Dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, l’histoire des « tirailleurs sénégalais » est passée sous silence, alors que leur action a été déterminante, spécialement lors de la campagne d’Italie et durant la libération du territoire français métropolitain. Absente des manuels scolaires, rien ou presque rien ne témoigne de la présence déterminante des Africains dans la guerre contre le nazisme et ses alliés. C’est pourtant en Afrique que De Gaulle organise la résistance et, vu le peu de soutien de ses compatriotes, c’est sur le sol africain qu’il finit par trouver la plus grande partie de l’Armée française de Libération. Ainsi l’Armée française de Libération est entre 1943 et 1945 composée entre 50 à 65% de soldats d’origine africaine (« tirailleurs sénégalais » et combattants d’Afrique du Nord). Sans compter les républicains espagnols de la Nueve. Mais, comme dans de nombreux domaines, la République française, son armée, ses politiciens et son Éducation nationale ont encore fait le choix de la falsification historique afin de promouvoir le mythe résistancialiste, le rôle essentiel des troupes coloniales étant passé sous silence.
L’enrôlement des Africains dans l’armée française
Si le premier bataillon des « tirailleurs sénégalais » a été formé à Saint-Louis-du-Sénégal, la majorité des soldats ne sont pas originaires du Sénégal. Ils viennent du Mali, du Burkina Faso, du Tchad de l’Afrique-Occidentale française ; et du Soudan, de la République Centrafricaine, du Gabon de l’Afrique-Équatoriale française.
La République française a souvent utilisé des méthodes barbares pour enrôler les Africains. Charles Onana, dans son livre La France et ses Tirailleurs, cite le témoignage d’Ateba Yene :
Dans les villages, la mission ambulante de mobilisation forcée faisait rage. Les indigènes à la carrure d’athlète étaient ramassés et attachés par une corde autour des reins avec comme lieu de destination la boucherie nazie.
Les missionnaires catholiques, eux-aussi, ont joué un rôle très important. L’évêque français, Monseigneur Graffin [1], en 1941, avec la connivence d’un administrateur cerbère nommé Salin, organise une rafle ignominieuse au sortir d’une grand-messe à la mission catholique de Mvolyé, la seule église qui accueillait tous les fidèles de Yaoundé. A la sortie de la messe, l’église est cernée par un cordon de soldats mitraillettes aux poings. Ces fidèles sont embarqués sans ménagement dans des camions militaires...
Nombre d’Africains ont donc ainsi été enrôlés de force dans l’armée française.
Lorsque commence la Seconde Guerre mondiale, entre 1939 et juin 1940 ils sont 178 000 Africains et Malgaches à être enrôlés dans les colonies pour combattre dans l’armée française. Huit régiments de “tirailleurs sénégalais”, soit environ 40 000 hommes, prennent part à la Bataille de France. Entre le 10 mai et le 25 juin 1940 c’est 17 000 tirailleurs qui sont tués ou massacrés. Ils sont souvent tués à l’arrière des combats dans des conditions atroces, et sont ainsi parmi les premières victimes sur le sol français du racisme nazi. Les tirailleurs sont une des forces les plus touchées de l’armée française. Ainsi s’ils ne représentent que 1% des soldats "français" engagés dans la bataille de France, ils représentent entre 15 et 29% des soldats tués dans les combats.
Abandonnées dans la débâcle, décimées lors d’exécutions sommaires, ces troupes coloniales remplissent les frontstalags (camps de prisonniers de l’Armée allemande), quand ils ne sont pas exécutés sur place. Les forces de la France Libre se reconstituent en Afrique entre autres sous l’égide du gouverneur Félix Éboué. Tous n’étaient pas volontaires, loin de là, mais la moitié des troupes "françaises" qui débarquent en Provence avait été recrutée dans les colonies africaines. La division Leclerc, qui participe à la Libération de Paris, était elle-même en grande partie constituée d’Africains, ainsi que de républicains et d’anarchistes espagnols.
