux platines. Par la suite, Jahb (rappeur) est venu se greffer au groupe. Moi (producteur) j’étais déjà là mais je n’apportais que quelques avis musicalement car à cette époque, j’étais plus dans les instruments acoustiques à savoir la guitare et les percussions. En parallèle, quelques potes ont créé l’association MORDOR PRODUCTION en 1999 qui a pour but de produire et promouvoir le groupe pour chacun de ses projets. Ce n’est que quelques temps après que j’ai officiellement intégré le groupe. Nous avons « sorti officieusement » à 200 exemplaires une première maquette intitulée « L’essence » en mars 2000. C’est en réalité plus une compilation du travail fourni lors de nos 3 premières années qu’un véritable album. C’est en mai 2001 que le premier projet officiel de Trijas est arrivé dans les bacs avec un maxi 5 titres intitulé « Prologue ». Ensuite, nous avons sorti un E.P 8 titres « Le Paradoxe » en mars 2002 et le premier album de Trijas, sortie « presque nationale », « Quelques Valeurs » lui est sorti en avril 2004. Enfin, l’actualité, c’est donc la sortie du premier album solo de Cyrz, « Second Rôle », dans les bacs depuis début novembre. Pour nos influences, elles sont très larges puisqu’on a tous des parcours assez différents mais elles restent principalement afro-américaines.

Comment fonctionnez-vous collectivement, quelle est votre manière de
travailler ?

T : On travail d’abord de manière individuelle chez nous pour la prod et ensuite les Mc’s n’ont plus qu ‘à choisir dans ce qui a été réalisé. Comme on est deux à être concepteur musical (moi et Cyrz), les MC’s du groupe ont toujours un choix assez large. Une fois la prod choisie par les MC’s, c’est eux qui décident du thème traité qui en générale est inspiré de la prod. Ensuite on en parle tous ensemble et une fois le morceau écrit et maquetté, on juge si le morceau est de qualité pour le mettre sur un projet officiel.

C : En terme de thème, le choix est assez pointu en ce qui concerne l’écriture de nos textes. L’Ego-trip faisant partie intégrante de la culture Rap, nous ne pratiquons que très rarement le Rap pour la performance, dénué de message. Dans notre vision de l’écriture, il est important que l’auditeur en fin de morceau puisse dire de quoi nous avons voulu parler… Le style d’écriture, lui, tant à se simplifier au maximum car nous nous adressons aux gens du peuple et ne tenons pas à hériter d’une étiquette élitiste.

Dans quelles conditions s’est déroulé l’enregistrement de « Second Rôle » et quel accueil reçoit-il ? A quelles attentes cela correspondait-il ?

C : Nous avons commencé comme d’habitude par la musique. J’ai fait appel aux gens avec qui j’ai pris l’habitude de travailler, que ce soit Tonns, Jamaye ou Experimental pour les productions, ou bien DJ’Z et Romain Latelletin pour les arrangements sur certains morceaux. Dj Supa-Jay lui s’est investi sur toute la partie scratches de l’album. Etant des gens très productifs, j’ai eu la chance d’écouter entre 100 et 150 productions. L’écriture s’est effectuée sur une période de 8 à 9 mois. J’ai écrit une trentaine de morceaux, pour avoir le choix et ne retenir que le meilleur de ce que l’on attendait. Cet album est le premier album solo d’un membre de Trijas mais comme je me plais à le dire, il n’y a jamais eu autant de monde sur un seul de nos projets précédents. J’ai par conséquent conservé un travail d’équipe, à la différence que la responsabilité du choix final m’était attribuée. A l’arrivée nous sommes tous tombés d’accord avec la majeure partie de l’album donc le choix fût relativement simple. Cette idée d’album germait depuis la fin du projet précédent et correspondait à une envie de ma part. Me considérant prêt pour « le grand saut », ayant l’équipe à mes côtés, ce ne fût pas difficile pour moi de me lancer.
A ce jour le disque n’est distribué que sur la région Lyonnaise. Nous élargirons la distribution dès le début de l’année 2006 car il est difficile pour nous d’assumer la promotion d’un projet sur un court laps de temps dans toute la France. C’est un peu tôt pour savoir comment à été accueilli cet album, car il faut le temps que « le bouche à oreille » face son effet et il nous reste des dates de concerts à réaliser dans la région. Si l’on en croit ce que les forums Internet en disent, pour l’instant ce disque est bien perçu par les gens qui l’ont écouté, mais nous avons encore beaucoup de travail devant nous pour amener les gens à découvrir ce disque.

