Point de vue systémique de la critique
Est-il possible de critiquer un élément en faisant abstraction du tout, de la structure dans lequel il s’inscrit et avec laquelle ses intérêts ne font qu’un ? Prenons un exemple : imaginons une association composée de deux personnes. La première personne prostitue des jeunes filles d’origine russe, avec tout ce que cela implique de violence et d’humiliation. Une petite partie de la somme ainsi récoltée est mise systématiquement à disposition de la seconde personne qui généreusement fournit une aide à la scolarisation des jeunes russes, promouvant ainsi l’image de cette association en Russie. Cette seconde personne n’est elle pas aussi abjecte, et ne mérite-t-elle pas au moins autant d’être traînée dans la boue et rouée de coups que la première ?
Concernant TF1, on peut trouver sur son site web que l’actionnaire principal de TF1 est en pourcentage du capital, qui ne correspond pas tout a fait au pourcentage en droit de vote : Bouygues (41.1%) agissant de concert avec la Société Générale (1.4%) Martin Bouygues fait partie du conseil d’administration de cette chaîne.
Le groupe Bouygues est un acteur majeur dans le domaine de la construction, de l’immobilier, des routes, des medias, des télécoms. On trouve parmi ses actionnaires SDCM lié avec le groupe Artémis (25%) d’autres actionnaires étrangers (mystérieux 36%) et Capital Group International Inc (8%) Notons au passage la présence dans le conseil d’administration de Bouygues de personnes comme Patrick Le Lay (Président-directeur général de TF1) Michel Rouger (Président Honoraire du Tribunal de commerce de Paris) ou Georges Chodron de Courcel (Directeur général délégué de BNP-Paribas, un parent de Bernadette Chirac dont le nom de jeune fille est aussi Chodron de Courcel)
Et on peut continuer comme ça : Artémis possède le journal Le point, Pinault Printemps Redoute, la FNAC, Gucci, Christie’s International, Château Latour, Anlac (Executive Life) etc. On se retrouve vite devant un enchevêtrement complexe et opaque d’intérêts. Complexe dans sa qualité, mais simple dans sa quantité.
L’organisation hiérarchique implique que le pouvoir de décision soit inversement proportionnel au nombre de personnes qui le possèdent. Ayons aussi présent à l’esprit que ces structures sont des artefacts : elles sont la traduction en langage capitaliste de la hiérarchisation des rapports sociaux, de rapports dominant/dominé et allié/ennemi, de rapports entre des humains comme vous et moi. Et ne doutons pas que les personnes de pouvoir, même si leurs intérêts ne sont pas toujours parfaitement paralléles, se connaissent personnellement (voir sont de la même famille...) et savent s’allier officieusement.
Enfin, au niveau le plus large de la structure que nous envisageons, la puissance est une obscénité et c’est pour servir ses intérêts particuliers que la plus part des guerres dans le monde ont lieu.
« Les 200 personnes les plus riches de la planète ont doublé le montant net de leur richesse entre 1994 et 1998 pour atteindre plus d’un billion $US. Les trois plus gros milliardaires de la planète possèdent à eux seuls plus de biens que le produit intérieur brut de tous les pays les moins développés et leur population totale de 600 millions de personnes. » nous dit le "Rapport mondial sur le développement humain de l’ONU".
Ces biens qu’ils possèdent ont bien entendu été produits pour eux par d’autres personnes, et ce détournement du produit du travail de la majorité se justifie par l’idéologie capitaliste.
A tous les niveaux de l’organisation hiérarchique, l’intérêt collectif est dévoyé par des intérêts particuliers grâce aux valeurs transmises par les medias et l’éducation.
Transversalité des valeurs
Le métier de TF1 et des autres chaînes privées est de vendre du temps de cerveau humain disponible aux annonceurs. Autrement dit, l’ensemble des programmes de ces chaînes ont un but maintenant avoué : rendre l’esprit des téléspectateurs mou et plastique, affaiblir leur sens critique sous prétexte de divertissement ou d’information, de façon à ce qu’ils soient réceptifs aux valeurs des publicitaires. La capacité fondamentale dont dépend entièrement la survie de ces chaînes est donc l’influence. Et, au vu de leurs réussites, on est en droit de penser qu’elles sont passées maîtres dans cet art, que ce soit dans les sphères télévisuelles ou dans d’autres. Notons que les chaines publiques font en fait la même chose, sous couvert d’utilité publique et de citoyennisme, ce qui est bien pire, et poussent le vice et le mauvais goût jusqu’à diffuser périodiquement le spectacle affligeant des rites christiques, je vous laisse conclure.
