Macron nomme Darmanin ministre de « la Justice ». Pour une justice encore plus coloniale, raciste, sexiste, répressive et inhumaine

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Cet article explique pourquoi la nomination de Darmanin, passé du ministère de l’Intérieur au ministère de « la Justice » est symptomatique de la radicalisation d’un État qui s’autorise à infliger de plus en plus de violences sociales racistes, sexistes et sécuritaires à l’encontre des populations précarisées, et en premier lieu contre celles racisées.

Une nomination symptomatique de la radicalisation de l’État

Le 23 décembre 2024, en pleines vacances d’hiver, Macron nomme un nouveau gouvernement. C’est le deuxième depuis son ahurissante dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024. Gérald Darmanin, déjà ministre de l’Intérieur de juillet 2020 à septembre 2024 et député depuis le 8 juillet 2024, est nommé le 21 septembre 2024 ministre de « la Justice » ainsi que promu Ministre d’État. Au-delà du marasme politique potentiellement mobilisateur, en tout cas renforçant l’incertitude et le repli sur soi xénophobe, Macron n’a pas trouvé meilleur candidat que Gérald Darmanin pour diriger le ministère de « la Justice », un homme à l’esprit colonial décomplexé, raciste, sexiste, répressif et inhumain.

Faisons-nous bien comprendre. Nous luttons pour l’abolition de l’ensemble des systèmes de domination, notamment l’abolition du système pénal, de l’État et des frontières. Autrement dit, nous n’aurions pas « préféré » un autre ministre. Nous savons que la « justice » défend depuis toujours le sexisme et, depuis le Code Noir, un État colonial, raciste, sécuritaire et inhumain. Nous venons ici expliquer en quoi cette nomination est symptomatique de la radicalisation d’un État qui s’autorise à infliger de plus en plus de violences sociales racistes, sexistes et sécuritaires à l’encontre des populations précarisées, et en premier lieu contre celles racisées.

Porteur d’une vision coloniale

Gérald Darmanin a été ministre des colonies, dites « Outre-mer », du 4 juillet 2022 au 21 septembre 2024. Perpétuant la mise en œuvre d’une politique coloniale hors hexagone, il a instauré en 2023 les opérations Wuambushu, offensive coloniale à Mayotte et réprimé l’insurrection Kanak en 2024.

Les opérations Wuambushu consistent à détruire les bidonvilles sans proposer de relogement pérenne et à expulser les sans-papiers majoritairement Comorien·nes. Toutes les personnes délogées se sont ainsi retrouvées à survivre dans des conditions encore plus précaires. Elles ont constitué les premières victimes des ravages du cyclone Chido, conséquence d’une gestion coloniale du département, qui a dévasté Mayotte le 9 décembre 2024, alors que le ministère des colonies était vacant.

Darmanin considère les français·es de ces territoires de seconde zone comme l’a également montré sa gestion répressive de l’insurrection Kanak en 2024 suite à l’adoption le 14 mai par l’Assemblée nationale d’un projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral. Sous ses ordres, l’État colonial français a assassiné au moins 7 Kanak, déporté des dizaines de militant·es en hexagone dont 11 leaders, procédé à une centaine d’incarcération et à des milliers d’arrestations, causé plusieurs centaines de blessé·es. Outil classique de la répression coloniale, l’état d’urgence a été instauré du 15 au 28 mai, dont le couvre-feu a duré jusqu’au 2 décembre. Les dégâts matériels qui font suite à ce projet de loi colonial, dont les Kanak paupérisés seront les plus négativement impacté·es, sont estimés à plus de 2 milliards d’euros par les autorités locales.

Lors des précédentes périodes coloniales, les mêmes figures étaient nommées pour tourner sur les postes de gouverneurs des différents territoires colonisés : Gabriel Angoulvant l’a par exemple été pour cinq d’entre eux, Martial Merlin pour six... Dans la période actuelle, la « démocratie républicaine » est représentée par quelques figures tournant sur les postes de ministres, sénateur·ices, etc. Le 21 septembre 2024, Manuel Valls, nommé à la succession de Darmanin comme ministre des « Outre-mer » tout en étant lui aussi promu ministre d’État, est un ancien ministre de l’Intérieur. Quant à Bruno Retailleau, il succède à Darmanin au ministère de l’Intérieur alors qu’il était déjà élu sénateur par les « grands électeurs » de la circonscription de Vendée. Ces deux oligarques se sont distingués par leurs propos anti-migratoires. En 2023, selon Valls, « il faut pouvoir expulser davantage » tandis que pour Retailleau, en 2024, « l’immigration n’est pas une chance ». La minorité au pouvoir de « l’État de droit » actuel, considéré par Retailleau comme « ni intangible, ni sacré », perpétue ainsi la spécificité culturelle française coloniale et raciste.

