Comment la préfecture maltraite les migrant·es. Récit de mises à la rue à Saint-Priest

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Depuis début avril, l’incertitude règne au centre d’hébergement de Saint-Priest . Face à la menace de remise à la rue 150 personnes sont toujours dans l’attente d’une date claire. La préfecture s’est permis ainsi de traiter des hommes et des femmes, des enfants, comme du bétail ou comme une vulgaire marchandise. Pierre, militant RESF-Villeurbanne, témoigne.

« Depuis octobre 2017, j’accompagne plus particulièrement une famille en demande d’asile dans le cadre de mon engagement au sein du Réseau Éducation Sans Frontières de Villeurbanne ; je le fais car citoyen français, je milite pour un accueil de l’étranger dans notre pays qui soit digne.
Cette famille avec 2 enfants préadolescents, après avoir vécue dans un squat, avait obtenu une place en hébergement d’urgence dans la caserne désaffectée de Saint-Priest, centre géré par l’Armée du Salut.
Le plan froid prenant fin le 31 mars, toutes les familles hébergées dans ce centre ont commencé à vivre ou revivre dans l’angoisse du lendemain à l’approche de cette échéance. On (les responsables du centre d’hébergement) leur a dit d’abord qu’après le 3 avril personne n’était en mesure de leur indiquer ce qu’il adviendrait ; puis on leur a remis en main propre un document nominal indiquant que l’échéance de l’hébergement était reportée au 30 avril.

Lundi matin 16 avril, des personnes mandatées par la préfecture sont venues pour faire un tri entre les familles : celles qui pourraient rester jusqu’au 30 juin et celles qui devaient partir immédiatement et au plus tard mardi 17 avril dans la journée.
La famille que j’accompagne m’a téléphoné en fin de matinée pour m’annoncer la catastrophe qui s’abattait sur eux. Ne pouvant absolument rien faire d’autre lundi après-midi que relayer l’information, j’ai décidé d’aller les voir au centre d’hébergement d’urgence mardi matin.
Arrivé à 8h15, j’ai pu entrer sans problème après avoir annoncé qui je venais rencontrer et après avoir laissé ma carte d’identité à la sécurité.
J’ai d’abord vu un animateur de l’Armée du Salut, très sympathique, encore sous le choc de ce qui s’était passé la veille : l’annonce brutale de la mise à la rue immédiate sous 24h de plus de 150 personnes ; il venait d’apprendre 5mn auparavant (m’a-t-il dit) qu’un délai d’une semaine venait de leur être accordé.
Plusieurs personnes m’ont rapporté que la veille avait été terrible avec des crises de nerfs, des évanouissements... tout le monde pleurait, y compris le personnel de l’Armée du Salut.
Les gens que je croisais dans la caserne me saluaient en me disant "ça va ?", en quête sans doute d’infos sur les suites à la journée de la veille.
Je suis arrivé dans le secteur où loge la famille que j’accompagne ; une animatrice a frappé à leur porte ; Madame a ouvert ; vous ne pouvez pas imaginer comme elle était émue de me voir ; elle, qui comprend assez bien le français mais qui habituellement s’exprime très peu, s’est mise à me parler en un français compréhensible de tout ce qui s’était passé la veille, m’a remercié d’être venu et m’a fait entrer dans la chambre qu’ils occupent à 4.
Son mari et leur fils étaient partis avant mon arrivée à la recherche d’un abri ; Madame lui a téléphoné pour lui annoncer ma visite ; leur jeune fille qui dormait a été réveillée par sa mère pour qu’elle nous serve d’interprète, car elle comprend et s’exprime très bien en français grâce à sa scolarité ; la jeune fille avait encore les yeux rougis de trop d’angoisse. La valise était prête dans un coin de la chambre.
Une jeune femme, amie de la famille, qui parle parfaitement le français, nous a rejoints et nous avons échangé longuement sur la situation de chacun.

J’ai donc appris que sur 23 familles albanaises, 20 avaient été enjointes à quitter les lieux ; la jeune femme enceinte de 6 mois et son mari, une famille avec un bébé prématuré de 3 mois et un couple dont le mari a de gros problèmes psychologiques étaient eux autorisés à rester jusqu’au 30 juin.
En plus des 20 familles albanaises, 3 familles arméniennes sur 4 doivent partir, des familles "arabes" aussi ; au total ce sont environ 150 personnes que l’État veut faire partir ; seules les familles Rroms sont autorisées à rester avec les femmes enceintes, les familles avec enfants de moins d’un an et les personnes gravement malades.
Certains Rroms avec lesquels j’ai pu échanger ne comprennent pas cette différence de traitement alors qu’il y a de la place pour tous dans cette caserne. Des bruits courent que d’autres familles viendraient remplacer celles qu’on oblige à partir !
J’allais partir quand des militant.es de "Jamais sans Toit" sont arrivés et ont essayé de collecter le maximum d’informations : noms, composition des familles, écoles fréquentées par les enfants, tél. ... pour transmettre aux différents collectifs... et organiser la contestation... plusieurs des familles recensées par eux sont domiciliées à Villeurbanne.

Il s’est passé lundi 16 avril 2018 quelque chose que je considère comme de la maltraitance et même de la torture morale et psychologique, par personnes détentrice de l’autorité publique, comportement qui non seulement est inhumain, mais qui doit être sanctionné ; dans un État de droit c’est proprement inadmissible.
Des enfants en bas âge ont vu leurs parents et tout le monde pleurer ; ils ont dû éprouver une angoisse profonde qui laissera des traces encore plus terribles que pour les autres enfants et les adultes.
On écrit à des personnes début avril qu’ils peuvent rester jusqu’au 30 avril ; le 16 on leur demande de partir le 17 et le 17 on leur écrit que finalement ce sera le 24 avec le concours de la force publique si nécessaire. La préfecture s’est permis ainsi de traiter des hommes et des femmes, des enfants, comme du bétail ou comme une vulgaire marchandise. »

Pierre

Face aux premières remises à la rue : rassemblement le mardi 24 avril

Lundi 16 avril dans la matinée, 29 familles sur les 59 qui sont hébergées à la caserne (désaffectée) Chabal à Saint-Priest dans le cadre du dispositif hivernal ont été informées à la dernière minute qu’elles devaient faire leurs bagages et quitter les lieux dès le lendemain matin. Nous (...)

24 avril 2018

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