Cette inscription figurait sur une grande banderole déployée à l’occasion de la seconde occupation de la Sorbonne, le 24 avril 2006. Les occupantEs ont été expulsées le soir même, et tout ce petit monde est parti en manif sauvage de deux heures qui a pris en défaut le dispositif policier, fixé pour l’essentiel dans le quartier latin. Pas d’opposition frontale mais une mobilité retrouvée et de gros dommages économiques : la manif laisse derrière elle une traînée de réel (la foule criait « nous sommes tous des casseurs », le geste a été joint à la parole : banques, agences d’interim défoncées, charlie hebdo et une permanence du PS perdent aussi leurs vitrines). Dispersion à 22 heures : les flics n’ont pas eu le temps d’intervenir. Il y a donc eu blocage et manif sauvage : on retrouve là les deux formes sous lesquelles s’est proprement accompli le « mouvement anti-cpe » et l’offensive qu’il recouvre en réalité contre le monde du travail, le monde comme il va, sous occupation policière.
Et à Lyon ? Le blocage a d’abord concerné l’université : barrages filtrants de plus en plus hermétiques, une première semaine d’occupation à Bron autour du 9 mars, puis l’annexion de l’amphi Laprade sur les quais. Il en résultera une fermeture administrative à Lyon 2, convertie en blocage et en occupation du campus de Bron pendant plus de 15 jours. Des bouffes collectives ont été organisées [1], des films militants projetés ; certainEs discutaient, d’autres jouaient, et la fac, enfin débarassée de ses caméras de surveillance, était redécorée : toute une vie s’expérimente à même la lutte, une vie qui échappe à l’ennui et à la discipline universitaire. Lyon 2, Lyon 3, l’IEP… une fois les facs investies le blocage a pu se propager ailleurs : occupation du local de l’UMP, occupation éclair de la Chambre de Commerce et d’Industrie, le périph’ bloqué à plusieurs reprises, des occupations de voies à la Part Dieu (avec incursion dans le centre commercial), à la gare Jean Macé, blocage du centre de tri de Saint-Priest… Le 23 mars au matin la gare Perrache est envahie. Après évacuation par les forces de l’ordre, les manifestantEs bloquent l’autoroute une demi-heure avant de se faire gazer à nouveau ; il s’en suit une ballade sauvage dans les rues de Lyon, plusieurs barricades sont montées et les affrontements dureront jusque dans l’après-midi [2]. Ça redémare en manifs sauvages le 31 mars au soir après l’allocution de Chirac, le mardi 4 avril à la suite de la grande kermesse syndicale et le jeudi suivant à nouveau en nocturne.
Le pouvoir s’énerve, attend un retour à l’ordre qui doit passer par le déblocage. Journès (nouveau président tremblottant de lyon 2) joue la carte de la désinformation : il annonce la reprise des cours pour le lundi 10 avril alors que l’occupation du campus est effective, et qu’une AG doit se tenir l’après-midi même. Le but du jeu pour la présidence est de faire en sorte qu’un maximum d’anti bloqueurs soient présents pour voter bêtement le retour à la normale [3]. Pari gagnant… Paradoxalement cette « défaite » n’est pas liée à un fléchissement de la mobilisation : après un mois de lutte, 800 personnes étaient présentes pour défendre l’occupation et la vie qui s’inventait là. Des actions ont eu lieu dans la semaine qui a suivi, avec plus ou moins de réussite ; il manquait un lieu de convergence pour qu’elles se déploient dans toute leur ampleur, un espace de discussion pour les penser stratégiquement et une communauté de vie où les liens d’affinités frayés dans l’action se consolident.
L’occupation, à la fac ou ailleurs, reste à l’ordre du jour ; elle semble même indispensable à l’élaboration de tactiques collectives qui nous permettent d’exister, en partie au moins, hors de la sphère du travail et de l’exploitation (que ce soit sur un mode précaire ou en cdi). Tout comme il semble indispensable de prendre acte du véritable cadenassage policier qui, à Lyon, a rendu très périlleuses les tentatives d’action en manif : plus de cinquante personnes auront été arrêtées dans ce cadre, parfois au simple motif d’avoir participé à un cortège sortant un peu des parcours balisés et déclarés. Réinvestir la rue suppose d’élaborer des pratiques plus inventives (en jouant sur la mobilité, l’articulation en groupes d’action autonomes, en bandes dispersées dans la ville)… Et si les manifs nous apparaissent vraiment trop hostiles, il y a toujours le sabotage pour concourir ici et là à la construction d’une grève générale, par le fait.
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