La contestation moderne : nouvelle forme de consumérisme ?

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Depuis une dizaine d’années maintenant la contre-culture a le vent en poupe. Des films de Michael Moore aux livres de Naomi Klein en passant par la brochure « Indignez-vous » de Stephane Hessel, le succès est au rendez-vous. Les manifestations alter-mondialistes essaiment, les lignes éditorialistes subversives éclosent, et, partout, germent des réunions publiques citoyennes s’inquiétant des effets nocifs produit par le néo-libéralisme. Si l’on doit juger tout cela à l’audience, nous pouvons dire avec certitude qu’un vent de contestation sans pareil balaie l’Occident. Que l’adhésion des classes cultivées à l’ethos capitaliste a du souci à se faire et qu’un regain de l’intellectualisme à l’appui des classes populaires pourrait fissurer les murs de la Babylone libérale.

Seulement voilà, rien n’a changé, ou si peu. La critique radicale gagne, certes, énormément de terrain, mais les pratiques individuelles n’enregistrent pas d’inflexions notables de même que les organisations militantes n’enregistrent pas de hausse spectaculaire de leurs adhérents. Le renversement de l’ordre social est donc en suspens, comme si la remise en cause du système capitaliste ne pouvait dépasser le stade de la critique.

La plupart du temps deux arguments sont mis à profit pour expliquer cela : 1- l’absence crédible d’alternative à grande échelle au capitalisme et 2- le discrédit notable qu’engendre la classe politique dans son ensemble. On peut en rajouter un troisième : le rapport ambigu que « l’esprit de contestation » entretient avec « l’esprit de marché ».

Fernand Pelloutier nous l’apprend : « Pour avoir la conscience du bonheur il faut d’abord connaitre la science de son malheur », Serge Halimi complète : « La lucidité est une forme de résistance ». Le savoir est une arme, l’acquérir permet de comprendre la logique mécanique de l’exploitation, des hiérarchies et de l’origine de l’ordre social. L’on peut, en sachant cela, au pire y collaborer, au mieux critiquer pour, enfin, s’unir et briser les rouages du système. Le savoir critique est donc émancipateur de celui qui l’acquiert. Mais quels usages en font ceux qui le possèdent ?

Les rassemblements massifs de la fête de l’humanité, de Millau, du Larzac ou de Porto Allegre visent à une optique d’élargissement des points de vues, d’échanges contribuant à l’éducation politique des classes moyennes et de prise de conscience quant au fonctionnement de la machine capitaliste. Mais cela se passe dans un cadre festif, on y va aussi pour s’amuser, faire la fête, au milieu de marchands de journaux, de militants de la légalisation de la marijuana et autres vendeurs de souvenirs.

Beaucoup y critiquent "la foire à la contestation". Ainsi le savoir est constamment combiné au loisir, y compris au niveau local (salons du livre, cinémas autogérés, librairies engagées, …). Les autorités, signe des temps, les acceptent ou du moins les tolèrent, offrant même des subventions, ravies qu’une telle diversité culturelle pallie leur carence en ce domaine. L’éducation politique depuis 50 ans s’est lentement mais sûrement glissée du travail au loisir, de la grève au souvenir de cette dernière, de la réflexion personnelle à l’assiduité des orateurs médiatiques de la contre-culture.

Outre ces rassemblements à forte résonance médiatique, les mouvements corollaires ne manquent pas de renouveler le genre. De l’armée des clowns en passant par les carrot-mob, des cyclo-nudistes aux barbouilleurs de pubs, la « spécialisation des luttes » atteint ici son paroxysme, sa caractéristique fondamentale étant l’exigence de résultats rapides. Et pour cela, rien de tel que les médias ! De TF1 à Arte en passant par le Nouvel Observateur, les journalistes raffolent de ces performances subversives permettant de mettre en lumière un problème particulier. Ce sont la plupart du temps des « actions coup de poing », des « coups d’éclat », avec comme exemple la bâche publicitaire place Bellecour griffée d’un « non à la pub » sur-dimensionné ou encore les défenseurs de la cause animale projetant du faux sang rue Victor Hugo pour alerter le chaland.

Chaque groupe se caractérise moins par un but politique que par une méthode d’action à but médiatico-politique. Pour le militant l’action sur une durée courte remplace la perspective politique et sociale à long terme car moins contraignante et d’apparence plus efficace. Annoncées par SMS ou sur des sites internet les actions produisent un résultat instantané évalué à l’aune de leur rendement médiatique.

