[Colombie] On vit dans une société fondée sur la peur

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Reportage sur les manifestations en Colombie, et comment les colombien.nes à Lyon ont donné leur soutien lors des différents jours de grève.

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« Uribe, le peuple est énervé » Les étudiants de Lyon, ont répété plusieurs fois cette dernière phrase en chantant, laquelle a suscitée ambiance et excitation sur le moment.

Le jeudi 21 novembre en Colombie, s’est déroulée une manifestation pacifique dans le pays entier. De nombreux étudiants provenant des universités privées et publiques ont organisé des rassemblements dans les rues avec l’aide des Indiennes, des féministes, de la communauté LGBT+, des écolos, des syndicats de travailleurs et tous les citoyens de plusieurs villes, pour dénoncer la politique menée par l’actuel chef d’État, Ivan Duque, concernant la précarité universitaire, le manque de justice, l’assassinat de 18 enfants, d’indigènes ainsi que de leaders sociaux, de l’augmentation de l’âge de la retraite, de l’abandon de l’accord de paix signé avec la guérilla en 2016 ect.

Ainsi, à Lyon, à la même date, des colombiens, des Latino-Américains, des professeurs et des français se sont réunis à 20h à la Place Guichard en soutenant, de tout cœur, ces manifestations. Plus de 50 personnes y étaient présentes ce jour-là, en chantant l’hymne national colombien, et d’autres en s’exprimant avec des discours politiques afin de rappeler aux étudiants les conditions défavorables du peuple colombien.

« En Colombie, le système éducatif est privé et trop cher. Étudier dans une Université de qualité chez nous est impossible parce que le gouvernement ne veut pas s’engager dans ce genre de réformes. Selon Lina Torres, spécialiste en Directions des Relations Internationales (DRI) le gouvernement répète que le budget est en déficit, mais d’un autre côté, une grosse partie du budget de l’Etat est dédié aux grandes entreprises. En outre, le gouvernement veut donner nos ressources naturelles aux multinationales, et surtout aux firmes américaines. Cela est inadmissible, nous devons les protéger, et c’est la raison pour laquelle on manifeste, pour l’exploitation de nos terres, ainsi que l’assassinat des leaders sociaux et des enfants ». Elle fait une pause et puis continue : « En Amérique latine, l’extrême droite est revenue … nous n’avons rien à perdre, c’est pour cela qu’on n’a pas peur de continuer à se battre ».

Plus tard dans la nuit, les étudiants regardaient régulièrement leur messagerie car beaucoup d’entre eux avaient leurs familles et des copains à Bogotá et à Cali, les villes les plus touchées par des actes de violence et de vandalisme. Un attentat contre un commissariat a eu lieu, le Vendredi 22 Novembre, à Caquetá (sud-ouest), non loin des habitations avoisinantes, où trois policiers sont morts et sept autres blessés. Malgré le couvre-feu déclaré les jours suivants dans les métropoles, pour la première fois depuis 1977, les manifestants résonnaient des casseroles dans des endroits emblématiques et y étaient tellement insistants, que l’ouverture d’un dialogue national est prévue pour la semaine prochaine a été avancé à dimanche, déclaré par le chef de la République.

Les deux photos suivantes nous rappellent que l’actuel ministre de défense, Humberto Botero, a caché la mort des 18 enfants qui ont été tués à la suite d’un bombardement à Caquetá, le 29 août 2019. Cette opération militaire était dirigée contre Gildardo Cucho, membre des anciens dissidents des Forces Armées Révolutionnaires (FARC). Ivan Duque, sous prétexte que ces enfants faisaient parties de la guérilla, justifiait leur mort en disant que l’attaque a été le résultat d’un travail stratégique, méticuleuse et impeccable, des forces armées.

