La Guillotière, entre sécuritaire et opérations immobilières

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Le quartier de la Guillotière est depuis le moyen-âge marqué par une forte diversité en terme de population. Lieu interlope à la croisée des routes commerciales, échappant au contrôle de l’administration centrale, le quartier a toujours été un support aux fantasmes de classes dominantes qui y voyaient un bouillonnement porteur de menace pour l’ordre établi.

Le leitmotiv qui hantait déjà les esprits de la bourgeoisie du XIXe, « classes laborieuses, classes dangereuses » préside encore aux représentations que se font du lieu les classes moyennes et « supérieures » (sic), à ceci près que l’inconscient colonial vient s’y surajouter, particulièrement en ce qui concerne la place du Pont lieu-centre et symbole du quartier.

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Espace central de sociabilité pour les populations d’origines maghrébines, qu’il s’agisse de la vieille génération (harkis et travailleurs immigrés pour raisons économiques) ou plus récemment de sans papier d’origine nord-africaine, la Place du Pont est pour ces dernières un lieu de sécurité liée aux réseaux de solidarité qui s’y croisent, d’échange économique informel.

Prétextant le deal de hachisch pourtant sévèrement encadré et paradoxalement facteur de régulation sociale dans le quartier, pour la municipalité comme pour les classes moyennes et « supérieures » (re-sic), le lieu s’apparente dans les perceptions à un espace en marge, tant au niveau de l’économie formelle que de la sociabilité conventionnelle, mais également comme un espace d’insécurité, essentiellement parce que sortant des cadres normatifs de la ville d’Europe du nord.

En effet, l’occupation masculine statique de l’espace, typique des espaces méditerranéens, qui n’est pas liée directement à des pratiques de consommation, même si elles s’organisent notamment autour d’un marché informel et de centres d’appels téléphoniques internationaux, s’oppose à un modèle d’usage de l’espace urbain en Europe du nord qui repose sur la fluidité et le conditionnement du stationnement par des pratiques de consommation (cafés, restaurants...). L’inconscient colonial et normatif
occidento-centré assimile cet usage de l’espace au danger (celui du « sauvage », reproduction des exécrables clichés coloniaux remis en selle il y a quelques années par Chevènement avec ses termes « sauvageons » et « zones de non droit »), à l’insécurité, en même temps que le discours et la perception évoluent de « classes laborieuses classes dangereuses » à « classes laborieuses-immigrées classes dangereuses ».

Le quartier est ainsi au centre d’un projet de remodelage de
l’espace urbain qui repose sur l’éternel triptyque « réhabilitation, hausse des loyers, expulsions des classes populaires en périphérie » dont on a pu constater la redoutable efficacité dans les quartiers de Saint Jean et de la Croix Rousse. La Guillotière et le quartier Moncey qui la prolonge au nord, de par leur situation proche du
centre, représentent une perspective juteuse de profits pour les promoteurs.

Le quartier Moncey est ainsi, du fait de l’action opiniâtre de son comité de quartier et de la résistance de ses habitant-e-s, le dernier obstacle à l’aboutissement du projet de percée Moncey qui relie le pont de la Guillotière et ce faisant Bellecour, au quartier de la Part-Dieu, par une vaste percée bordée de magasins. Pour réaliser à bien ces projets qui pourraient s’avérer une forte source de profits, il faut cependant arriver à expulser de la place ces populations qui font tant peur au/à la bourgeois-e et au/à la bon-ne contribuable moyen-ne, parce que tout ce qui est différent est aujourd’hui perçu dans notre société comme une menace. Il faut pour la mairie et les promoteurs se débarrasser de ceux et celles qui sont considéré-es comme pénalisant l’attractivité du quartier pour les populations solvables.

Dès lors, tous les moyens sont bons : multiplications des travaux devenus interminables pour gêner les rassemblements sur la place et inciter les populations à se trouver d’autres lieux de rencontre, intense pression policière, avec multiplication des descentes et usage des GIR (Groupes d’Interventions Régionaux), le nouveau joujou de Sarko-flic, humiliation, hausse spéculative des loyers...

Le projet est clair, comme le montre un article du progrès de mai 2002, qui nous donnait à voir une projection virtuelle de la future place : un lieu aseptisé, d’où le rassemblement quotidien de vieux algériens aurait disparu, cédant la place à des couples en costards et tailleurs, à poussette...

Une belle image d’Epinal, mais qui est fort heureusement écornée par la résistance opiniâtre des populations qui refusent de partir, parce que ce lieu, avec les magasins orientaux, bazars, épiceries du quartiers, est un espace d’intense sociabilité qui structure une part de la communauté maghrébine lyonnaise.

Bakou

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