L’Ecole, telle que je l’entends, c’est une institution par laquelle s’effectue la transmission des savoirs. Si il fallait une institution pour que celle-ci s’effectue, c’est sans doute qu’en dehors d’un certain cadre, la transmission des savoirs se fait de façon relativement discriminatoire à l’égard des classes pauvres (déjà là, celui qui ne supporte pas la notion de classe doit se dire que je suis un marxiste et se demande s’il doit continuer de lire). Pourquoi ? Parce que la précarité, la nécessité, ne sont pas de bon vecteurs d’indépendance et ne permettent pas de se consacrer correctement à l’étude. L’égalité des chances, qu’on se le dise, ça n’existe que dans la tête des riches. L’Ecole n’est pas là pour donner une « égalité de chances », mais pour permettre à chacun, quel que soit son milieu, de recevoir un socle minimum de savoirs qui soit a peu près égal à celui de ses autres camarades du même âge, quel que soit leur milieu social d’origine. Mais les pauvres n’ont pas la vie facile et faire les devoirs à la maison demande souvent du caractère. L’égalité des chances serait sans doute possible si le riche donnait sa bibliothèque et son salon à l’enfant du pauvre pour travailler dans de meilleures conditions. N’en parlons plus, sinon ça risque de sonner « lutte des classes » et le propos n’est pas là.
Ce qui m’intéresse davantage, c’est de dresser le portrait de l’Ecole d’aujourd’hui. Ferry l’avait voulu laïque, gratuite et obligatoire. D’autres l’ont rendue mixte. De quoi réjouir le mauvais gaucho que je suis, mais pas un certain nombre d’autres : « laïque » ça dérangeait l’Eglise qui perdait son emprise sur la transmission des savoirs, « gratuite » ça dérangeait les riches qui vomissaient (et vomissent toujours, mais de manière plus élégante) sur la démocratisation de l’enseignement, « obligatoire » ça a fini par déranger les capitalistes libéraux qui se voyaient privés de leur main-d’oeuvre infantile envoyée sur les bancs de l’école. Mais tout s’est bien passé, puisque l’école, à défaut de transmettre des savoirs incitant à l’émancipation des individus, a su intégrer dans ses programmes un savant mélange de valeurs traditionnelles et républicaines, de morale et de soumission à l’ordre établi, qui font que les enfants qui sortent de l’école sont prêts et dispo pour s’adapter à la machine, au rouleau compresseur qu’on appelle poliment « monde du travail ».
Vous allez sans doute vous demander : de quelle école parle-t-il ? De celle d’autrefois ou de l’actuelle ? Et bien c’est la justement que je vais pouvoir placer mon négativisme, car il m’apparait désormais clair comme de l’eau de roche qu’après un bref moment d’espoir nous sommes retombés dans l’ancien schéma, agrémenté d’une sauce tout à fait nouvelle qui s’appelle « incompétence ». On va placer la rupture, et vous m’en excuserez sans doute, à mai 1968. Oui, il y a bien un avant 68 et un après 68. Avant, on peut dire que l’Ecole était rigide et autoritaire. Il suffit de regarder les photos de classe de l’ancien temps pour voir que sourire n’était pas de mise. Apprendre par coeur les départements français, les joies et avantages du capitalisme et de la colonisation, ne pas moufter sous peine de recevoir des coups de règle et de porter le bonnet d’âne, tout ça faisait partie de l’Ecole d’avant. Certains me rétorqueront sans doute « faux ! dans mon école c’était la petite maison dans la prairie », mais quand même globalement, l’Ecole de l’époque était du genre stricte (ordre et morale y étaient de rigueur). Puis il y a eu cette espèce de tornade pubertaire, ce cyclone estudiantin, cette grosse crise d’adolescence de la jeunesse privilégiée, sans doute suffisament touchée par les interdits, la pudibonderie traditionnelle, l’omerta familiale et le besoin d’égalitarisme, pour faire de la mixité dans les dortoirs leur cheval de bataille pour la révolution bobo en devenir. Et à partir de là, tout le monde s’est laché, estimant que l’ordre et la morale devaient laisser la place à une libération sexuelle et sociale, accompagnée de nudisme, de combats de rues et de principes durement marxistes pour réorganiser la société de l’usine jusqu’à l’Ecole. Plus question de se voir imposer les règles par en haut ! Tout à fait d’accord, mais pour moi c’est là que ça commence à merder... (peut-être parce que Marx a été laissé de côté une fois la tempête passée...)