Quels sont vos objectifs en tant qu’artistes rap, qui souhaitez-vous
toucher et de quelle manière ?

T : C’est d’abord de se faire plaisir en faisant de la Zik qu’on aime, ensuite, il y a plusieurs objectifs dans ce que l’on fait, comme faire avancer le rap et toute la culture qu’il y a autour. Moi, c’est plus subliminal comme message puisque je ne m’exprime qu’à travers des sons donc se sont plus des sentiments que je tends à transmettre. Après, j’aspire à toucher un maximum de gens sans viser une tranche d’age ou une classe sociale en particulier avec le peu de moyens qui sont à notre portée.

C : On écrit et on rappe pour qui veut bien l’entendre et se sentira concerné, que ce soit par les textes, par la musique ou par le ressenti général de notre travail…

Décrivez-nous le paysage hip hop lyonnais, notamment indépendant… Vos copinages… Et puis que pensez-vous du rap hexagonal ?

C : Le Hip Hop Lyonnais est peu structuré. Ils y a sur Lyon et ses alentours plus de 200 groupes de Rap. Combien font réellement parler d’eux ? Une dizaine et je suis généreux. Une minorité de groupe travail avec un réel professionnalisme, mais ils manquent cruellement d’infrastructures pour les concerts, pour réaliser des résidences, et puis manquent de soutiens médiatiques, mais il n’y a rien de nouveau dans tout cela. En ce qui concerne les connexions, nous fonctionnons au ressenti et au relationnel. Il se trouve que les gens avec qui nous nous entendons le mieux sont ceux qui produisent un rap qui est proche du nôtre. Nous travaillons depuis plusieurs années maintenant avec Les Lynxs (Experimental et Le Songeur) qui sont réellement nos frères de sons. Et puis également avec Meuss Lee dont l’album est en préparation, et Casus Belli qui prépare également un nouveau projet. Aujourd’hui ces personnes sont plus que des featurings ou des connexions Hip Hop, ce sont des potes. Parce qu’il y a une fibre commune qui s’appelle l’aspect humain. et ça dépasse le cadre de la musique. Nous travaillons en fait avec des gens qui n’oublient pas qu’ils sont des humains avant d’être des Rappeurs et surtout qui ont l’amour de cette musique avec des choses à dire.

Que pensez-vous de la politique culturelle lyonnaise ? Est-ce que vous
pouvez nous décrire ce qui s’est passé aux Guinguettes cet été sur les quais ? « Le format passe et l’art s’efface » ?

C : Il n’y a toujours que très peu d’efforts fournis, puisque comme je te le disais précédemment nous manquons de moyens pour exprimer notre culture Hip Hop. Alors bien sûr quand certains parviennent à s’élever, ils sont les bienvenus mais seulement après leur « succès ». La Culture Hip Hop commence à être un peu mieux accueillie mais ce n’est pas le cas de toutes ses composantes. Pourquoi la Star’Ac est accueillie place des Terreaux un mercredi après midi et fait bien entendu le plein, quand dans le même temps, les groupes de Rap galèrent pour obtenir un créneau lors de la fête de la musique dans leur propre ville ? Le Rap soufre encore à ce jour d’une très mauvaise réputation et le pire c’est que ses propres acteurs en sont parfois la cause. Ensuite la peur de l’Autre et tous les clichés à la con que cette culture traîne depuis le départ, font le reste… Mais je le répète, nous n’avons que trop peu de soutien médiatique. Que doit-on penser ou dire, quand une certaine presse locale, qui se targue d’être la référence de l’actualité culturelle de cette ville, t’accorde lors de la sortie de ton troisième disque, 5 lignes pour dire que ta musique est super et qu’ils ne prennent même pas la peine de mettre le facing et préfère laisser un espace blanc, plus conséquent que l’article proprement dit ? Merci ? Même les organismes culturels dit spécialisés dans le domaine Hip Hop sont plus soucieux de faire jouer leurs potes ou les gens qu’ils jugent bon de mettre en avant, plutôt que de suivre l’actualité et de braquer les spots sur les gens qui font réellement vivre cette culture par des actes concrets. Le problème est vaste et n’est pas propre à Lyon. Il est présent partout et dans tous les domaines culturels, c’est copinage et m’as-tu vu…
Concernant les guinguettes, je n’ai pas de commentaire particulier puisque j’étais en pleine préparation d’album et que je n’ai pas vraiment suivi cet événement.