Le système capitaliste, on le sait, est un excellent récupérateur de subversions. Phénix en temps de crise, il parvient de la contestation même à en usurper le fond par la forme pour renaitre de ses cendres. On peut le constater à chaque publicité, les thèmes émancipateurs de mai 68 y sont repris : « Riz-volution dans vos assiettes », « liberté avec les serviettes hygiéniques nono », il y a la reprise des codes et symboles de la contestation par l’industrie de consommation, ce qui a pour résultat l’arrêt même de la contestation pour une illusoire conquête sociale par la consommation.

Tout cela, plusieurs sociologues et autres chercheurs en ont suffisamment parlé pour que je m’y arrête. Seulement si j’en parle, c’est que l’inverse est en train de se produire. La contestation se veut médiatique, doit obtenir des rendements, des résultats sur action et tout cela sur le court terme. Le point positif est qu’elle tranche radicalement avec ces vieilles manifestations grisâtres, mornes et sans-gout pour fédérer un public plus large, mais à quel prix ? Ne bannit-elle pas le temps long mais nécessaire de l’organisation permettant un rapport de force durable ? Effectuer une action en vue de sa médiatisation n’est-ce pas s’assujettir aux médias même ? Peut-on d’ailleurs raisonnablement penser se servir des médias sans s’en retrouver asservi ?

L.Q.

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  • Le 5 avril 2011 à 04:29, par real Charly

    Quelle merveilleux et splendide article !
    Ce genre d’article est à voir plus souvent.
    L ibre Q uébec

  • Le 23 mars 2011 à 08:51, par LQ

    Ce que je voulais dire n’est pas défaitiste, je parle juste des faits. Alors effectivement en parlant de cas particuliers j’occulte les autres, mais c’est volontaire. Je voulais vraiment insister sur le fait que certaines luttes ne se tournent que vers les médias et ne réaliseront rien qui ne soient pas médiatique. Certes l’intention est louable, mais à force la lutte n’a plus vocation à être citoyenne mais a être médiatique. Pierre Carles en parle dans son film « José Bové : le cirque médiatique » et Serge Halimi avait tenu une conférence très interessante sur le sujet mais je ne la retrouve plus. Quant à Rebellyon et RadioCanut ils sont à différencier des mass médias, je ne parle dans l’article que de ces derniers.

    Le deuxieme point sur lequel j’insistais, qui est une constante du premier, est que la spécialisation excessive des luttes dessert finalement l’intérêt commun dans la mesure ou il faut « choisir » sa lutte. On ne peut pas tout faire et cela est bien dommage. On a tous plus ou moins conscience que sans un mouvement fédérateur qui décloisonnerait les luttes nous n’arriverons pas à grand chose.

    Quant à la dépénalisation du cannabis je suis évidemment pour, mais j’ai trouvé intéressant de mettre cela en relief car c’est vraiment un combat automatiquement cantonné au loisir, alors évidemment combiner loisir et lutte est important, dans la mesure ou cela n’agit qu’en complément d’autre chose plus sérieux. Il n’y a qu’a regarder le nombre d’individus se déplacant à l’appel du 18 juin et ceux se rendant à une conférence sur les ravages du capitalisme... Là encore : constat nécessitant prises d’exemples et non incrimination des luttes « folkloriques ».

  • Le 20 mars 2011 à 15:44, par @uln

    Cet article soulève quantité de points dans une perspective intéressante. On regrettera son caractère défaitiste. Les luttes se spécialisent parce que la société se complexifie. Il faut en passer par les médias parce que c’est le seul moyen de toucher le grand nombre. Si Rebellyon, Radio canut et Agendalyon existent, c’est parce que les luttes passent par la communication. Du micro au macro, d’indymédia aux médias spectaculaires marchands, il nous faut communiquer et nous le faisons de multiples manières. Nous contribuons à une lutte symbolique contre le capitalisme dans un contexte certes hostile mais notre audience grandit, nos idées gagnent.

    Des idées aux faits, c’est à chacun de décider de ce qu’il intègre dans ses pratiques. Les idées font leur chemin, silencieusement. Plutôt que de juger ce que font ou ne font pas les gens, il me semble plus judicieux de s’interroger sur ce que l’on fait soi même.

    L’allusion au militantisme pour la légalisation du cannabis me parait enfin assez malhonnête, l’auteur y voit-il du commerce ? Une activité folklorique ou inepte ? Pourtant l’interdiction du chanvre psychotrope contribue à criminaliser plusieurs millions de personnes dans ce pays.

    De mon point de vue le droit au plaisir n’est pas une donnée accessoire.

  • Le 18 mars 2011 à 18:50, par sait pas sur
  • Le 18 mars 2011 à 18:37, par charly

    un texte lucide et objectif qui fait un constat plutôt triste du militantisme actuel mais cela est pourtant bien réel.
    allons militer pendant notre temps libre et tant qu’à faire autant que ce soit également amusant.

    merci pour ce point de vue

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