Kevin a été arrêté lors d’une charge policière en manifestation. Il est resté une dizaine de jours en détention provisoire puis il a été libéré. A son procès, il a été acquitté de la plupart des faits qui lui étaient reprochés. Il nous raconte son arrivée à la maison d’arrêt, les relations avec les matons, comment communiquer avec l’extérieur ou encore l’importance du shit à l’intérieur de la prison. Il nous parle aussi solidarité entre détenus et nous livre des trucs et astuces pour créer des brèches malgré tout.
Les informations réunies ici sont parcellaires et situées : elles sont liées à la prison de Lyon-Corbas (toutes les prisons ont des règlements intérieurs spécifiques) et son expérience de détention plutôt courte ne concerne que le quartier des arrivants.
Chaque lundi pendant six semaines, nous publierons un extrait d’entretien. Aujourd’hui, on aborde la question des liens avec l’extérieur, notamment à travers le téléphone et les démarches que peuvent entreprendre les proches d’une personne incarcéré.
En prison, pour pouvoir appeler l’extérieur, tu dois utiliser une carte qu’ils te donnent avec un numéro de compte, un code pin et les numéros que tu as le droit d’appeler. Si tu essaies d’en taper un autre, ils te disent que ça n’est pas possible et ça raccroche.
Ça veut dire que chaque numéro que tu appelles doit d’abord être validé par l’administration. C’est la SPIP [1] qui s’en charge. Pour ça, il faut une facture qui permet de prouver l’identité de la personne que tu veux appeler. Mais tout le monde n’en a pas forcément. Par exemple, la copine de mon copilote était sur Lycamobile, un opérateur téléphonique qui permet d’ouvrir une ligne sans donner sa carte d’identité. C’est pour ça qu’elle pouvait pas communiquer avec lui. Ils pouvaient pas valider son identité et donc son numéro. Ça fait qu’il pouvait contacter son père mais pas sa copine.
Moi, je pouvais appeler Mélanie, ma compagne, directement sur son portable depuis le téléphone de la cellule en utilisant ma carte. Du coup, ce qu’on faisait c’est que je l’appelais elle sur son téléphone et avec le téléphone d’un ami, elle appelait la copine de mon codétenu. On activait les hauts parleurs et on collait les téléphones l’un à l’autre. Comme ça, ils pouvaient communiquer ensemble. C’était le bordel, mais c’était assez bien. Ça marchait.
Un truc intéressant à savoir, c’est que cette carte-là, quand tu pars de prison, ils ne la bloquent pas tout de suite. S’il reste des unités, laissez-la à votre codétenu car même si ce sont les numéros de tes contacts qui sont enregistrés dessus, il y a moyen que votre codétenu joigne quelqu’un d’autre avec. En se mettant en « conférence ».
En arrivant, ta carte est chargée avec trente euros. C’est sensé représenter trois heures de communication, mais en vrai les crédits se déchargent plus vite que ça. En plus ça bug. Et je suppose qu’à chaque fois que ça coupe, il y a des prisonniers qui ont dû perdre patience parce que le matériel devient vite vétuste. Et ça coupe tout le temps, comme on est sur écoute en permanence. Les gus qui nous écoutent doivent faire des couilles, ça fait grave de l’écho, ça tressaute, ça coupe, c’est insupportable quoi.
Pour les visites, Mélanie a dû remplir un formulaire de demande de permis de visite. Dessus c’est écrit que tu donnes l’accord aux services pénitentiaires pour qu’ils fassent un check sur ta situation et ton casier judiciaire. Vu que le sien est vide, qu’elle est assez clean, elle a eu une réponse positive plutôt rapide même si elle a dû se frotter à l’arbitraire de l’administration judiciaire.