Auteur d’une loi raciste

L’ancien ministre de l’Intérieur est l’artisan de la loi immigration homonyme promulguée le 26 janvier 2024. La loi Darmanin, foncièrement injuste, réduit drastiquement les droits des étranger·es : atteinte à la liberté d’expression par l’instauration du « Contrat d’engagement à respecter les principes de la République », criminalisation des personnes étrangères, examen des demandes d’asile expéditif et hétérogène, augmentation du niveau de français requis pour obtenir un titre de séjour plus durable ou la nationalité française, suppression des catégories protégées contre les obligation à quitter le territoire français (OQTF). Par exemple, un parent d’enfant français·e est désormais expulsable.

À part l’instauration très tardive du droit fondamental des mineur·es à ne pas être enfermé·es en centre de rétention administrative, la régularisation par les métiers en tension constituait la seule mesure de cette loi abusivement présentée comme « progressiste ». Cette procédure est injuste. Elle divise les étranger·es des travailleur·euses, et ces dernier·es entre elleux. Seule une trentaine de métiers par région, qui semblent avoir été choisis aléatoirement en 2021, sont concernés. Les années passées comme demandeur·euse d’asile, étudiant·e ou travailleur·euse saisonnier·es ne comptent pas. Celleux qui remplissent les conditions sont soumis·es au pouvoir discrétionnaire du préfet. Au final, cette mesure poudre aux yeux, même pour des militant·es et personnes concernées, ne régularise qu’au compte-gouttes. Quant aux autres métiers, les conditions de régularisation se sont durcies avec la circulaire Retailleau du 23 janvier 2025.

En réalité, toute procédure de régularisation par le travail est oppressive. La régularisation par le travail permet l’exploitation capitaliste des personnes étrangères et perpétue la vision instrumentaliste oppressive séparant les « bons » étranger·es (certain·es travailleur·euses) des « mauvais » (tou·tes les autres). Le titre de séjour obtenu ne dure qu’un an, soumettant ses détenteur·ices au bon vouloir de leur patron car risquant la double peine de perdre salaire et droit au séjour en cas de rupture de contrat. Sans compter qu’elle permet de maintenir les salaires de tou·tes au plus bas. Les seules politiques migratoires qui vaillent sont la régularisation inconditionnelle de tou·tes les sans-papiers et l’abolition des frontières !

Accusé de violences sexistes et sexuelles

Darmanin a été accusé de violences sexistes et sexuelles dans le cadre de ses fonctions d’élu par deux femmes. Il a obtenu un non-lieu pour l’accusation de « viol » et un classement sans suite pour celle d’« abus de faiblesses ». Pas étonnant qu’il soit ravi de décrocher ce poste. Il annonce vouloir protéger les femmes victimes de féminicides ou de violences sexuelles aggravées comme si les autres violences sexistes et sexuelles n’étaient pas elles aussi graves. Adepte du fémonationalisme, il est prompt à favoriser une instrumentalisation raciste du féminisme propre au patriarcat colonial en jetant au pilori les auteurs de violences sexistes et sexuelles quand il s’agit d’hommes sous OQTF.

Dans une logique répressive, la proposition de Darmanin d’allonger la garde à vue jusqu’à 72 heures pour les violences sexuelles aggravées ne garantit en rien une meilleure prise en charge des victimes et légitime une extension du pouvoir répressif de l’État. Les victimes restent en réalité davantage culpabilisées que protégées, et leurs bourreaux sont désormais parqués plus longtemps, voire même seulement entre eux, dans des commissariats, gendarmeries ou prisons qui abritent pourtant depuis toujours des violences sexistes et sexuelles. Justice à deux vitesses, son injustice se fait d’autant plus flagrante lorsque ceux qui détiennent le pouvoir politique et économique accusés de violences sexuelles échappent quant à eux à toute condamnation.

En 2013, il avait voté en tant que député UMP du Nord contre la loi Taubira autorisant le mariage et l’adoption entre couples du même genre et avait participé à la Manif pour tous. Il se rétractera dix ans plus tard. Dans un contexte de crise budgétaire, les mesures qu’il préconise alors contre les violences contre les personnes LGBTQIA+ sont la hausse de la télésurveillance et du nombre de policiers formés sur ce sujet. Il fait donc fi de l’histoire de surveillance et criminalisation de l’homosexualité ainsi que des revendications des associations LGBTQIA+ : campagnes de sensibilisation, formation de l’ensemble du personnel des services publics, augmentation des moyens des associations, etc. Par contre, il alimente ainsi son discours répressif.

Défenseur d’une justice répressive

Les annonces de Darmanin s’inscrivent dans une politique répressive qui perpétue des dynamiques racistes et coloniales sous couvert d’ordre et de sécurité. C’est ce que montrent ses projets de construction de nouvelles places en prison, l’ouverture de prisons de haute sécurité, l’exécution systématique des petites peines, l’isolement des dealers.