Il est évident que le temps d’antenne n’est pas divisé en deux parties, la première qui serait les programmes, chargés de satisfaire le téléspectateur, et la deuxième la publicité que ce dernier accepterait bon gré mal gré pour avoir accès aux programmes. Cette vision des choses serait simpliste et négligerait la porosité naturelle entre ces deux subdivisions. Ce serait perdre la vision englobante d’un tout répondant à une nécessité unique. La logique vitale d’influence du téléspectateur se traduit par une diffusion sur la totalité du temps d’antenne de certaines valeurs que véhiculent entre autre la publicité.
Cela est particulièrement évident avec l’émission phare de TF1 : la "Star academy". Comment qualifier autrement que de lavage de cerveau les "prime times", la réclame pour le dernier tube de la " starac", la diffusion de leur dernier clip le matin à l’heure où le travailleur encore fatigué boit sa tasse de stimulant caféiné ? Sans compter les produits dérivés ou les affiches publicitaires gigantesques que nous croisons plusieurs fois par jour dans la rue et le métro alors que nous nous rendons sur le lieu de notre exploitation, qui manipulent notre inconscient et agressent notre sens de l’esthétique ! Et cette mauvaise musique que l’on croirait composée par une machine, ces intrigues fadasses destinées elles aussi à vendre le caractère de ces ‘artistes’ qui par la suite nous vendront leurs disques et leurs paroles mièvres ! Les dernières frasques staracadémiesques de nos amis virtuels viennent durant la pause café combler le vide des conversations entre collègues de travail. Voyez, peu importe si nous ne connaissons pas vraiment nos voisins car nous avons les mêmes amis : nous les rencontrons tous les soirs à la télévision !
Valeur de la justice capitaliste
C’est que bien évidemment le capital n’a pas de vœu plus cher que de rendre votre petite vie aussi stérile, vos conversations aussi inintéressantes, votre vocabulaire aussi réduit, vos goûts musicaux aussi pauvres et votre personnalité aussi vide que l’image renvoyée par ce genre d’émissions. Car plus vous vous aliénerez dans cette image et dans les stéréotypes que le pouvoir vous assène jour et nuit, plus le capital répondra à vos "besoins" facilement et maximisera sa plus-value - c’est à dire augmentera encore son pouvoir.
Le conditionnement est total et la manipulation dépasse très largement le cadre du petit écran ; elle est essentiellement machiavélique. La forme et le contenu de la production industrielle servent les mêmes intérêts. Chacun dans sa grande boîte regarde la petite boîte. Ce que véhicule la télévision n’est qu’une petite partie des valeurs de nos maîtres, qui ont modifiées la race humaine jusque dans les fondements de sa réalité, et qui signent l’avénement prochain de leur créature : l’Homo Capitalus.
C’est seulement dans ce cadre que nous pouvons nous interroger sur la signification de cette émission "Sans Aucun Doute". Si les mafias ouvrent des orphelinats en grande pompe, ce n’est pas pour rien. Quelles sont les cordes sensibles que titille ce M. Courbet, ce grand redresseur de torts, ce Zorro des temps modernes ? Que ressent le téléspectateur-travailleur après s’être fait exploité toute la journée, après avoir travaillé pour Bouygues, Artémis, Dassault, Total et consorts, après avoir asservi ses forces et son mental aux rouages du système capitaliste, après s’être démené en luttes vaines contre les différentes administrations étatiques, après avoir subi les conditions infectes de son existence ?
La justice : oui Monsieur ! Elle existe enfin ! Elle est la dans ta petite boîte ! La justice soumise au hochement de tête appréciateur du travailleur ! Regardez les faire ce M. Courbet et sa fine équipe. Eux, ils ont les moyens ! Eux, ils ont la science ! Eux au moins, ils font quelque chose d’utile, eux au moins, ils agissent, eux au moins, ils aident des personnes en difficulté, des personnes comme vous, entre deux pages de publicité ! Quelle exaltation dans votre poitrine, quel repos pour votre âme de voir que même dans les médias des gens biens sont là pour combattre l’injustice ! Quelle démonstration de bonnes intentions, quelle preuve d’efficacité ! M. Courbet, c’est l’objectivité impartiale de la justice médiatique côtoyant l’intégrité journalistique de ses confrères !
Peu importe si au fond vous n’êtes que leur pute !
Artur
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