Récit du mouvement dit « anti-CPE » à Lyon - 4e partie : du 4 avril à début mai

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CPE/LEC/2006

Le mouvement raconté par un-e participant-e, à partir des articles de Rebellyon.

Manif, et plus si affinités

Mardi 4, y’a de quoi s’occuper dès le petit matin : diff’ devant Brandt à 5h30, rendez-vous à 6h40 pour aider au blocage de lycées, et rassemblement à 7h30 devant Sembat à Vénissieux pour manifester contre les charges policières de la dernière semaine. La manif syndicale de 11h rassemble autant de participant que celle du mardi précédent (45.000), mais un appel circule à continuer en manif sauvage après l’arrivée à Bellecour. Il faut d’abord commencer par « gentiment expliquer » à deux trois fafs qu’il vaudrait mieux pour eux qu’ils ne se baladent pas au milieu des cortèges avec leurs patchs tricolores [1]. Le départ est un peu laborieux, finalement 300 à 400 personnes se motivent (sur 45.000 ça fait quand même peu...), et partent en direction du vieux Lyon, suivies par une trentaine de civils. Puis le cortège revient sur la presqu’île, où les flics l’attendent en nombre à Cordeliers, devant la chambre de commerce et de l’industrie.

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La suite est racontée par un-e manifestant-e sur Rebellyon :
« Devant le manque de volonté collective d’envahir la Chambre de commerce, étant donné la très forte présence policière tout autour (plusieurs bus de gendarmes mobiles plus très nombreux flics de la Bac) un appel à rejoindre les Terreaux pour dispersion à été lancé, en profitant de la seule issue non bloquée par les flics. Des Terreaux un groupe a souhaité tenter l’Hôtel de Ville [2]. Pas possible. Direction les quais du Rhône à 100m. Blocage du pont de l’opéra sur le Rhône en face du quartier des riches, le 6°. Les gen-gens se déplacent pour former un cordon, les bakeus prennent le pont pour empêcher l’accès au 6°, se regroupent rapidement à une 30aine. Charge impressionante des bakeus, course vers croix-rousse, arrestations (on donne pas cher de leur peau) début de guerilla urbaine à moins d’une centaine sur le bas du quartier, rapidement avortée : les flics savent bien qu’ils ont pas intérêt à s’engager plus, on est tous chez nous ici... des arrestations, impossibles à dénombrer, peut être une vingtaine ? ». Une des personnes arrêtées, jugée en comparution immédiate pour jet de pierre (il avouera avoir jeté un caillou vaguement en direction des condés par rage de s’être fait chargé pour rien), a pris 2 mois de sursis et 120 h de TIG. Le proc’ avait requis trois mois ferme, mais comme le prévenu était tout ce qu’il y a de plus présentable (fils de profs, pion, blanc, etc.) et qu’il avait un avocat renommé qui peut se permettre de bousculer un peu les juges [3].

L’après-midi a lieu une AG des intermittent-es, qui annonce des actions d’occupation.
Enfin, deux interventions symboliques en centre ville sont organisées par les étudiant-es : une fausse manif de flics, assez sympa mais bon... ; et un « rassemblement pacifique avec des bougies » (sic) aux Terreaux, là je crois qu’on touche le fond mais je peux pas vous dire j’y suis pas allé.

Actions-réaction

Mercredi 5, une action était prévue à 7h du mat’ pour bloquer une route, mais comme ça nécessite un peu plus de monde que de differ un tract, ça a foiré. L’après-m’, le blocage est reconduit à Bron, mais pas sur les quais, par 620 voix contre 540 (vote avec carte d’étudiant ou certificat de scolarité...). Les intermittent-es et quelques étudiant-es (une centaine en tout) occupent une assedic, à propos du statut d’intermittent et de la précarité en général. Les occupant-es décident de quitter les lieux par eux-mêmes, mais annoncent qu’il y aura d’autres actions.

Le même jour, le parquet fait appel du jugement contre Stéphane, estimant que deux mois ferme ne sont pas assez pour punir un crime de lèse-RG… Il passera en appel le 16 mai devant la cour de l’infâme fini de rire et prendra 6 mois au lieu de 2. Le soutien est présent, et lui permettra de cantiner tout au long de ses 5 mois d’enfermement (avec les remises de peine) et fera un peu de bruit autour de son affaire.

Demandez l’programme

agenda de la journée du 6 sur rebellyon :

Actions

7 h : RDV Tram Gaston Berger pour partir en action directe non-violente sur la Doua.