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Une de manifestantes lève une pièce de carton avec écrit : « pour les 18 enfants assassinés »

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Après la circulation de l’information précédent dans les médias, un journaliste chez Heraldo, a demandé l’opinion du président Ivan Duque sur les bombardements de Caquetà. Ce dernier lui a répondu : « de quoi tu parles, mec ? ». C’est pour cela que les mots en majuscules se traduisent en français par « on vous parle de ça, mec » en retour à la réplique du chef de l’État, qui, en autre, est généralement représenté comme un porc sur ces pancartes et symbolisé comme tel dans l’imaginaire des Colombiens. La phrase est devenue si célèbre qu’elle devint un mème. Les gardiens du président ont pris le journaliste dans un coin au moment où il a essayé de poursuivre le président, ils l’ont pris à parti dans un coin, l’ont agressé et forcé à supprimer les vidéos que lui et son équipe avaient tourné.

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« Incompétent ne doit pas être synonyme de Président ». Comme elle, de nombreux étudiants prenaient en main des cartons avec des messages de colère et de répression.

Lors de la protestation à Lyon, Alexander Herrera, professeur dans le département de Communication et d’Information à l’Université Lyon 2, disait : « On veut tous que la démocratie et la paix reviennent un jour en Colombie, puis qu’on soit capable de défendre la vie de tout un chacun, ainsi que celle des leader sociaux. Donc, il est nécessaire qu’à Lyon, on soit capable de s’organiser pour construire des mécanismes de coordination pour lutter pour la paix et la démocratie en Colombie. D’autre part, on vous invite à nous rejoindre aux différents collectifs de travail, pour qu’on puisse dénoncer ensemble l’état de guerre qui a lieu chez nous, avec le but de construire une nation libre et en paix ».

Dans l’établissement du chef de l’État, La Casa de Nariño, ce mardi 26 Novembre, s’est déroulée la première rencontre officielle entre le Comité National de la grève et le gouvernement. Les acteurs sociaux ont établi que la grande conversation nationale devait avant tout être concertée entre eux, malgré la proposition d’Ivan Duque, d’avoir un dialogue national en présence des organismes de contrôle.

Les leaders sociaux ont donné une liste de 13 points très précis afin de répondre aux désirs des manifestants comme : le renforcement du budget de l’éducation, l’amélioration de la vie des agriculteurs, la définition des politiques environnementales et de la protection des steppes, la lutte contre la corruption, que met en évidence l’approbation de trois lois : la première qui oblige les hauts responsables à publier leur déclaration de revenus ; que les membres du Congrès révèlent leurs conflits d’intérêts dans leur exercice et la reddition de comptes des sénateurs, représentants, conseillers et députés, autrement dit, qu’il y ait évidence du principe de transparence, et toute cela fut publié dans le Twitter de la vice-présidente, Marta Lucía Hernandez. Et, comme point final, la réforme fiscale, que permettra, d’après le président de la République, l’instauration de trois jours sans IVA, qui permettra aux Colombiens d’avoir un pouvoir d’achat majeur, ensuite, de rembourser la totalité du mème, aux familles le plus défavorisées et finalement que le budget santé soit équilibré à 4% en faveur des retraités. Mais ces dernières réformes ne sont pas acceptés par le peuple colombien. À la sortie de la réunion, les acteurs sociaux ont fait appel à continuer les manifestations jusqu’à que le gouvernement agisse et trouve des solutions.

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Un jour après, les colombiens à Lyon ont sorti leurs casserole pour les faire résonner à Bellecour. Le premier Décembre, le même appel sera fait par tous les pays voisins Latino-Américains.

Ana Soto Salazar, étudiante en psychologie, membre du mouvement étudiant étranger et français, évoque : « En ce moment, ce rassemblement a pour but de soutenir la grève nationale en Colombie, qui a eu lieu depuis le 21 novembre, laquelle a été soutenue par de nombreux syndicats et partis politiques, mais avant toute chose par le peuple colombien. Le but de tout rassemblement futur sera de soutenir la cause de toute l’Amérique latine. En France, on va soutenir les Colombiens et on va continuer à le faire pour qu’on puisse avoir le droit de manifester tranquillement et d’élever notre voix pour dire ce qu’on pense, sinon, si la jeunesse n’agit plus, cette génération est perdue. Nous continuerons à dénoncer toutes les violations des droits de l’homme, toutes les violations des forces de l’ordre, toutes les violations de la part du gouvernement, lequel devrait être honnête avec le peuple, mais qui ne l’est pas ».