L’annonce de créer une police pénitentiaire pour en faire « la troisième force de sécurité intérieure » du pays prolonge l’héritage colonial faisant de la prison un instrument de guerre sociale dirigé contre des populations racisées systématiquement perçues comme une menace. Obsédé par la lutte contre le trafic de drogue, celle-ci sert de prétexte au contrôle géographique, social et racial qui structure une logique de harcèlement au quotidien. Elle banalise les répressions ciblant en priorité les personnes pauvres et Non-blanches. Au détriment de toute justice sociale, elle détourne l’attention et les politiques publiques des causes structurelles des inégalités que constituent le suprémacisme blanc, le sexisme et le capitalisme.

Le focus sur la lutte contre le trafic de drogue s’inscrit dans une approche déjà éprouvée dans le passé en france hexagonale et particulièrement dans ses colonies, notamment en Guyane. La justice s’en sert pour exercer son autorité pénale en distribuant des peines de prison ferme. Tout individu possédant de la drogue et subissant un premier jugement, celui de la police, autorisée à définir l’intention ou non de revente, risque la comparution immédiate. L’explosion du nombre d’incarcérations et la criminalisation renforcée des plus marginalisé·es permet ainsi de maintenir et conforter l’ordre colonial répressif.

Ces politiques répressives ont des conséquences particulièrement graves dans les « Outre-mer » contribuant à une surreprésentation carcérale des populations locales. Loin d’apporter des solutions aux inégalités structurelles, la logique punitive précarise et marginalise davantage alors que ces territoires qui restent à décoloniser souffrent sciemment d’un sous-investissement chronique dans l’éducation, la santé et les infrastructures.

Pourfendeur des droits fondamentaux

Auteur de politiques répressives portant atteinte aux libertés publiques quand il était ministre de l’Intérieur, les syndicats de police se félicitent de la nomination de Darmanin comme Garde des Sceaux. Au contraire, le syndicat de la magistrature craint dans un communiqué « un nouveau recul du respect de l’État de droit comme de l’indépendance de la Justice – recul auquel Gérald Darmanin a déjà largement contribué ». Il a en effet pris position contre l’indépendance de la justice et contre la séparation des pouvoirs, en l’occurrence entre l’exécutif et le législatif, en critiquant des décisions de justice à plusieurs reprises.

Son obsession pour le « séparatisme islamiste », non seulement justifie la surveillance des quartiers populaires et la répression des personnes racisées sous prétexte de défendre l’ordre républicain, mais elle alimente aussi une rhétorique islamophobe et raciste contraire au principe de sauvegarde de la dignité humaine, base de tous les autres droits fondamentaux.

Il va jusqu’à remettre en cause les juges européen·nes, bafouant les engagements internationaux de la france relatifs à la protection des droits humains. Le 13 décembre 2023, il allait à l’encontre d’une décision rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme condamnant l’expulsion par la france d’un ressortissant ouzbek. En effet, ce dernier risque des traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine. Malgré cette décision, Darmanin a déclaré qu’il allait tout faire pour que ce justiciable ne revienne pas en France en s’appuyant sur un soupçon de radicalisation par les services de renseignement.

Pour rappel, le 19 mai 2021 il participait au rassemblement organisé par le syndicat Alliance police nationale dont le mot d’ordre était : « le problème de la police, c’est la justice ». Pour nous, le problème, c’est et la police et, la justice, complices. En effet, le système pénal s’organisant en triptyque police – justice – prison, la justice elle-même travaille en fait pour la police.

La nomination de Darmanin, passé du ministère de l’Intérieur à celui de "la Justice", est caractéristique de ce système colonial, sexiste et répressif qui nous tue physiquement, psychologiquement et socialement.

Abolition de toutes les prisons !

Régularisation de tou·tes les sans-papiers !

Abolition de l’État !

Abolition des frontières !

Pas de justice, pas de paix !

P.-S.

Sources

FARRIS Sara R., Au nom des femmes. « Fémonationalisme », les instrumentalisations raciste du féminisme, Syllepse, France (Paris), 2017 (traduction de l’anglais au français, 2021).

« En Nouvelle-Calédonie, le couvre-feu levé plus de six mois après le début des émeutes », Le Monde, 02/12/2024 https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/12/02/en-nouvelle-caledonie-le-couvre-feu-leve-plus-de-six-mois-apres-le-debut-des-emeutes_6425312_823448.html

« Gérald Darmanin, un ministre de l’Intérieur hors-la-loi ? », L’Humanité, 20/12/2024 https://www.humanite.fr/en-debat/droit-dasile/gerald-darmanin-un-ministre-de-linterieur-hors-la-loi

« Ça sent le sapin », Communiqué du syndicat de la magistrature, 24/12/2024 https://www.syndicat-magistrature.fr/notre-action/independance-et-service-public-de-la-justice/independance/communiqu%C3%A9-de-presse-%C3%A7a-sent-le-sapin/

Voir aussi nos précédents textes sur notre page Instagram @fled____
- « Opération Wuambushu : une offensive coloniale à Mayotte », 10 avril 2023
- « En public et en privé, les étrangèr·es doivent être plus blanc·hes que blanc·hes sous peine d’être expulsé·es », 29 juillet 2024
- « Les ravages du cyclone Chido à Mayotte », 27 décembre 2024
https://www.instagram.com/fled____/

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