Dans pratiquement toutes les villes, grandes ou moyennes et même petites, existent des centres sociaux alternatifs. Née dans la mouvance contestataire des années 70 en Italie, cette pratique, issue de la culture autonome, propose l’organisation d’activités culturelles et politiques gérées collectivement et exprimant une résistance au libéralisme marchand, à l’éducation imposée et aspirant à un autre mode de vie. Ces centres sociaux permettent aux jeunes, entre autres, de se réunir et de militer. S’y mêlent jeunes, retraités, actifs, travailleurs-euses, chômeurs-euses... toutes et tous construisant ensemble.
Après l’élan révolutionnaire de 68 et autres événements similaires, les mouvements descendants des luttes émancipatrices sont déçus du tournant pris par les sociales démocraties. En Italie, nombre de communistes se tournent vers les théories d’action directe contre le capital, qui se traduisent par la lutte armée, l’organisation hors des partis et syndicats pour assumer un antiparlementarisme n’ayant pas peur d’user de violence et agissant hors du cadre légal. Ces insurrectionnalistes s’organisent et forment l’ « autonomia operaia » : l’autonomie ouvrière, qui prône l’autodéfense du prolétariat. La sortie du train de vie imposé, l’autoproduction, l’autogestion, la contre-culture, la lutte armée, la confrontation directe avec toutes les représentations de l’État, tout cela en découle, ainsi que l’occupation de lieux autonomes vis-à-vis de l’État.
Leurs histoires commencent pratiquement à chaque fois par une occupation illégale du lieu, sa remise en état et sa défense contre les expulsions. La législation italienne différant largement de la nôtre, les occupants enchaînent les victoires. Ainsi, il y a des centres sociaux occupés, et revendiquant ouvertement leur but politique, qui s’épanouissent depuis plusieurs années ! Fait presque inimaginable en France, le Centro Sociale Leoncavallo, à Milan, existe depuis 1975. Ces centres sociaux ne sont pas seulement de petits locaux, mais très souvent un immeuble, des bureaux, ou une vieille usine, et il y en a plusieurs par ville. Cela va d’une dizaine à Bologne à une cinquantaine à Rome.
L’Askatasuna à Turin, le CPA di Firenze Sud à Florence ou le Crash à Bologne sont des exemples. S’y organisent, en assemblées générales, des cours de sport, des concerts, des débats, des soirées de soutiens, diffusion de film comme en France vous allez dire. Mais aussi cours d’italien pour les immigrés, restaurants à prix libre ou sans bénéfices quotidiens pour les gens dans le besoin, accompagnement scolaire, gestion d’une radio, bar, lieu d’accueil et d’échange permanent où viennent squatter les jeunes après les cours... Et toutes ces activités sont menées avec une extrême assiduité et une régularité impressionnante !
Ces centres se structurent autour de l’idée d’implantation populaire et d’expériences alternatives. Ils prennent, d’ailleurs, souvent les noms de Centre Sociale Occupé ou Autogéré, Laboratoire Occupé ou Centre Populaire Autogéré. Formés autour d’un groupe d’individus réunis autour des mêmes idées et envies discutant de tout en assemblées générales.
Ce qui donne des centres sociaux qui ne font que de la contre-culture, autoproduction des fanzines et de la musique, concerts, théâtre... ou d’autres plus impliqués politiquement et se différenciant par leurs idées. Il y a des centres sociaux dans lesquels se regroupent des pacifistes désobéissants, ou ceux qui regroupent les éternels descendants du Parti (communiste) toujours staliniens et très autoritaires quant à l’organisation. Il y a aussi des centres sociaux communistes révolutionnaires, s’organisant au mieux possible en autogestion et des centres libertaires, insurrectionnalistes. L’autonomie et l’autogestion permettent que plusieurs tendances coexistent ensemble au sein d’un même centre, même s’il est certain qu’en fonction du lieu, il y en aura une plus forte que les autres. Cependant, le centre est ouvert à toutes et tous quel que soit l’obédience dominante.
Petite parenthèse : cependant, cette pratique ne leur est plus propre à présent. Des centres sociaux fascistes existent aussi. Ces derniers étant plus actifs sur le plan social que chez nous, il suffit de se référer aux groupes Forza Nuova ou Casa Pound, néo-fascistes et antiparlementaires, ce dernier ayant comme base centrale un immeuble entier dans le centre-ville de Rome (où ils accueillent leurs amis lyonnais).
Ces néo-fascistes, reprennent à leur compte toutes les réalisations culturelles, politiques communistes et anarchistes, constatant les résultats obtenus par ces derniers. Ils ne sont que pâles copies, reflets de personnes n’arrivant pas assumer le fait que leur culture politique se fourvoie et se terre dans la symbolique d’un passéisme dont la manière de voir le monde ne sera jamais plus adaptée aux nécessités de celui-ci. Bref, du coup, préférant copier sans honte ce qui se fait chez l’opposant politique directe.
