Faut-il leur rafraichir la mémoire en rappelant que Charlie Hebdo porteur de l’esprit de 68 a été promptement interdit au moment de la mort de De Gaulle à cause de son fameux titre « bal tragique à Colombey.. . un mort » par ceux là même qui aujourd’hui disent le soutenir.
Faut-il rappeler aux catho intégristes leurs attaques répétées contre Charlie pour « blasphème et irrespect » envers l’image du Christ comme d’autres l’ont fait pour Mahomet en première de couverture...
Faut-il rappeler que certains cathos et musulmans en bons gardiens du patriarcat et de "l’ordre moral" se sont retrouvés côte à côte contre la loi pour le mariage pour tous...
Faut-il rappeler le « silence lourd » de la gôche humaniste et bien pensante qui a entouré l’assassinat de Rémi Fraisse victime de la violence d’Etat alors qu’il combattait pour la liberté de disposer de notre espace sur la ZAD de Sivans dans le cadre d’une action militante ?
Faut-il rappeler que nos élus locaux qui appellent à manifester notre soutien sur le parvis de leur Eglise à Lyon sont ceux qui ont fait réprimer les manifestations en réaction à l’assassinat de Remi et contre le meeting du FN à Lyon..
Faut-il rappeler que l’exercice favori de certains de ces politiques est de se donner la liberté dans leurs discours de développer la stigmatisation et la méfiance envers les autres (si possible les étrangers) tout en prêchant l’unité nationale.
Faut-il rappeler que cette classe politique dirigeante se donne en permanence la liberté de s’affranchir des régles qu’elle impose par ailleurs avec force discours moralisateur à ses propres citoyens.
Faut-il rappeler qu’en matière de « liberté d’expression » les discours nauséabonds depuis Sarkozy, suivi par ceux de Zemmour et Houelbek ont envahi l’espace médiatique profitant de la complicité de certains journalistes esclaves de l’audimat pour nous déverser leur glaires xénophobes et racistes.
Faut-il rappeler qu’aujourd’hui de vrais défenseurs de la liberté d’expression sont morts ?
Halte à l’hypocrisie de ceux qui font semblant d’adorer aujourd’hui ce qu’ils ont condamnés hier !
Mais me direz vous les valeurs de la République sont transcendantes à ces contingences dans des contextes très différents les uns des autres. Autrement dit l’Union ne se fait pas sur le soutien de Charlie et de son équipe mais sur « l’idée de liberté » dont chacun se donne le droit de limiter, censurer, réprimer les manifestations concrètes en fonction de ses croyances et de ses intérêts du moment.
Il y aurait donc des victimes en démocratie qui seraient récupérables pour se refaire une image humaniste ou redonner de la cohésion sociale à son électorat dans un moment de décomposition et de décrédibilisation de la représentation politique ? Ce serait vraiment faire du mauvais esprit dans ce moment de communion nationale.
Nous ne doutons pas bien sûr que les gens qui vont se retrouver main dans la main dans la rue sont de bonne intention parce que le sentiment de dégoût est authentique et le choc émotionnel est trop fort pour être assumé dans la solitude. Donc une catharsis collective permettra de mieux l’évacuer ensemble. L’onde de choc internationale et les réactions suscitées sont plutôt bon signe car lorsqu’on touche à des symboles forts comme la liberté de la presse la douleur est réellement partagée et tout le monde se lève comme un seul individu au cri de : « je suis Charlie ». Mais des lors que ce message d’empathie est récupéré par les médias dans une véritable opération marketing qui frise le clownesque dans la bouche d’un Georges Clooney et autres stars du show biz.
Mais n’est ce pas l’arrivée d’une catastrophe annoncée par les pompiers pyromanes qui nous gouvernent et la fin d’une illusion de sécurité ?
Une fois l’expression de l"émotion passée chacun rentrera chez soi laissant l’expression de son impuissance sur le pavé.. . mais tout sera t-il comme avant ? Non si nous cherchons au delà du tragique de l’événement les causes (et non les excuses) et les processus (et pas seulement les coupables) qui rendent possible une telle violence.