Qu’est-ce que ça vous inspire de voir deux cents élus U.M.P. exiger une censure dirigée explicitement contre des rappeurs, alors que l’histoire du rap français est jalonnée de procès (dont récemment ceux de La Rumeur) ?

T : Pour moi, sa montre une fois de plus que la liberté d’expression en France n’est qu’une légende et qu’ils feraient mieux de concentrer leur travail sur les problèmes qu’on rencontre dans les quartiers pauvres comme les cités et autres plutôt que de perdre leurs temps dans des procès qui n’arrangent rien.

C : Que pendant que l’on parle des procès des rappeurs, on ne parle pas de la privatisation des établissements de l’enseignement, événement qui donne les pleins pouvoirs à qui de droit pour évincer la tranche sociale voulue du cursus scolaire poussé. Que l’on ne parle pas de l’aide au logement attribuée en priorité aux SDF ayant un emploi, mais pas ceux qui sont SDF sans emploi, que l’on ne parle pas d’un homme qui est ministre deux mois dans sa vie, touche son salaire d’environ 15 000 euros jusqu’à la fin de ses jours, bref pendant ce temps, on ne parle pas de plein de choses… La liberté d’expression, quand à elle… tanpis…

Quelle serait votre analyse des dernières semaines dans les banlieues
françaises pauvres ?

C : Que l’on ne peut pas dire tout et n’importe quoi sur n’importe qui. Lorsque le peuple réagit en masse, il n’emploie malheureusement pas les bons procédés. Je déplore le manque de raison dans les rues, tant du côté manifestants que policiers. Cela dit lorsque l’irrespect atteint des proportions aussi monumentales et que cela sort de la bouche de gens qui nous gouvernent, de quelle raison peut-on parler ?

T : Moi ce sont des actes que je ne crédite pas car cela ne mènera pas à grand choses de brûler la voiture de ton voisin qui est dans la même merde que toi ou l’entreprise dans laquelle ton père bosse mais je comprends que des gens en arrivent là, tellement la situation est pitoyable.

Et vos réactions par rapport à la répression, au déchaînement raciste,
sécuritaire et répressif des politiciens français ? Il paraît que vous avez
joué sur une compilation intitulée « Insécurité » ?

C :Oui, nous avons participé à la compilation Insécurité, qui est la Bande Originale d’un court-métrage portant le même nom, réalisé par Sébastien Pascot. Pour ma part, je pense que le racisme est un phénomène profondément ancré et que les hommes politiques de ce pays n’hésitent pas à user de ses effets dévastateurs. J’ose espérer que les citoyens français n’auront pas oublié comment un certain parti avec le concours d’une certaine chaîne de télévision ont réussi en l’espace de quelques mois à instaurer un réel climat de peur, dans le but d’amener le FN au second tour. J’ose espérer également que les citoyens de ce pays ne verront pas un champion de l’ordre et de la discipline dans celui qui a mis le feu à toutes les banlieues, comme ça n’avait pas été le cas depuis des dizaines d’années. Mais les gens de faibles conditions sociales sont dans un tel climat de restriction, qu’ils ont besoin de coupables. Le racisme est la symbolique de l’Intolérance. Notre Histoire en regorge et les évènements se répètent car la mémoire historique ne fera jamais le poids face aux besoins urgents et quotidiens d’un Homme de faible conditions sociale, et les politiques le savent bien.

Quels sont les prochains projets de Trijas et de ses membres ?

C : Le prochain projet sera l’album solo de Jahb, l’autre rappeurs de Trijas. A ce jour, on travaille également avec Tonns sur l’album de Meuss Lee. Ces deux projets devraient voir le jour en 2006. Sinon nous allons continuer pendant toute l’année à poursuivre la promotion dans toute la France, de mon album « Second Rôle »,
Merci à toute l’équipe du Popouri et à bientôt…

TONNS et CYRZ
du groupe TRIJAS, interview réalisée par Hip Hip Hop Houra. Les disques de Trijas sont disponibles à la librairie La Gryffe, 5 Rue Sébastien Gryphe dans le septième arrondissement.

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