Massacre dans un combat "pour l’honneur" au Nord de Lyon, les 19 et 20 juin 1940
Le 17 juin 1940, Pétain, nouveau chef du Gouvernement fait un discours officiel à la radio où il annonce qu’« il faut cesser le combat » et qu’il recherche avec l’ennemi « les moyens de mettre un terme aux hostilités ». Si le lendemain, le 18 juin, de Londres, le général de Gaulle prononce son fameux appel qui appelle à continuer le combat, la situation en métropole est évidente, la débâcle est totale et Lyon est déclarée ville ouverte le même jour que l’appel du général. Mais, le 19, les Allemands se rapprochent de Lyon, c’est la confusion gouvernementale la plus complète, la situation est désespérée et ce n’est pas pour rien que l’armée française place aux entrées Nord de Lyon le 25e régiment de tirailleurs sénégalais, évitant ainsi aux français métropolitains le maximum de pertes. Le régiment est composé de quelques gradés français, mais surtout de soldats africains soudanais et sénégalais. Les officiers savent que ce sera un combat perdu et parlent eux-mêmes de « combat pour l’honneur ».
Dans son secteur, dont la vingtaine de kilomètres de front dépasse largement ses moyens, le colonel commandant le 25e RTS a placé deux bataillons, selon les ordres reçus de son supérieur, sur "la ligne générale Curis, Saint-Germain-au-Mont-d’Or, Chasselay, Marcilly-d’Azergues, Lozanne, L’Arbresle" et s’est gardé une faible réserve à hauteur de Champagne-au-Mont-d’Or où il a installé son poste de commandement.
Mais ces ordres précisent en outre : « En cas d’attaque, tenir tous les points d’appui sans esprit de recul, même débordé. Conserver à tout prix l’intervalle Saône-Azergues par où passe la N6. »
On le voit, au besoin, se faire tuer sur place.
La bataille fait rage ce 19 juin dès 9h30, et particulièrement à Chasselay, devant le couvent de Montluzin, submergé par la Wehrmacht vers 16h. Le 20 juin, près de la montée de Champagne, 27 soldats sont fusillés alignés contre un mur au bas de la montée de Balmont (devant l’ancien squat Rock&Roll Vengeance) : sur le mur du 3, montée de Balmont, on peut lire cette plaque : « Le 19 juin 1940, ont été lâchement assassinés 27 soldats sénégalais qui résistaient aux hordes nazies ». On peut se demander si les plus lâches dans cette affaire ce ne sont pas les autorités françaises qui envoyèrent les troupes coloniales à une mort certaine dans un combat inutile !
Au lieu dit "Vide-Sac", tous les Africains sont hachés à la mitrailleuse et au canon des chars allemands. Les blindés écrasent de leurs chenilles les morts et les agonisants. Partout, par racisme, les nazis font la chasse aux Africains pour les abattre, y compris les prisonniers, laissant la vie sauve uniquement aux rares officiers "blancs". Au cours de ces journées, tous les soldats Africains découverts par les Allemands sont systématiquement exécutés. La tuerie sera telle que sur 1 800 hommes, il y aura 1 333 morts dénombrés et ce seront, sauf un ou deux, tous des Africains.
Un cimetière, appelé Tata sénégalais a été érigé en 1942 à Chasselay. Il s’agit d’une initiative privée financée par les habitants de Chasselay, choqués par ces évènements barbares. Le gouvernement français à Vichy a refusé de payer pour un tel édifice. Le cimetière ne contient que 188 corps, les autres victimes ayant été pour la plupart brûlées sur place. Mais à Lyon on se souvient surtout, quand on parle des désastres de cette guerre, des bombardements américains de 1944, ayant touché plus profondément la population lyonnaise, sur Givors et la gare de triage de Badan, le quartier Jean-Macé et la gare de la Guille, le quartier Gare de Vaise et le quartier de l’Industrie à St Rambert. Ces bombardements américains, sensés bloquer les gares sur Lyon, ont fait, eux, 717 victimes. Même si ce nombre est important, c’est moins que le total des "tirailleurs sénégalais" tués par les nazis en deux journées de combat désespérés et inutiles.
C’est pourquoi il est très important d’informer que l’armée française a sacrifié de très nombreux tirailleurs sur le sol du Grand Lyon en juin 1940. Pour ne pas oublier les sacrifiés pour « l’honneur », les oubliés de l’Histoire de Lyon.
À Thiaroye, le 1er décembre 1944, l’armée française massacre des Africains qui avaient combattu pour la "France" !