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« Il y a déja eu plusieurs morts, et cela est intolérable, dit Ana Soto, il y a encore une énorme liste de morts provoquée par les forces de l’ordre qui attaquent la population… On ne peut pas continuer à se tuer entre colombiens ! Les forces de l’ordre sont avant tout Colombiennes, elles aussi, et je ne pense pas qu’elles soient fières de leurs actes, je ne pense pas qu’ils aient cette envie de tuer quelqu’un du peuple. Je crois qu’eux aussi veulent manifester avec nous. On ne peut pas sortir pour manifester sans que l’on se fasse tuer. On vit dans une société fondée sur la peur et cela est une abomination ».

À 18h13, Lina Torres prend un porte-voix et raconte la mort d’environ 15 personnes qui ont été tués par les forces de l’ordre les années précédentes, en clamant que cette affaire soit restée dans l’impunité. Avant de partir, elle invita aux étudiants en mobilité à participer à la première séance d’actualité colombienne à Lyon2, une réunion qui eu pour but de clarifier les différents enjeux sociaux de la société colombienne actuelle, enjeux dont le développement est revendiqué par les colombiens présents dans la rue depuis le 21 novembre. Via internet, le conseiller élu de Bogotá, Manuel Sarmiento, expliquera les motivations principales du comité central de la grève. Rendez-vous donc lundi 2 décembre à 8 heures du matin, salle BR35 rez-de chaussée du bâtiment Bélénos, Université Lumière Lyon2.

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Dylan Cruz, décédé le 25 novembre dans un hôpital á Bogotá, à cause d’un objet pénétrant dans la tête qu’un agent de L’ESMAD lui a tiré deux jours avant. « À droite, voici les trois vrais dictateurs : Juan Manuel Santos, Álvaro Uribe Velez et Ivan Duque, l’actuelle et deux dernières chefs d’État. On n’oublie pas ce que vous représentez, le venin à l’état pur »

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Margara Socorras, étudiante en mobilité prend un mégaphone et s’exprime : « Malgré les cris des victimes qui plaident en faveur de la paix, les dictateurs veulent avoir le contrôle total sur le peuple, de cette manière, les gens ne peuvent que fermer leur gueules. On a tellement peur de dénoncer les abus car on craint d’être tués par la police, la guérilla ou L’ESMAD. Les étudiants rentrent à l’université avec l’objectif de changer de vie, et améliorer la vie de leur pays et des générations futures. C’est pourquoi on est là, en soutenant tous les colombiens qui se sont rendu compte qu’il faut lever la voix parce-que si nous sommes tous unis, on réalisera ces changements. Comme si la vie avait un prix, ils nous offrent trois jours sans IVA, tandis que l’on demane tout juste d’arrêter les tueries . Je suis fière d’être colombienne et d’avoir vu une centaine de personnes dans la rue qui protestaient en chantant, en criant et en faisant la fête, parce-que, c’est cela qui nous représente, la joie et la culture. Aucune police n’a le droit de prendre la vie de quelqu’un, car ils connaisent les risques de leur travail et c’est pourquoi ils portent des armes. Je vous remercie d’être ici. Je ne sais pas pourquoi vous êtes partis, mais je sais qu’il est difficile de quitter le sol qu’on aime. ».

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Ilena Ladino, étudiante en master de développement de projets artistiques culturels internationaux, raconte : « Il existe de multiples façons de soutenir la grève nationale, donc, j’ai créé une page sur Facebook qui s’appelle « artistes pour la paix ». Mon but est de partager, relayer des informations, des expressions et actions non-violentes et artistiques, sur ce qui se passe en ce moment en Colombie, et en Amérique latine. Mon appel est tel que, peu importe la personne, envoyez nous un dessin, une vidéo, une danse, une peinture, une citation littéraire, avec votre prénom et une phrase allusive à la paix, ou quelque chose que vous a fait réfléchir, le tout accompagné de quelques hashtags pour le mouvement comme #ArtistesPourLaPaix, #ColombieResiste.


Gustavo Gutiérrez Medina

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