10h45 : rdv Place Antonin Poncet pour autre tractage à Rhodia

11h30 : Tractage à la cantine de France Télécom (Part-dieu, sortie Villette).

14 h : Manif (rdv Bellecour).

20 h : Rassemblement aux Terreaux.

Assemblées Générales et comité de ville

11h45 : Assemblée générale étudiant-es & personnels de Lyon 1, Amphi 4 (déambulatoire - Campus de la Doua - Tram Gaston Berger).

Réunions de commissions

9 h : Commission débat et modalités d’organisation de la coordination nationale (amphi Cassin de Lyon II - Bron).

9h et 15h : Commission "bouffe" au forum de Lyon II - Bron.

12h : Commission "accueil et paperasse" à Lyon II - quais.

Débats

Sur le campus de Bron. Vous êtes tous et toutes invité-e-s à venir participer. (En outre, les personnes qui de manière régulière occupent la fac souhaiteraient qu’il y ait un peu de tournus, que cela ne soit pas toujours les mêmes qui bloquent dès 6h30).

À partir de 9h30-10h. Amphi D.
· Discussion sur la grève de 1986
· Discussion sur la mémoire des mouvements sociaux.

À partir de 14h. Amphi D.
Le mouvement ouvrier et les questions de démocratie.

Concrètement, une quarantaine de personnes sont présentes le matin à la Doua pour un blocage de voie de circulation, et il y environ 1500 manifestant-es l’après-midi, marqué-es à la culotte par les bakeus qui restent installés dans les cortèges, mais pas d’arrestations cette fois-ci, il faut dire qu’il ne s’est rien passé de notable...

Fin de la récréation

Les autres infos de la journée c’est que l’AG de l’IEP revote le blocage perdu le mardi, que le lycée Récamier est toujours bloqué, ainsi qu’un lycée privé à Oullins, et que la présidence de Lyon 2 continue ses coups de bluff en annonçant la reprise des cours à Bron pour le lundi matin, s’associant dans son communiqué envoyé par mail à tou-te-s les étudiant-es aux appels au retour à la normale des medias et des « partenaires sociaux » :

« Nous abordons à présent une étape nouvelle. Nouvelle parce que la mobilisation syndicale a eu pour effet de vider le projet CPE d’une grande partie de sa substance. Nouvelle parce que les négociations sont engagées, ou vont l’être. Mais nouvelle aussi parce que la poursuite du blocage des enseignements met l’année universitaire en péril.

Nous devons sauver l’année universitaire, nous devons garantir la crédibilité du semestre et des diplômes qui seront délivrés cette année à l’université Lumière Lyon 2.

Dans ce but et en accord avec les doyens et directeurs de composantes, l’équipe présidentielle a pris les décisions suivantes.
Notre objectif est d’abord l’ouverture de l’Université. Elle implique la libre circulation des personnes et la reprise des enseignements. Cette reprise des enseignements pourra s’accompagner sur chaque site du maintien d’un espace permettant le débat public.
Les enseignements reprendront jeudi 6 avril sur le campus Berges du Rhône à partir de 8 heures. La nécessaire remise en état des locaux sur le campus Porte des Alpes permettra une reprise des enseignements lundi 10 avril à 8 heures.

Cette reprise des enseignements conditionne le maintien du calendrier des examens.

Enfin pour préserver la valeur des diplômes, les équipes pédagogiques définiront des modalités de rattrapage.
Nous en appelons à l’esprit de responsabilité de chacun et chacune d’entre vous. Gardons-nous de toute initiative qui affaiblirait notre Université de façon durable.
L’équipe présidentielle.
 »

Crève salope !

Expédition dans la haute

Enfin, la journée du jeudi 6 se finit par une sympathique perturbation du concours de plaidoirie organisé à Lyon 3 en présence du président du conseil constitutionnel, dont le récit nous est fait sur rebellyon [4] :

« Le rassemblement pour la manif sauvage était appelé à 20 h place des Terreaux. Rappelons en un mot le principe de ce mode d’action particulièrement à la mode : on se réunit, on avise collectivement de nos buts pour la manif, et on part sans avoir prévenu ni préfecture ni personne sur le parcours qui nous semble le plus approprié.

Le but est d’une part de provoquer le maximum de perturbations, d’autre part d’échapper à la monotonie des défilés officiels, et surtout de pouvoir improviser collectivement en créant l’espace d’un moment une petite zone de désordre dans ce monde si policé. C’est si bon !