Au même titre que les Lumières, à trop vouloir l’abolition des contraintes, ont engendré sur le siècle qui les a suivi le néo, puis le méga-ultra-archi-libéralisme, les révoltés de 68 ont provoqué dans notre système éducatif l’essor formidable de la démagogie, puis de l’inconséquence, voire de l’incompétence. Que dans les usines, les rapports hiérarchiques soient mis à plat, que l’ouvrier participe à l’organisation de son usine, etc., c’est une très bonne chose. Que dans les écoles on abandonne l’enseignement de la morale et de l’ordre, c’est aussi une très bonne chose. Mais que le rapport enseignant / élève soit progressivement remis à plat, qu’on décrête que l’apprentissage de tête est aliénant, que l’élève doit « apprendre de façon ludique » et qu’il faut adapter les programmes en fonction des difficultés rencontrées par les élèves les moins bons, alors là vraiment pas ! Et même si les principes n’ont jamais été posés de cette façon, c’est ce qui est entré peu à peu dans les habitudes, aussi bien de la population que des élites. A trop user de pédagogie à défaut d’apprentissage, les élèves ont progressivement vus leurs connaissances s’alléger à mesure que les programmes eux-mêmes ont été allégés. Si l’on demande à l’élève de choisir ce qu’il veut apprendre, voila ce qu’il se produit. Plus les résultats sont mauvais, plus on allège les programmes. Et j’irai même plus loin : plus le cerveau des élèves se vide, plus l’école devient une jungle, et plus la tenue d’un cours devient impossible. D’année en année, l’Ecole s’est transformée en garderie, ou le prof devient la cible des parents d’élèves, le responsable de tous les maux, la bête à abattre. Et si ne plus savoir ses multiplications ou la conjugaison des verbes, ça n’empêche plus l’élève d’entrer au lycée, c’est aussi la faute aux profs. Méchants profs !
« De toute façon, l’Ecole ça sert à rien ! Ca ne forme même pas au monde du travail ! » La phrase est lâchée... Devant l’incurie du système éducatif, tout ce que trouvent à répondre les couches-culottes qui nous dirigent, c’est de supprimer des postes de profs, de réduire les moyens, d’alléger encore les programmes, d’autoriser le travail à 14 ans (les stages, c’est du travail pas payé, et rien d’autre), d’instaurer des cours d’informatique dés le primaire et de beugler à tout va qu’il faut préparer davantage les enfants au monde du travail... « Fuyez l’Ecole Publique, fuyez tant qu’il est encore temps ! » semblent crier les grassouillets de l’Assemblée, « Tous au privé ! ». Là, on vous enseigne l’histoire des religions, la morale républicaine, la discipline, l’écriture de CV et Lettres de motivation, que du bonheur ! C’est ça le vrai savoir ! Et pour ce qui est de l’Ecole publique, mieux qu’à l’époque ou les pauvres n’allaient pas à l’Ecole, on a désormais trouvé le moyen de les y envoyer juste le temps de leur apprendre comment être corvéable à merci et avec le sourire. Et tant que l’Ecole publique existe, pour ce qui est des lacunes scolaires, pas de soucis, puisque Acadomia, Complétude, Keepschool, Kelprof ou autres Stoody sont là pour ratrapper tout le boulot que les mauvais et méchants profs ne font pas. Pour qui peut payer...
Et là je deviens médisant : en rejetant de plus en plus de monde en dehors du système scolaire public, les pauvres vers l’usine (appelez ça « apprentissage » si le terme vous réconforte) et les riches vers le privé, tout en favorisant la mise en place de cours à domicile, c’est à dire ni plus ni moins d’une école parallèle, libérale et payante, n’y a-t-il pas une volonté réelle de saborder l’Ecole Publique ? Qu’on ne se trompe pas, Jules Ferry se retourne déjà dans sa tombe ! Et ce n’est pas prêt de se terminer, car nous assistons à une terrible descente aux enfers de l’Enseignement public, que ce soit au niveau du savoir transmis ou des comportements d’élèves. Tout foutra le camps, parole de pion ! (et vous savez quoi, je m’en réjouis presque, vu l’état d’immobilisme dans lequel nous sommes réduits).
Bien à vous,
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