Je suis toujours abasourdi par les haines qu’engendrent ceux qui passent à l’action et les envolées moralistes qui les accompagnent. Finalement ce qui surprend le plus c’est que la haine est d’autant plus forte qu’elle provient de « camarades ». Qui manipule ? Qui sont ces universitaires machiavéliques qui n’ont d’autres passions que de voir leurs « naifs compagnons » se faire latter par les flics ? Qui sont ces « soudards » assoifés de sang ? Pourquoi toujours penser que lorsqu’il est question de violence politique, il y a toujours soit des flics derrière, soit des illuminés ? Pourquoi des gens qui ont des sensibilités libertaires reprennent-ils en cœur le discours de la police ?
C’est drôle, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la violence politique ces derniers temps, c’est un commun qui dépasse les appartenances idéologiques et identitaires. Les émeutes de banlieues, les gaziers, les cheminots les agents d’EDF, et même les pompiers il y a quelques années. Tous ces gens qui, arrivés à un tel niveau de rage ou ligotés à un tel point par les syndicats, ne voient d’autres solutions que de saboter leur instrument de travail ou d’attaquer la police.
Mais cette violence, quand elle avoisine les organisations politiques, aussi bien les orgas anarchistes que les autres d’ailleurs, alors là elle devient intolérable. Parce que dans la démocratie de consensus, on accepte assez mal que les classes dangereuses s’en prennent au mobilier urbain, aux banques ou à la police, parce que les appareils ne peuvent tolérer être associés à de tels actes. Pour ceux dont le principal souci est de continuer à être des interlocuteurs respectables, il vaut mieux condamner, au risque de se couper de la potentialité révolutionnaire.
La légitimité politique aujourd’hui est affaire de mots et d’images. L’action elle-même n’échappe pas à cette règle. Une action doit susciter le maximum de sympathie, elle doit faire émerger des revendications claires, elle doit et c’est là où est sans doute l’écart le plus flagrant entre les révolutionnaires et les réformistes définir qui est le « bon » sujet politique.
Ceux qui font la politique hors de ce sentier jalonné sont indifféremment des « cailleras », des « minorités de casseurs au sein de la manifestation », des « irresponsables », des « idiots à instruire » pour les militants assermentés, des « terroristes » pour la police.
À Vichy, tout ne s’est pas passé de manière idyllique : des camarades se sont faits brûler leur voiture, des vitrines de petits commerçants sont tombées, des gens vont sans doute être condamnés en justice.
Cela dit, derrière ces débordements - que certains pourront sans doute regretter -, c’est un nouveau front politique qui émerge. Celui des « mauvais sujets » politiques, les sans-papiers en grève de la faim, ceux qui les cachent dans leurs appartements, ceux qui s’opposent violemment aux rafles, ceux qui se battent dans la rue pour signifier leur rage. À Vichy, y’avait bien quelques darons et darones qui regrettaient ce qui était en train de se passer, mais la plupart approuvaient, plus ou moins ouvertement, et comprenaient parfaitement l’enjeu de la situation. À Vichy, il n’y avait pas d’un côté les bons manifestants qui jouent le jeu de la « vraie politique » et de l’autre côté les « casseurs ». Un front commun, plus ou moins explicite, plus ou moins partagé, mais bel et bien là.
Ce front commun, il n’est pas partisan, il n’est pas idéologique non plus, il est réel au sens où il engage la politique comme mise en acte d’une pratique résistante. Personne n’a eu à inventer ce front commun, il est né de l’assignation au terrorisme dont les militants qui se battent avec les sans-papiers ont fait l’objet, il est né de la criminalisation systématique des gens qui essaient de se bouger.
Il ne tient qu’à nous de renforcer le front, de l’agrandir à tous ceux à qui on dénie la capacité à faire de la politique, à tous ceux dont l’expression politique est disqualifiée par avance et à tous ceux qui les soutiennent de quelque manière que ce soit...
L. S.
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