Bref. On attend un peu sur la place, on n’est pas si nombreux/ses que ça aujourd’hui, le mot n’est pas bien passé. 21 h, on finit par décider d’une action : le très chiraquien président du Conseil Constitutionnel qui a validé la loi sur l’égalité des chances, qui autorise et le CPE et le travail de nuit à 15 ans et l’apprentissage à 14 rend une visite de courtoisie chez les bons jeunes Français, la France qui gagne et qui fait ce soir un concours de plaidoierie devant les responsables de tribunaux à la Manu [Manufacture des tabacs, les locaux de la fac de Droit] .

Une demi-heure plus tard on arrive aux portes de Lyon III, le repère des fachos et des libéraux, Lyon III l’infâme, connue dans le monde entier pour sa tolérance aux nazillons de tous ordres, et dans les bons jours, aux libéraux les plus extrémistes. On n’allait pas être déçu.

On débarque à une centaine, après avoir passé sans difficulté les barrières de l’entrée (ni BAC ni RG sur notre chemin, tiens, bizarre), dans une petite sauterie entre gens autorisés. Un "concours de plaidoierie", un gala de beaux-parleurs, avec une bonne douzaine de magistrats de la ville, un coktail à la sortie et un Mazeaud en cerise sur le gâteau.

Petit défaut de coordination, on n’arrive pas à enfoncer les portes pour aller dire ses deux mots à mister President. On s’invective un peu avec les jeunes gens de bonne famille présents, on cause quelques crises de nerfs, on fait du bruit, on leur fout un peu la trouillle et pis... rien. On vient nous demander d’être bien gentil/les et de présenter un délégué pour aller expliquer calmement pourquoi on n’est contre le CPE à l’assemblée gentiment encline à nous écouter.

Nous on s’en fout, on n’a rien à négocier, rien à déclamer, on veut des actes, des faits, les bonnes paroles sont du vent et n’engagent que celles et ceux qui les croient. Quelques étudiants insistent dont un gars des JC, qui veulent aller en délégation. Un groupe décide de partir avant l’intervention policière.

Plus tard, les flics débarquent. La délégation promise est remerciée (quoi ? une délégation ? mais il n’en a jamais été question) osera dire sans honte l’un des étudiants de Lyon III qui nous l’avait proposé. Les derniers manifestants partent.

Bilan ? Les diandiants de droit de la Manu vivent sur Mars, les flics n’en ont rien de foutre de protéger le président du Conseil Constitutionnel [ouais euh... c’est plutôt qu’ils nous prennent pas vraiment pour une menace réelle, et ça ça craint] , et c’est vraiment agréable de mettre la pression à celles et ceux qui nous gouvernent, dommage que cela n’ait pas été en face à face. La prochaine fois ! »

Ça sent la fin

Le samedi 8, la manif du matin ne réunit que 1000 personnes, il faut dire aussi que la passivité qui règne dans les cortèges lyonnais, soigneusement entretenue par la forte présence policière, n’est pas vraiment motivante pour se lever le samedi… Et au même moment a lieu la coordination nationale à Bron.

Lundi 10 est la journée test pour le mouvement lyonnais : d’un côté les crapules présidentielles ont annoncé la reprise des cours, et de l’autre Villepin lâche prise sur le CPE. Aucune effusion de joie à l’annonce du retrait, à peine le sentiment d’une demi-victoire, mais la conviction partagée que tout reste à faire.

Finalement la matinée est moins tendue que prévu, les bloqueur-e-s sont toujours nombreux et tiennent bon face aux étudiant-e-s revenu-e-s consommer leurs heures de cours. La présidence agite encore vaguement la menace d’une intervention policière, sans plus de conséquence que d’habitude [5]. Reste donc à attendre l’AG de l’après-midi, ou plutôt le vote de l’après-midi, puisque plus encore que d’habitude l’assemblée générale sensée organisée la lutte tournera principalement autour de « blocage ou pas blocage ».
1800 personnes sont présentes, et il faut donc se réunir dans un gymnase. Après quelques débats pas forcément intéressants, on procède au vote, en faisant sortir tout le monde, et rentrer les partisans de chaque camps par une porte différente pour les compter. À 1000 (dont une partie d’étudiant-es de la fac catho et de Lyon III) contre 800 (dont une partie de non étudiant-e-s qui tiennent à garder une base pour la lutte), le déblocage est voté. Ainsi, le blocage de la fac, qui avait commencé avec une trentaine de personnes, prend fin avec 800 partisans… misère du démocratisme…