Mais les centres sociaux ne sont pas seulement des édifices. Cela se voit beaucoup chez les lycéen-ne-s, étudiant-e-s et jeunes travailleurs-euses, ce sont eux qui sont à la base de l’organisation des luttes sociales sur une ville. Ces structures accueillant énormément de jeunes, s’y développent des groupes de réflexion et d’action. Ces groupes qui prennent souvent le nom d’ « autonome », sont donc directement liés au centre, mais permettent à celui-ci de garder un contact avec l’extérieur. Ils sont très présents dans les universités et, dans une moindre mesure, dans les lycées.
Mais ils savent aussi se fédérer et organiser des mouvements nationaux main dans la main. On le voit énormément pour les luttes dans l’éducation, ou contre le gouvernement par exemple, nous nous souvenons tous des images des « book bloc » affrontant la police ou des émeutes à Rome le 15 octobre dernier. Ils sont aussi très impliqués dans le mouvement No Tav. Le mouvement a été appelé « L’Onda » (l’onde) pendant un temps, car c’est bien cette image qu’on ressent quand on voit des bus affrétés de tous les centres sociaux d’Italie pour une manif à Rome. L’organisation à l’échelle nationale est bien rodée grâce à des liens militants réguliers structurant leurs relations.
Par exemple, il y a une campagne nationale menée par les centres sociaux plutôt légalistes, pour augmenter les bourses des étudiants : Yes We Cash.
Et étant donné la situation politique de l’Italie, les centres sociaux sont très impliqués dans la lutte antifasciste, antiraciste. En décembre dernier, un intellectuel du Casa Pound fait une descente punitive sur des travailleurs immigrés, en tue 2 et blesse gravement 3 autres à l’arme de poing, à Florence. Le lendemain les centres sociaux de nombreuses villes de Rome à Milan organisent des convois de bus pour manifester contre le Casa Pound à Florence. Il y a encore l’exemple des émeutes antifasciste organisé le 23 mars 2011 par le Laboratorio Antifascista Palermitano contre un meeting du Casa Pound à Palerme (à lire article en français ici).
Occupés ou installés de manière légale, les centres sociaux n’ont pas la même visibilité dans la société que les squats français. Donnant une image d’ouverture et non de renferment sur soi-même. Ils travaillent à rendre le lieu autant agréable et pratique qu’autosuffisant. Par exemple un grand nombre de ces lieux ont une « palestra », à l’image de la Palestra Red Rose du Crash à Bologne. La Palestra est un gymnase, ils y proposent toujours différents sports (foot, boxe, boxe thaï, basket, capoera, gym...) pour créer des liens sociaux et des activités mises en relation avec leurs idées. Mais à la différence de l’amateurisme libertaire courant en France, ils ne vont pas se satisfaire d’un garage avec un sac de frappe et de se voir une fois par semaine pour mettre les gants (certes c’est plus facile quand on sait qu’on s’installe pour une longue durée). Ce gymnase est aussi bien équipé (matos, ring, vestiaires séparés, douches, point d’eau, prof...) qu’un « vrai » gymnase, ou gymnase « professionnel » si vous préférez. Il suffit de voir cette vidéo du travail collectif des gens du Crash pour créer le gymnase (même si vous ne comprenez pas italien, les images parlent d’elles-mêmes) :
Palestra Antirazzista Red Rose from Laboratorio Crash on Vimeo.
Ainsi que la traduction de sa présentation :
“Le club de sport antiraciste « Red Rose » (Rose Rouge) est un projet sportif et culturel, né de la volonté de diverses réalités, individuelles et collectives, pour donner vie à une expérience de rassemblement social, à travers diverses disciplines sportives et de leurs promotions culturelles.
Nous pensons, en fait, que le sport est un langage simple et universel, capable de promouvoir les valeurs de la solidarité et d’organisation collective contre toutes culture et politique raciste, sexiste et de haine de « l’autre », qui aujourd’hui voudrait s’affirmer dans notre société et aussi dans le monde sportif. Un projet qui trouve sa place à l’intérieur du Laboratorio Occupato Crash (Laboratoire Occupé Crash), parce que nous sommes conscients qu’aujourd’hui les centres sociaux ont la capacité de donner vie aux évolutions culturelles, artistiques et politiques pour une autre société, pour une société métissée.”
Retour de bâton par contre. Cette démarche d’autonomie et d’autoproduction oblige de plus en plus certains centres sociaux à se concentrer d’une manière importante à la récolte de fonds leur octroyant cette autonomie. Ce qui leur permet d’être extrêmement bien équipés. Mais au niveau des activités, il se peut que dans certains lieux la facette politique se soumette au professionnalisme de l’organisation, pour ainsi devenir, petit à petit, un lieu dédié à la culture, concert, cinéma, théâtre, arts...
Phénomène auxquels s’ajoutent les centres sociaux qui se retrouvent attaqués par la droite, qui veut les fermer, et ainsi subissent la répression. Ou la gauche institutionnelle qui tente de les légaliser pour les amener à la négociation. Ceux-là ont fini par subir une large transformation dans leurs pratiques et leur radicalité.
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