Les problèmes continuent à la Libération, dès 1944. Les soldats français "blancs" et les “tirailleurs sénégalais" ne sont pas traités également. Les soldes, les promotions, les équipements, sont différents. D’énormes discriminations apparaissent pour les calculs des indemnités des prisonniers. Très souvent les prisonniers Africains libérés se retrouveront sans équipement et sans argent. En novembre 1944, de nombreuses rébellions se produisent en plusieurs endroits, à Morlaix, à Hyères, à Versailles, et l’armée française décide un retour forcé en Afrique. Le massacre de Thiaroye se déroule au Sénégal.
Le 21 novembre 1944, plus de 1 600 “tirailleurs sénégalais” (officiellement 1280) sont débarqués à Dakar et sont réunis dans le camp militaire de transit de Thiaroye-sur-mer pour être démobilisés. La plupart sont des prisonniers de guerre qui se sont battus lors de la Bataille de France de mai-juin 1940 et la plupart sont restés prisonniers des Allemands sur le sol de la métropole française durant quatre longues années, employés comme travailleurs forcés dans des fermes ou des usines d’armement. Dès leur arrivée, on leur retire leurs uniformes militaires pour les remplacer par une tenue plus ordinaire, et c’est à ce moment-là qu’on les oblige à mettre le désormais bien connu chapeau rouge du mépris. Surtout, leur pécule constitué de leurs arriérés de solde (un quart aurait dû être versé avant l’embarquement) et de la prime de démobilisation ne leur est pas versé. Face à la désillusion devant les promesses non tenues par l’administration et l’armée française, les humiliations à cause de la couleur de la peau, et le racisme de la hiérarchie militaire au sein de l’armée française, ils insistent néanmoins pour réclamer leur solde.
Un groupe de tirailleurs qui devait être acheminé à Bamako refuse de partir le 28 novembre tant qu’il n’a pas été intégralement payé. Le général Marcel Dagnan décide de s’adresser directement aux tirailleurs. L’échange est direct et sa voiture, mais surtout son autorité, sont bousculées. Le général finit par leur promettre de régulariser la situation et il quitte les lieux. Mais c’est un énorme mensonge !
Le 1er décembre 1944, le général Dagnan prend la décision de faire une démonstration de force, en accord avec son supérieur, le général Yves de Boisboissel. Des gendarmes, renforcés de soldats issus des 1er et 7e régiments de "tirailleurs sénégalais" et 6e régiment d’artillerie coloniale, appuyés par un char léger M3, deux automitrailleuses et un half-track sont mobilisés. Les sources divergent sur l’heure du massacre, mais soit vers 3h du matin, soit vers 9h30, les troupes françaises ouvrent le feu et attaquent le camp.
On ne connaît pas le nombre exact de tués : 30 ? 60 ? 100 ? D’autres chiffres plus impressionnants sont donnés. Il n’y a jamais eu de commission d’enquête indépendante sur cette affaire [2]. Un rapport du 2 décembre 1944, le lendemain, parle très officiellement de 35 tirailleurs morts, chiffre qui est encore aujourd’hui considéré comme le bilan officiel selon le gouvernement français. Le président François Hollande, dans un discours prononcé à Dakar le 12 octobre 2012, est le premier homme politique français à rappeler officiellement cette tragédie : « La part d’ombre de notre histoire, c’est aussi la répression sanglante qui en 1944 au camp de Thiaroye provoqua la mort de 35 soldats africains qui s’étaient pourtant battus pour la France. J’ai donc décidé de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu’elles puissent être exposées au Musée du mémorial. ». Mais les chiffres officiels sont flous, et visent clairement à réduire l’importance du massacre. Un autre rapport militaire, tout aussi officiel mais non retenu, datant du 5 décembre 1944 parlent de « 24 tués et 46 blessés transportés à l’hôpital et décédés par la suite », soit 70 victimes. Les chiffres réels des morts, des blessés et des disparus étant sûrement bien supérieurs.
De plus 34 tirailleurs sont jugés le 6 mars 1945, condamnés à des peines allant de un à dix ans de prison, à une amende de 100 francs de l’époque et ils perdent leurs droits à l’indemnité de démobilisation alors que beaucoup sortaient de quatre ans d’internement et de travaux forcés dans les Frontstalags allemands !
Oui, les "tirailleurs sénégalais" ont payé très cher leur confiance dans la république française, ses politiques, son administration et son armée ...
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