Les occupant-es ont à peine le temps de récupérer leurs affaires, pressé-e-s par des abruti-e-s qui se sont jusqu’alors bien gardé de prendre parti mais que la position majoritaire rend soudainement agressifs. Sur rebellyon, les commentaires annoncent que rien n’est perdu (sous-entendant aussi par là que contrairement au discours de ceux qui aimerait voir finir le mouvement, rien n’est gagné non plus), qu’il faut continuer, « tou-te-s à la manif demain ».
À la manif, tou-te-s n’étaient pas là, mais quand même un millier de personnes, dont une partie se rend à l’action « d’occupation de moyenne durée » organisée par des étudiant-e-s et la CGT chômeurs, au centre de tri de St Priest. L’accueil est plutôt bon de la part des salarié-e-s, mais les conditions ne sont pas idéales pour une jonction des luttes, la rencontre s’effectuant sous les yeux de la direction…

Le mercredi 12 se tient une AG de grévistes (enfin !), qui maintient l’appel à la grève et exige la dispense d’assiduité, mais qui ne décide pas de bloquer à nouveau. Une action d’autoréduction à la COREP est votée, en représailles des dons de cartes de photocopie aux anti-bloqueur-es pour imprimer leurs tracts.

Parallèlement, la déliquescence du mouvement s’exprime dans la multiplication d’appels à des actions plus ou moins bidons, happenings, marche de protestation, etc., qui sont rarement réalisées.

La dernière action un peu « massive » a lieu le vendredi 14, avec une occupation de la gare de la Part-Dieu, négociée avec la sncf ! Au bout d’un quart d’heure sur les voies, les « organisateur-e-s » de l’action annoncent que maintenant il faut y aller, que sinon la sncf va nous envoyer les flics ! Dégoûtée, la plupart des gens préfèrent partir pour essayer de foutre le bordel ailleurs que de continuer de participer à cette action merdique. Le cortège dégage donc les voies, se promène un peu à la Part-Dieu sous la menace des flics qui se préparent manifestement à arrêter des gens. L’autre cible du coin c’est le centre commercial, mais le groupe s’effiloche et seul une petite cinquantaine de personne se retrouve devant. Les CRS arrivent, à tout hasard les manifestant-es entrent dans le centre, sans trop savoir qu’y faire. Les vigiles s’excitent, tentent d’attraper une personne cagoulée, petite empoignade et finalement c’est les flics qui viennent séparer tout le monde et « raccompagner » les quelques personnes restantes jusqu’à la sortie.

Ainsi finit l’agitation de rue à Lyon au printemps 2006.

Quelques tentatives ont lieu par la suite à la fac de relancer le mouvement, prises en charges par les groupes qui se sont formé dans la lutte, mais l’approche des examens a définitivement installé le retour à la normale.

À suivre…

Notes

[1C’est arrivé dans plusieurs manifs, et à chaque fois les feufas la jouaient plutôt « profil bas », la palme de l’excuse bidon revenant à un petit nazillon expliquant que s’il s’affichait avec rangeos, bombers, crâne rasé, patch bleu blanc rouge et croix de fer, c’était parce qu’il cherchait à rencontrer des skins fachos « pour les éclater » (sic).

[2Intervention au mégaphone : « y’a des flics partout, on n’est pas nombreux, mais on s’en fout, ON VA PRENDRE L’HOTEL DE VILLE !  ». Evidemment la maigre rangée de gardes mobiles devant la grille à suffit à dissuader toute tentative d’instaurer une commune libre à Lyon, mais un peu d’enthousiasme ne fait pas de mal...

[3À propos de l’arme du crime : « mais dans un bac à fleur, on ne trouve pas des pierres, on trouve des graviers, tout au plus des petits cailloux ».

À propos du danger que son client représente pour la société : « en 68, les étudiants ont fait bien plus que ça, et regardez ce qu’ils sont devenus aujourd’hui : des professeurs en facultés, des inspecteurs d’académies ». Soit dit en passant, même si ça permet d’éviter la taule à quelqu’un, ça fait quand même chier d’entendre ce genre d’argument qui veut que la révolte n’engage pas à grand chose, que c’est passager (il faut bien que jeunesse se passe), que ça ne prête pas vraiment à conséquence...

[4s’il y a de plus en plus de copié-collé de Rebellyon, ce n’est évidemment pas parce que je commence à en avoir marre de ce récit qui s’éternise, mais bien parce que l’utilisation de ce site internet par le mouvement est de plus en plus au point...

[5depuis ces flics ratés ont eu l’occasion d’assouvir leur désir de collaboration : à coup de plaintes pour dégradations en réunion, pour insultes publiques, etc., ils ont enfin réussi à faire venir les condés sur le campus et à envoyer des étudiant-es en garde-à-vue.

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