Comprendre que la violence de cet acte se nourrit de la violence quotidienne que subissent les populations d’Afrique, Palestine, de Syrie ou d’Irak ,qu’elle ne peut plus être tenue à distance à travers ses représentations audio visuelles qui banalisent la mort en égrainant des chiffres qui nous font perdre le sens de la réalité de l’horreur. Et si nous sommes sidérés c’est que nous n’avons pas pris conscience du désastre enfermés dans notre confort et notre sécurité illusoire.
Cette violence se nourrit des discours de stigmatisation sur les musulmans ou les roms , du racisme ordinaire ,de toutes les formes de discrimination : moins l’identité est reconnue ,plus le défi est grand pour qu’elle soit reconnue.Les crispations identitaires religieuses ou ethniques sont toujours explosives et meurtrières.
Toutes les religions ont justifiées la violence dans l’histoire car par définition elles divisent les hommes sur leurs croyances fondamentales en méprisant l’infidèle ou le mécréant ,l’idéal fanatique étant de le convertir ou de le supprimer-(cf catholiques et protestants).
Comme le fanatisme idéologique les religions fournissent une représentation déformée de la réalité, une vision simpliste et simplifiée de la vie ,en noir et blanc, souvent manichéenne entre le bien et le mal, les bons et les méchants,le pur et l’impur.
Parce que l’équipe de Charlie avait décidé de prendre le parti d’en rire, de la dérision et de la caricature parfois même à l’extrême, elle s’est attribuée à juste titre le droit de « blasphémer » et donc de désacraliser et transgresser, en s’attirant les foudres des « Fous de Dieu. »
A partir de là nous avons le choix de ne retenir que le « Fou » à partir d’une explication psychologisante ou de se poser la question de savoir qui a armé la main du fou ,donc poser la question de l’implication d’un Dieu vengeur (justification explicite des assassins) .Ceux qui touchent au sacré doivent être sacrifiés selon une pratique primitive pour exorciser le mal de la société (pratique reproduite pendant l’Inquisition au Moyen Age).
Dans ce cas la religion n’est plus seulement « l’opium du peuple » mais elle devient de l’arsenic des lors qu’elle sert d’alibi à la terreur et ne respecte plus ses paroles de paix et de fraternité dans ses actes au quotidien. Il ne s’agit pas d’amalgame entre pratique de l’Islam et islamisme pas plus qu’on ne peut mélanger la foi et l’action de l’abbé Pierre avec celle des croisades. Cependant toutes les religions monothéistes portent l’intolérance et la violence par le fait d’imposer une croyance en un seul Dieu.
Lorsque la religion devient idéologie ou que l’idéologie devient religion (et donc sacrée) et qu’elles prétendent régir la vie sociale et politique des individus sur un territoire elles ne tolèrent plus la diversité . Si le religieux relie les humains il les divise aussi,en particulier le monothéisme.
Le principe de laïcité s’il garantit le respect des croyances en République ne semble pas être un rempart suffisant contre la montée des intégrismes de toutes tendances. Il nous faut donc après cette période de deuil ouvrir le débat de manière non idéologique et non partisane sur ce qui fait sens commun ou valeurs communes dans une société multiculturelle. Si les musulmans du monde n’ont pas à se justifier sur les actes de quelques fanatiques il n’en reste pas moins qu’ils doivent se positionner en tant qu’individus et citoyens pour ne laisser aucune marge d’interprétation possible du « silence » sur le principe « qui ne dit mot consent ».
La vigilance doit être permanente et quotidienne dans le langage utilisé, sur les amalgames ou les jugements idéologiques, les représentations que se renvoient les différents groupes socio culturels. Nous nous donnons le droit de blasphémer l’idéologie politique ou le religieux sans craindre la censure des « maîtres à penser » ou d’être suspecté de....Alors nous serons un peu iconoclastes dans l’esprit de Charlie !
Faire parti du troupeau c’est aussi se donner le droit d’être le petit mouton noir qui ne bêle pas avec les autres lorsqu’il n’adhère pas à une pensée unique et policée lorsqu’il sait qu’elle nous amène dans le mur ou le précipice....
Nous n’irons pas crier notre douleur avec ceux qui viendraient pour l’occasion alimenter leur islamophobie mais nous le ferons volontiers avec les vrais amis de Charlie et les vrais défenseurs de la liberté d’expression.
Ni Dieu, ni Maître, ni César,ni Tribun...
Merlin
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