Pour obtenir le permis de visite, il faut fournir une photocopie de carte d’identité, un justificatif de domicile et un papier qui prouve ton lien avec la personne. Dans les premiers temps de la détention, c’est uniquement la famille très proche et la concubine ou le concubin qui peuvent demander un permis. Les cousins éloignés ou les amis, ça ne marche pas [2]. Pour avoir l’autorisation de rendre visite à une personne en détention provisoire, il faut s’adresser au Tribunal de Grand Instance. Si la personne a été condamnée, c’est directement à la prison que ça se passe en écrivant au directeur. Mélanie est allée une première fois avec tous les papiers. Et là, pas de bol, elle est tombée sur une personne super désagréable qui lui a refusé le permis sans même vraiment regarder son dossier, ni lui donner de bonnes infos. « Il faut apporter un justificatif de concubinage ! ». Ça veut dire quoi précisément ? Comme elle est plutôt du genre déterminée, elle y est retournée quelques jours plus tard avec quasiment les même papiers. Et cette fois, elle est tombée sur une autre personne qui a accepté directement les mêmes pièces. Deux jours après, elle recevait son permis de visite. Ça dépend donc du bon vouloir de la personne au guichet. Clairement, il faut pas hésiter à insister.
Même conseil pour les gens qui vont ramener des vêtements : essayez des trucs ! Soi-disant, on a pas le droit à d’autres objets que ce qui est marqué dans la liste qu’ils te filent. Mais une boite de crayons neufs, ça serait passé. Un calepin de feuilles blanches, pareil. Pour tout un tas de choses, il faut quand même essayer et ne faut pas s’en tenir qu’à leur liste. Tu y vas et tu demandes.
Ce qu’il faut avoir aussi en tête, c’est que pour sortir de préventive ou obtenir une libération conditionnelle ou en semi-liberté, c’est aux gens dehors de se bouger et d’essayer de trouver une promesse d’embauche et/ou un contrat de travail. C’est vraiment ça qui fait la différence devant un juge de la liberté et de la détention pour espérer sortir plus vite.
Le courrier, lui, arrive de façon aléatoire. Ça dépend de combien de temps la censure met à le lire. S’il y a de gros afflux, ils vont avoir plus de taff alors ta lettre... Ils lisent tout. Les copains-copines m’ont envoyé plein de courrier et des photos polaroid. Moi aussi, j’en ai envoyé pas mal. Au final, il y en a deux ou trois qui ne sont pas arrivés dont une lettre que j’ai envoyé à Mélanie et qu’elle n’a jamais reçue. Globalement,les détenus reçoivent assez peu de courrier mais ceux qui en reçoivent sont quand même mieux. Bon, ça peut créer des petites frustrations avec ton codétenu, si lui n’en reçoit pas du tout. Après pour moi c’est essentiel de montrer qu’il y a du soutien, que tu n’es pas tout seul en fait. Que c’est pas parce que tu es arrivé à l’intérieur de cette institution qu’ils ont réussi à couper tous les liens qui existent.
Pour l’anecdote, j’ai une pote qui a un ami à Corbas et qui lui a écrit une lettre du Pérou. Dessus, elle lui avait dessiné une carte qui retraçait toute sa trajectoire. Ils lui ont pas filé parce qu’ils considéraient que ça pouvait être un plan d’évasion et le gars a été interrogé et a fini trois jours au mitard à cause de ça. Ils ont considéré que ça pouvait être un message codé. Du coup, apparemment il y avait des potes qui voulaient m’envoyer des labyrinthes mais on leur a dit de ne pas faire ça ! C’est encore pire que juste la carte du Pérou. Ils auraient pu croire à un plan à la Michaël Scofield ou quelque chose comme ça !
Tous les soirs ou tous les deux soirs, dehors des gens venaient tirer des feux d’artifice. D’ailleurs, il y en a deux trois qui ont été particulièrement vaillants parce qu’ils sont restés quinze minutes à faire péter des mortiers et des feux d’artifice. Avec les gendarmes qui patrouillent tout autour de la prison pour éviter les tayech [3], un quart d’heure c’est largement suffisant pour qu’une patrouille ait le temps de venir te cueillir.
Mon copilote me disait que c’étaient des gamins des quartiers qui venaient et qui tiraient des feux d’artifice en mode « on vous oublie pas ».
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Les précédents témoignages de la série « Ma détention provisoire » peuvent être (re)lus ici :
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